Babx convoque l'âme des poètes punks
Né le 22 septembre 1981 en région parisienne, le chanteur et pianiste David Babin a adopté au début des années 2000 le pseudonyme Babx en référence à un mouvement artistique fictif dans un film, le "postXisme". Musicien, compositeur, arrangeur, producteur avide d'indépendance artistique et fondateur de labels, Babx travaille et écrit par ailleurs pour différents chanteurs comme Julien Doré, Camélia Jordana ou L.
Son quatrième album, "Cristal Automatique #1", pourrait bien être le dernier à paraître sous son surnom. "Je vais bientôt abandonner le terme Babx. Les pseudonymes, ça va une certaine période et au bout d'un moment, on vieillit ! Avec mes cheveux blancs, je veux récupérer mon nom." Dans ce disque captivant et original, l'artiste chante, récite, murmure les textes de neuf auteurs.
- Culturebox : Votre album constitue-t-il votre hommage personnel à vos poètes de prédilection ?
- Babx : Ce n'est pas vraiment un hommage. Je voulais plutôt les maltraiter que leur rendre hommage ! Je voulais les sortir de leur tombe et les remettre au goût du jour à la manière dont je les vois, donc plus comme des grands voyous que comme des gens à qui il faut rendre hommage. L'hommage, pour moi, quelque part, c'est pour les morts, et eux, ils sont hyper vivants et actuels.
- Qu'est-ce que vous aimez dans la poésie ?
- Au-delà même du style littéraire, de la musique et du graphisme des mots, ce que j'aime dans la poésie, c'est le fait qu'on ait inventé l'une des plus belles choses qui ne serve à rien. Particulièrement à une époque où on nous demande de servir tout le temps à quelque chose, il y a un endroit supposé ne servir à rien et qui, à mon avis, est le plus bel abandon possible. La poésie parle beaucoup de nous-mêmes. Une fois qu'on ouvre un livre - un livre ou plein d'autres choses, c'est un temps que l'on donne à l'inutilité au sens capitaliste. C'est ça que j'aime, ce rendez-vous avec soi-même... C'est un peu comme une prière. Une prière ne sert pas à grand-chose en vérité, mais elle sert à se rappeler que l'on croit en quelque chose. La poésie est du même ordre.
- Vos poètes préférés sont-ils tous dans ce disque ?
- On y trouve mes premiers amours en poésie. Je tiens à préciser que je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine. Il y a là des choses qui se sont retrouvées sur mon chemin et qui m'ont touché énormément, comme l'aurait fait un film. Plus tard, j'aimerais bien faire un tome 2 où l'on ne trouverait que des poètes vivants comme le Haïtien James Noël, ou Brigitte Fontaine qui est pour moi plus qu'une chanteuse, une prêtresse.
- La mention "#1" sur le titre de l'album laisse en effet penser que vous prévoyez une suite future. Pouvez-vous nous raconter votre histoire avec la poésie ?
- Ça s'est fait en plusieurs temps. Quand j'étais tout petit, ma grand-mère me lisait beaucoup de poésie pour m'apprendre des mots, m'apprendre à parler. Plus tard, celui qui a beaucoup compté dans la transmission de la poésie, c'est un prof très punk que j'ai eu en seconde, Sergueï Wofsy. Paix à son âme car il est mort cet été. Il venait chercher un petit groupe d'élèves après les cours et nous lisait des textes de Rimbaud, Baudelaire... Il avait une espèce d'aura, ce qui faisait qu'avec lui, les textes résonnaient comme quelque chose d'interdit. Forcément, ce goût de l'interdit et du déviant m'a donné envie de m'y intéresser. Il a réussi à nous transmettre ça en nous donnant l'impression que c'était exactement le contraire de quelque chose d'académique ou scolaire, mais plutôt une espèce de trésor caché auquel on était les seuls à avoir accès. Par la suite, je me suis emparé de la poésie tout seul.
- Et finalement, vous avez mis la poésie en musique.
- Ma passion de mettre de la musique sur la poésie, je la dois à ma colocataire américaine, quand j'avais 20 ans. Elle suivait des cours de littérature en France. Souvent, elle venait me demander la signification des textes. Pour lui faire comprendre, j'ai eu envie de leur donner un sens qui n'était pas juste celui d'une traduction, mais peut-être celui d'une émotion. J'ai donc commencé à mettre quelques poèmes en musique. Par la suite, il m'est arrivé régulièrement de mettre un texte en musique, presque par accident. À force de hasards, cela a créé une petite collection de musique, et au bout du compte, ce disque.
- Nous ne sommes effectivement pas dans la relecture de poèmes au sens strict, puisque chaque chanson a été baptisée du nom du poète, et non pas du titre du poème choisi...
- Exactement. Je voulais réaliser mon portrait, à ma façon, de chaque écrivain. C'est aussi pour ça qu'à l'intérieur du CD, graphiquement, j'ai voulu y ajouter des portraits de chaque auteur (réalisés par le plasticien Laurent Allaire, ndlr).
