Boris Vian aurait 100 ans : hommages, reprises et expositions célèbrent sa modernité
L'auteur, compositeur, musicien et metteur en scène Boris Vian aurait eu 100 ans ce mardi 10 mars. Commémorations, spectacles, éditions... lui rendent hommage.
Commémoration et hommage, voilà sans doute deux mots que Boris Vian aurait snobé pour évoquer ses cents ans ce mardi 10 mars 2020. La Camarde en a décidé autrement en le fauchant prématurément en juin 1959, âgé de 39 ans, d'une crise cardiaque dans une salle de cinéma parisienne, où l'on projetait l'adaptation de son roman "J'irai cracher sur vos tombes", signé du pseudonyme Vernon Sullivan.
"A bras le coeur"
Mal aimé en son temps, l'auteur de L'Ecume des jours (Gallimard) est aujourd'hui salué pour sa "modernité folle", pour reprendre les mots de Mathias Malzieu, leader du groupe Dionysos et parrain du centenaire de sa naissance, en cette année 2020 jalonnée de projets-hommages. Toujours dans l'air du temps, "aujourd'hui, il est plus reconnu que de son vivant, mieux identifié, on sait bien de qui on parle, de quelqu'un qui n'a pas de frontières, qui a une liberté totale et absolue", souligne pour l'AFP Nicole Bertolt, mandataire pour l'oeuvre de Boris Vian.
"Il a fait une chanson qui s'appelait Je suis snob, et en fait il était exactement l'inverse. Il est l'inverse du snobisme, parce qu'il décloisonnait tout et il prenait tout à bras le corps, à bras le coeur. Je suis un grand admirateur de ça, de sa poésie, de son imagination et de son côté frondeur, joueur", confie Mathias Malzieu.
La date du 10 mars n'est qu'un repère symbolique. Le programme gargantuesque des évènements liés à Vian, étalés tout au long de 2020, est en détail sur le site centenaireborisvian.com.
"C'est un passeur, et moi j'aime les passeurs, poursuit le cerveau de Dionysos. Il a fait venir le bebop en France. Il était à la fois journaliste, directeur artistique, chansonnier, écrivain et en fait il ne se posait pas la question. Il voulait raconter des histoires".
"Tellement d'aujourd'hui"
Et "certaines sont d'une actualité absolument frappante" souligne de son côté Françoise Canetti, directrice du label Jacques Canetti qui sort un coffret de 100 chansons de Vian, entre classiques, raretés et inédits. On entend ainsi Jean-Louis Aubert chanter en 1989 Ils cassent le monde, un texte où Vian, écologiste avant l'heure, s'inquiète d'une planète qui part en morceaux. Catherine Ringer pose elle sa voix sur Les joyeux bouchers en 1997, drôle d'écho aux débats actuels sur la consommation de viande rouge.
"Boris Vian est tellement d'aujourd'hui. Quand on m'a fait des sermons sur Fais moi mal Johnny, chanson sur une prostituée qui adore que son mac la tape, j'ai répondu avec Ne vous mariez pas les filles, un texte qu'on décrirait comme féministe actuellement", confie Nicole Bertolt. Un titre qui tire à boulets rouges sur la gent masculine, remis au goût du jour par le groupe Debout sur le Zinc à l'automne dernier.
Intemporelle, l'oeuvre de Vian s'adapte à tout format et tout courant artistique. Dans le coffret proposé par Françoise Canetti - fille de Jacques, le producteur qui poussa Vian à chanter sur scène - on trouve ainsi Le temps de vivre, l'évadé en version guitares hard-rock par Pascal Voiture.
Boris Vian, version slam
Le Printemps de Bourges a programmé le 23 avril une soirée On va t'faire mal Boris - référence à Fais moi mal Johnny - avec Tracy de Sá, Sônge et Oré, jeune garde rap, soul et r'n'b. "Elles ont entre 18 et 25 ans, elles m'ont demandé est-ce qu'on peut slammer du Boris Vian ? J'ai dit bien sûr !", raconte Françoise Canetti.
"Boris Vian laisse toujours de la place à l'autre, comme dans un morceau de jazz où chacun apporte sa contribution. Quand vous rencontrez des réalisateurs, dessinateurs, metteurs en scène, journalistes et que tous vous parlent de L'écume des jours et ne disent jamais la même chose, ça signifie qu'on peut s'en emparer encore et encore. Le génie se voit à ça", analyse Nicole Bertolt. C'est d'ailleurs le cas avec L'écume des jours, rêverie virtuelle, spectacle qui mêle dispositifs sonores, visuels et numériques. Ce projet de la Compagnie Underground Sugar, adapté par Julie Desmet Weaver, a été sélectionné par la communauté européenne pour être joué dans 20 capitales du vieux continent durant l'année 2020.
Appartement à visiter
Mandataire pour l'oeuvre de Boris Vian, Nicole Bertolt fait visiter sur rendez-vous l'appartement qu'il occupa, derrière le Moulin Rouge dans le XVIIIe arrondissement de Paris. "C'est quelqu'un qui connaît très bien l'oeuvre de Boris Vian, qui anime les projets liés à Vian", décrit pour l'AFP Françoise Canetti. Nicole Bertolt "fait vivre la mémoire de Vian, réédite les oeuvres, en fait parler. Quelqu'un comme elle évite qu'une oeuvre ne meure", renchérit Christian Eudeline, rédacteur en chef de Vinyle et Audio.
Cet héritage que Nicole Bertolt fait vivre, elle en est dépositaire depuis sa rencontre avec Ursula Kübler, deuxième femme et veuve de Vian. Venu se réfugier dans l'appartement de Vian après sa mort, alors qu'elle est malade, elle se retrouve devant une table bricolée par Vian lui même. "Ursula m'a reçue, ne m'a rien demandé. Je n'étais pas en bon état, elle a fait venir un médecin. Je suis restée dormir le soir même, puis le lendemain, le surlendemain, je suis restée 8 années". "Patrick Vian (fils de Boris Vian et Michelle Léglise) a accepté, il m'a dit tu es plus légitime que moi, ça fait plus de 30 ans que tu es là, tout sera à sa place si tu prends mon mandat. Il a le droit moral, incessible. On est en liaison permanente. Je l'appelle plusieurs fois par semaine".
Plus tard, une séparation la conduira à revenir dans l'appartement de Vian et à y demeurer. "Je ne voulais pas y habiter, prendre la place d'Ursula en quelque sorte. Mais cette maison ne peut pas rester seule". Elle accueille ceux qui veulent visiter l'appartement - gardé en l'état en dépit d'un ou deux appareils modernes - sur demande écrite. "Grâce à elle, un anonyme peut visiter l'appartement de Boris Vian, voir ses disques, ses livres, les instruments de musique qu'il a inventé, ça permet de comprendre plein de choses", vante Christian Eudeline.
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