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Vous voyez des tee-shirts Levi's partout ? Nous aussi, et on vous explique pourquoi

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le tee-shirt "batwing" de Levi's porté par une jeune cliente dans une boutique à Paris, le 23 octobre 2018. (ELODIE DROUARD / FRANCEINFO)

L'iconique tee-shirt de la marque américaine a fait un retour très remarqué ces derniers mois et ce n'est pas juste un hasard.

"C’est marrant que vous en parliez car c’est vrai que cet été, j’ai capté que tout le monde le portait", s’exclame Elsa Muse. Comme la jeune influenceuse, qui vient justement de collaborer avec la marque américaine pour l’ouverture à Paris d’une toute nouvelle boutique Levi’s consacrée aux femmes, impossible en effet de ne pas avoir remarqué que le tee-shirt star des années 90 a fait son grand retour en 2018. Hasard de la mode ? Stratégie marketing parfaitement orchestrée ? Franceinfo a enquêté sur les raisons de ce succès populaire.

Un présentoir proposant des tee-shirts Levi's à Paris, le 23 octobre 2018. (ELODIE DROUARD / FRANCEINFO)

A Paris, avenue des Champs-Elysées, dans le deuxième plus grand magasin Levi’s d’Europe, deux présentoirs proposant les fameux tee-shirts sont habilement disposés, un dans l'entrée en face des escaliers, un autre près des caisses. "Je ne t’en prendrai pas chéri, tu as suffisamment de tee-shirts", rétorque fermement une mère sollicitée par son jeune fils. Eden, elle, a déjà craqué et fait son entrée dans la boutique en arborant l’impeccable tee-shirt blanc orné du logo rouge. Pour cette lycéenne, pas de doute, ce tee-shirt, que la marque américaine surnomme le "batwing" ("aile de chauve-souris") en référence à la forme du logo inspiré du design arqué des coutures sur les poches arrière des jeans, est aujourd’hui "un basique que tout le monde porte".

Difficile de savoir combien de tee-shirts écoule quotidiennement le "flagship" (le magasin amiral), Levi’s "ne communique pas trop sur les chiffres", prévient l’attachée de presse de la marque. Mais ailleurs dans Paris, rue Etienne-Marcel, un vendeur confie écouler "entre dix et vingt pièces par jour de ce best-seller". Pour Delphine Robert, directrice de création du bureau de style Instinct, "on peut parler de phénomène de mode, et il peut s’expliquer par plusieurs raisons. L’une est que ce tee-shirt fait partie d’un revival 90's qui séduit les jeunes qui n’ont pas connu cette période."

Le retour des années 90

Même constat chez son confrère de Carlin Creative, Thomas Zylberman, spécialiste des tendances de la mode femme : "Aujourd’hui, tout ce qui fait référence aux années 90, cette période un peu délicate en terme de mode, est cool." Un intérêt qui s’explique par le regard fasciné que portent les "millennials" sur la dernière décennie de l’histoire quand internet n'existait pas.

Il y a une forme de curiosité pour cette époque où la technologie n‘était pas encore envahissante (...) comme s’ils percevaient ce qu’il y avait de bon à être hors de ce système un peu fou où les communications sont omniprésentes et où l’image de soi doit être tout le temps contrôlée.

Delphine Robert, directrice de création chez Instinct

à franceinfo

Et Levi’s incarne à la perfection cette "décennie durant laquelle la mode de la rue a commencé à se mélanger à celle des podiums", rappelle Thomas Zylberman. La marque a de quoi être nostalgique de ces années-là, qui avaient le goût du succès. En 1996, la marque américaine basée à San Francisco (Californie) déclarait fièrement 7,1 milliards de dollars de recettes, un record jamais égalé, rappelle le site Quartzy (en anglais). Les moins de 20 ans n’en ont pas le souvenir, mais le "batwing" cartonnait déjà à l’époque.

Le boom de la "logomania"

Ce revival "nineties" cache aussi une tendance plus évidente, qualifiée de "logomania" par les spécialistes de la mode et née à la suite d'un incroyable coup de génie de Vetements. En octobre 2015, lors de la fashion week parisienne, cette jeune et trublionne maison de couture ouvre son défilé par le créateur russe Gosha Rubchinskiy portant un faux tee-shirt DHL, groupe spécialisé dans le transport logistique.

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Le carton médiatique est immédiat et le produit, pourtant vendu 235 euros, se retrouve épuisé en quelques semaines, souligne The Guardian (en anglais). Il n’en fallait pas plus pour redonner ses lettres de noblesse au vêtement à logo, pourtant ringardisé depuis notre entrée dans le XXIe siècle.

Plus le logo est un peu rétro, un peu vintage, voire un peu ringard, plus il est cool.

Thomas Zylberman, designer femme chez Carlin Creative

à franceinfo

Signe d’appartenance quasi communautaire dans les années 90, le logo aujourd'hui porté de manière décomplexée est totalement détaché de sa mission première d’être un vecteur de publicité privilégié par les marques. "C’est juste devenu un imprimé normal", relève Eve Dupouy, responsable éditoriale chez Promostyl. Un avis partagé par l’influenceuse Camille Callen, plus connue sous le pseudonyme de Noholita. "Porter un logo, c’est plus une tendance qu’une publicité pour moi", explique la jeune fille, presque étonnée qu’on lui pose la question.

