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"Je m'en rends compte, c'est totalement fou" : six musées parisiens rendent hommage au couturier Yves Saint Laurent

L’exposition "Yves Saint Laurent aux MusĂ©es" met en lumiĂšre le dialogue que le couturier entretenait avec l’art et la littĂ©rature. Un parcours dans les collections permanentes de six musĂ©es parisiens - le Centre Pompidou, le MusĂ©e d’Art Moderne de Paris, le MusĂ©e du Louvre, le MusĂ©e d’Orsay, le MusĂ©e National Picasso-Paris et le MusĂ©e Yves Saint Laurent Paris - est proposĂ© Ă  partir du 29 janvier 2022.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Affiche de l'exposition "Yves Saint Laurent aux musĂ©es"  (Courtesy of Yves Saint Laurent)

Yves Saint Laurent, ĂągĂ© de 26 ans, signe le 29 janvier 1962 sa premiĂšre collection sous son propre nom. Il impose aussitĂŽt un esprit mais aussi un style. À travers ses modĂšles, c’est toute une culture, un univers artistique qui s’exprime. L'exposition Yves Saint Laurent aux MusĂ©es, portĂ©e par la fondation Pierre BergĂ© – Yves Saint Laurent, cĂ©lĂšbre le 60e anniversaire de ce premier dĂ©filĂ©.

Six musĂ©es parisiens - le Centre Pompidou, le MusĂ©e d’Art Moderne de Paris, le MusĂ©e du Louvre, le MusĂ©e d’Orsay, le MusĂ©e National Picasso-Paris et le MusĂ©e Yves Saint Laurent Paris - y participent et mettent en exergue le dialogue entre les crĂ©ations de mode d'Yves Saint Laurent et le monde de l'art. 

Un mannequin prĂ©sente le 29 janvier 1962 Ă  Paris la "102", une robe du soir courte en crĂȘpe vert d'Yves Saint Laurent. C'est sa premiĂšre prĂ©sentation de prĂȘt-Ă -porter automne-hiver 1962-63.  (ARCHIVES AFP)

Rencontre passionnante et indiscrétions sur la genÚse de ce vaste projet un peu fou avec deux des commissaires d'exposition - Madison Cox, Président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, et Stephan Janson - quinze jours avant l'ouverture des six expositions, le 29 janvier 2022.

Franceinfo culture : quelle est la genÚse de ce projet un peu fou ? 
Madison 
Cox, PrĂ©sident de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent : l'idĂ©e est venue d'abord car on voulait absolument fĂȘter ces 60 ans. C'Ă©tait un moment dans l'histoire de la maison qu'il fallait marquer, tout comme la disparition de Pierre BergĂ©, il y a quatre ans. Il Ă©tait important de pouvoir dire que la fondation Pierre BergĂ© - Yves Saint Laurent existait et que l'on prenait soin de ce patrimoine. Il ne faut pas oublier qu'en 1983 Ă  New York - pour l'exposition rĂ©trospective d'Yves Saint Laurent au Metropolitan Museum of Art -, c'est la premiĂšre fois que la mode d'un couturier vivant entrait dans un musĂ©e des Beaux-Arts et cela avait fait scandale. C'est lĂ  qu'a commencĂ© ce dialogue mode et arts, mode et musĂ©e. Aujourd'hui, en 2022, la mode est vraiment devenue un art apprĂ©ciĂ© par le public, qui est mĂȘme assoiffĂ© par cet univers. La maison Saint Laurent a Ă©tĂ© exposĂ©e lors de rĂ©trospectives Ă  PĂ©kin, Moscou, Saint PĂ©tersbourg, New York... et cela continue, Ă  Tokyo oĂč une grande rĂ©trospective est, Ă  nouveau, prĂ©vue. Je voulais absolument marquer ces 60 ans mais je me suis dit qu'il devait y avoir d'autres moyens qu'une Ă©norme rĂ©trospective.

Portrait d'Yves Saint Laurent, en 1971, réalisé par le photographe Jeanloup Sieff (Estate of Jeanloup Sieff © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN- Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI)

Comment avez-vous procédé ?
Madison Cox : en discutant avec Mouna Mekouar (co-commissaire de l'exposition) de cette relation, de ce dialogue entre le couturier et l'art, je me suis dit pourquoi pas faire des espaces de pop-up de ces divers univers d'inspiration dans les installations permanentes des musées. Je voulais aussi inclure Stephan Janson (co-commissaire de l'exposition) qui a vraiment cette connaissance de l'oeuvre de Saint Laurent, un oeil de l'extérieur, c'est toujours intéressant.