- À ce propos, pourquoi le choix du portrait d'Aimé Césaire sur la pochette, et celui du titre de son texte "Le Cristal automatique" pour titre général du CD ? Le mot "cristal" figurait déjà sur votre deuxième album, "Cristal Ballroom"...
- D'abord, ce portrait se raproche du vaudou. Graphiquement, il me rappelle des sculptures, des statues vaudoues... Ça pourrait aussi être un portrait de Basquiat. Maintenant, c'est vrai que cette histoire de cristal m'obsède ! Il y a donc quand même un clin d'œil. Dans le cristal, il y a la notion d'un matériau à la fois robuste et fragile, plein d'éclat et issu d'une roche sombre. J'ai choisi le titre du texte de Césaire "Le Cristal automatique" parce qu'il correspondait bien à ma démarche pour ce disque. La musique que j'ai posée sur ces textes devait procéder, au départ, d'une sorte d'"automaticité". Tout ce qui n'en relevait pas était mis de côté. Au début, il y avait presque de la musique improvisée sur des textes, même si elle s'est formalisée à force de la rejouer.
- Donc, la façon d'interprêter et d'arranger ces textes s'est imposée de manière spontanée.
- On a très peu réfléchi sur ce projet. L'objectif était de revenir à un geste purement musical. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai créé un nouveau label à partir de ce projet (Bisonbison, un nom en clin d'œil au texte de Gaston Miron, ndlr). Comme les musiciens qui jouent avec moi, je viens plutôt du jazz. On avait la volonté d'enlever tout ce qui parasitait la musique : faire de la production, créer un événement autour du disque, faire du marketing... Je voulais que ce soit le plus simple et le plus bio possible ! Pour le reste, les choix se sont faits assez naturellement. Les textes donnent de vraies indications d'arrangements et de composition. Pour moi, la mise en musique de poèmes consiste à harmoniser ce qui existe déjà dans le texte.
- Le disque s'ouvre sur un mystérieux prologue intitulé "Conversation", où l'on entend des voix et le piano. Un intermède du même ordre surgit presque à la fin de l'album...
- Il y a un mélange de Prévert qui dit "Moi, la poésie, je ne sais pas ce que c'est", d'Artaud qui parle de magie noire, de Deleuze, Kerouac. C'est une sorte d'invocation. Comme je l'ai dit, je vois tout ça comme une mini-cérémonie vaudoue lors de laquelle on invoque les ancêtres, on les fait s'engueuler les uns avec les autres, ensuite je déroule mes chansons, puis je les laisse conclure. Pour des raisons d'enchaînement de morceau, j'ai préféré glisser l'épilogue après le Gaston Miron qui est assez intense ! (et avant le texte de Césaire qui clôture le disque, ndlr)
- Pouvez-vous nous parler de votre concert au Cent-Quatre ?
- On jouera le répertoire de "Cristal Automatique". Je vais aussi lancer une installation, "Dial a Poem". C'est parti d'une idée du poète John Giorno qui date de 1968. Les Américains pouvaient appeler une sorte de numéro vert et tombaient sur une messagerie où l'on entendait les voix de Kerouac, Burroughs, Yoko Ono, John Cage, etc. qui récitaient un poème. Ça a connu un gros succès. J'ai trouvé l'idée géniale. Je me suis demandé comment on pouvait l'importer ici. On va installer des cabines. Quand quelqu'un décrochera le téléphone, il entendra la voix d'un parfait inconnu - ou pas, mais ça restera anonyme - qui dira un texte, un poème dans mille langues imaginables. À la fin, au lieu de rester passif, "l'appelant" laissera à son tour un message, un poème qui enrichira cette bibliothèque immatérielle. L'idée, pour moi, c'était surtout de faire une bibliothèque de voix. Je suis fasciné par les voix des gens. Au Cent-Quatre, ils seront invités à laisser leur voix et entendre celle des autres.
- En dehors du cent-Quatre, y aura-t-il d'autres cabines ?
- Il y en aura une à la Maison de la Poésie. On devrait bientôt en avoir à Marseille. J'espère qu'elles vont se répandre au fur et à mesure, puis partout dans le monde, à Londres, New York, Karachi... L'idée, c'est que cette idée nous survive ! J'ai déjà reçu des enregistrements venus de très loin, comme le Pakistan. Cela donnera aux gens l'occasion de communiquer sans se connaître. J'aime bien cette idée.
Babx en concert
Vendredi 20 novembre à Amiens, au Théâtre Comédie de Picardie
Vendredi 18 décembre à Dole, avec Camélia Jordana, à la Commanderie
Babx était en concert à Paris
Jeudi 22 octobre 2015, au Cent-Quatre (ou 104), 20H30
5, rue Curial, 19e
Infos : 01 53 35 50 00 ou ici
Babx : chant, piano, composition
Frédéric Jean : batterie, percussions
Julien Lefèvre : violoncelle, guitare
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