Quelles ont été les difficultés ?
Madison Cox : 
on a commencĂ© fin 2019 Ă  discuter. On avait fait une liste des musĂ©es, des lieux. C'Ă©tait trĂšs ambitieux peut-ĂȘtre mais des fois il faut vraiment rĂȘver et nous avons mĂȘme eu l'idĂ©e de faire Paris et New York. L'AmĂ©rique a Ă©tĂ© trĂšs importante dans sa carriĂšre, c'est lĂ  qu'il a trouvĂ© les premiers financements pour sa maison de couture. On avait mĂȘme entamĂ© les discussions avec diverses institutions. Maintenant je m'en rends compte, c'Ă©tait totalement fou. J'ai toujours gardĂ© en souvenir cette phrase de Pierre BergĂ© : il faut transformer les rĂȘves en rĂ©alitĂ©. Mais quand le monde a explosĂ© (ndlr : avec l'apparition de la Covid-19), les frontiĂšres ont Ă©tĂ© fermĂ©es et tous les trois, nous nous sommes dit : il faut absolument que l'on ait les pieds sur terre, on va abandonner New York. Je me souviens que la directrice du Harlem Museum m'a dit : vous ne vous rendez pas compte de l'importance que cela a pour la communautĂ© afro-amĂ©ricane, Yves Saint Laurent est le premier Ă  avoir fait dĂ©filer les femmes de couleur. C'Ă©tait trĂšs Ă©mouvant mais impossible. 

Comment s'est mis en place le projet ? 
Madison 
Cox : du moment qu'on a cité le nom d'Yves Saint Laurent, toutes les institutions avaient une histoire à raconter : plus question de rivalité entre les institutions mais une espÚce de solidarité. En pleine période de confinement, les institutions étaient fermées et en plus il y a eu des dirigeants de musées qui ont changé, ce qui a ajouté un certain niveau de complication. 

Stephan Janson, co-commissaire : ce rĂȘve qui fait partie du monde de Saint Laurent, qui Ă©tait extrĂȘmement cultivĂ©, lui a permis de faire des choses qui faisaient rĂȘver les gens... et la chose extraordinaire dans ce projet, c'est que les gens, Ă  cause de ce maudit Covid ont rĂȘvĂ© pour penser au futur. 

Madison Cox : dĂšs le dĂ©but, c'Ă©tait un de nos principes de valoriser des collections permanentes mais il ne s'agissait pas d'occuper l'espace vide et de faire une scĂ©nographie temporaire mais de souligner l'importance des collections permanentes de ces institutions et d'y crĂ©er des dialogues. C'est assez intĂ©ressant ce jeu de mots croisĂ©s et mĂȘme si c'est compliquĂ© pour nous, parce que nous sommes une minuscule institution, c'est aussi une nouvelle façon innovative de reprĂ©senter Saint Laurent, de rĂ©interprĂ©ter les choses pour un regard nouveau.

Stephan Janson : Saint Laurent, contrairement à beaucoup de ses collÚgues, savait digérer toute cette vastité d'appréciation de l'art qu'il avait. Il y a certaines choses qui n'étaient plus exposées depuis longtemps et qui vont ressortir des réserves. 

Yves Saint Laurent, veste hommage Ă  Pablo Picasso en drap de laine bleu, noir et ivoire, de la collection automne-hiver 1979. MusĂ©e Yves Saint Laurent Paris. Elle est exposĂ©e au musĂ©e Picasso dans le cadre de l'exposition "Yves Saint Laurent aux musĂ©es" (Yves Saint Laurent @ Nicolas MathĂ©us)

Justement, comment s'est faite la sélection des piÚces au ceur des musées ?
Stephan Janson : nous Ă©tions assez tĂȘtus, nous avions nos idĂ©es. Quand vous parlez d'Yves Saint Laurent au musĂ©e du Louvre, tous les dĂ©partements peuvent rĂ©pondre prĂ©sents et lĂ  cela a Ă©tĂ© une dĂ©cision du Louvre Ă  la fin (ndlr : d'exposer dans la galerie d'Apollon). On peut imaginer un cĂŽtĂ© trĂšs baroque et romantique du couturier, pour le musĂ©e d'Orsay c'est parfait. Cela va ĂȘtre extraordinaire, c'est le rapport avec un autre art, la littĂ©rature et Proust. M. Saint Laurent a fait des collections dĂ©diĂ©es Ă  Picasso donc c'Ă©tait facile pour le musĂ©e Picasso oĂč il y a peu de piĂšces mais majestueuses. Pour les musĂ©es d'art moderne, comme le Centre Pompidou, lĂ  nous n'avions pas assez de vĂȘtements. On a vingt piĂšces dans chaque musĂ©e mais ils Ă©taient avides, ils en voulaient plus. Au seul musĂ©e qui est gratuit, au musĂ©e d'Art Moderne de Paris, il y a une sĂ©lection Ă  tomber et pour un public qui n'a peut-ĂȘtre pas la chance d'avoir les moyens de faire le tour de tous les musĂ©es, cela vaut le coup. 

Madison Cox : on faisait des propositions mais il y a eu des problÚmes : de luminosité par exemple car les salles des musées des Beaux Arts ne sont pas du tout conformes à des espaces muséaux conçus pour les textiles. C'est 50 Lux, et on ne pouvait rien faire pour occulter la lumiÚre. C'est une contrainte. 

Yves Saint Laurent, robe Hommage Ă  Piet Mondrian en jersey de laine Ă©cru, incrustĂ© noir, rouge, jaune et bleu pour la collection automne-hiver 1965. MusĂ©e Yves Saint Laurent Paris. Elle est exposĂ©e au Centre Pompidou dans le cadre de l'exposition "Yves Saint Laurent aux musĂ©es" (NICOLAS MATHEUS © Yves Saint Laurent)

Quel choix de scénographie a été privilégié ? 
Stephan Janson : je n'ai jamais fait d'exposition mais il y a une chose qui m'a souvent dĂ©rangĂ© quand je voyais les expositions consacrĂ©es Ă  Saint Laurent, c'est que ce que j'avais vu en dĂ©filĂ©, c'Ă©tait imbattable, mais quand on recrĂ©e tout cela sur des mannequins, cela me donnait une idĂ©e de trĂšs beau mais il y manquait la vie ! Il y avait le look, il y avait une forme de respect de M. Saint Laurent et de ce qu'il avait voulu avec le vĂȘtement accompagnĂ© par le chapeau, les boucles d'oreille, le bracelet, les bagues, les gants, les chaussures et le sac. Mais moi qui ai eu la chance de voir presque tous ses dĂ©filĂ©s, je me souvenais de tout cela et je trouvais que c'Ă©tait dommage. Quand je suis arrivĂ©, j'ai dit : j'aimerais bien montrer les vĂȘtements sans accessoire. Comme je suis un technicien de couture, je savais que pour certaines robes, on ne voyait plus sa maestria avec la quantitĂ© d'accessoires. J'ai la prĂ©tention de montrer que Saint Laurent n'avait pas besoin d'artifice pour ĂȘtre sublime. C'Ă©tait un pari, je suis content car c'est vraiment incroyable. Par exemple au Centre Pompidou, il y a une robe de 1965 on dirait qu'elle est faite demain, mĂȘme pas hier ! Il n'y a plus de rĂ©fĂ©rence d'Ă©poque d'un coup, c'est juste la coupe, le tombĂ©, la qualitĂ© et les proportions. Je suis sĂ»r que cette exposition, montrĂ©e comme cela, va influencer Ă©normĂ©ment la mode Ă  venir. 

Coeur Yves Saint Laurent en strass gris fumĂ©, cabochons en cristal rouge, perles blanches et pĂąte de verre conçu en 1962 et rĂ©Ă©ditĂ© en 1979 (maison Scemama). Collection MusĂ©e Yves Saint Laurent Paris. Ce coeur est exposĂ© au musĂ©e du Louvre dans le cadre de l'exposition "Yves Saint Laurent aux musĂ©es" (© Yves Saint Laurent @ Nicolas MathĂ©us)

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