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Mieux, cet affranchissement de la marque serait en fait une forme de "volonté populaire", selon Thomas Zylberman. "On n’est pas dans une 'logomania' bête et méchante. Ce sont les gens qui décident de porter tel symbole ou tel logo, mais sans prétendre faire la promotion de la marque."

Le tee-shirt Levi’s, l’anti Supreme ?

Cette tendance a d’ailleurs profité à Supreme, une marque de streetwear qui a beaucoup fait parler d’elle ces dernières années, en transformant un simple hoodie orné du logo de la marque en un véritable graal. Un logo à l’origine rouge et blanc, tout comme celui de Levi’s. Hasard ? Pas vraiment si l’on en croit les bureaux de tendances parisiens. Car la marque Supreme est désormais régulièrement critiquée. Accusée de commercialiser des pièces de moins bonne qualité que par le passé, de proposer des collections moins inventives, de multiplier les collaborations et surtout, de favoriser le marché noir en produisant des pièces à tirage très limité, Supreme a perdu de sa superbe. "C’est vraiment devenu la marque du petit bourgeois qui veut ressembler aux loulous supercool mais qui a perdu finalement toute sa coolitude", analyse Thomas Zylberman. Et ce retour de flamme a profité à Levi’s.

Le tee-shirt Levi’s, c’était presque le tee-shirt pour celui qui n’avait pas les moyens de s’offrir un tee-shirt Supreme, et finalement, c’est lui qui est devenu cool.

Thomas Zylberman

à franceinfo

Tandis que le prix d’un tee-shirt "box logo" Supreme à la revente peut facilement dépasser les 1 000 euros, Levi’s propose son "batwing" à 20 euros. Un petit prix qui permet au tee-shirt d'être accessible et qui explique en partie pourquoi il est en tête des ventes de tee-shirts sur la plateforme Amazon depuis plusieurs mois.

Capture d'écran du site Amazon sur lequel le tee-shirt Levi's est numéro un des ventes de tee-shirts, en octobre 2018. (DR)

La puissance des réseaux sociaux

Et les bonnes nouvelles ne s'arrêtent pas pour Levi’s, dont l’iconique tee-shirt n'est pas le seul à être redevenu tendance. Les derniers chiffres communiqués par la marque témoignent d'un retour en force : elle vient d’enchaîner quatre trimestres consécutifs de croissance (à deux chiffres) de ses revenus, souligne le site Fashion Network. Un succès que l’on peut aussi attribuer aux réseaux sociaux, Instagram en tête. Quand, en janvier 2016, Kylie Jenner fait trois posts Instagram avec des photos d’elle portant un jean Levi’s, cette super influenceuse aux 117 millions d’abonnés lance la mode du "wedgie", un jean taille haute censé mettre en valeur les fesses.

Les influenceurs portent ça, donc on trouve ça cool. Il n’y a pas une profondeur de pensée derrière ça.

Delphine Robert

à franceinfo

L’impact des ces filles, suivies majoritairement par les "millennials" et la génération d'après, est phénoménal. "Dès que les sœurs Hadid ou Jenner portent quelque chose, c’est tout de suite étudié, repris et commercialisé derrière", assure Eve Dupouy, qui pointe le pouvoir de certaines influenceuses qui font, littéralement, la mode.

Si, au même moment, Gigi Hadid, Kendall Jenner et Hailey Baldwin s’affichent avec le même tee-shirt ou produit de beauté, c’est le carton assuré.

Eve Dupouy, responsable éditoriale chez Promostyl

à franceinfo

Un levier dont a su se saisir la marque Levi’s, très présente sur les réseaux sociaux. "Ils ont commencé très tôt à travailler avec le monde de l'influence avec lequel ils font des collaborations et même des cocréations comme récemment avec la plus grosse influenceuse du moment, l’Italienne Chiara Ferragni", relève Elsa Muse. Une méthode bien connue des bureaux de style. "La stratégie commerciale de Levi’s, c’est de payer des micro-influenceurs pour qu’ils portent les tee-shirts" assure Delphine Robert. La marque leur envoie aussi des vêtements en espérant que ces derniers les mettent en scène sur les réseaux sociaux. "Et pour jouer le jeu et leur faire plaisir, on tague nos contenus avec le hashtag #liveinlevis ou #ladysinlevis", avoue Elsa Muse. La jeune créatrice explique d’ailleurs que "la marque communique bien sur le fait qu’il faut mettre ce hashtag qui est souvent présent sur de la PLV (publicité) lors d’événements dont ils sont partenaires".

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L'idée custo du jour : cropper notre Graphic Tee iconique ! #LadiesInLevis #LiveInLevis #regram @amelie.dias

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Ajoutez à cela le côté multigénérationnel de la marque Levi’s et vous comprenez pourquoi ce tee-shirt a autant cartonné cet été dans le monde entier. Si vous êtes passé à côté, faut-il pour autant se précipiter pour acheter le best-seller du moment ? Pas forcément selon les experts des bureaux de tendances. Pour Delphine Robert, "on a dû atteindre le pic de la tendance cet été. L’été prochain, on dira de quelqu’un qui continue à le porter qu’il n’est pas moderne. Ou alors, il sera moderne dans son refus de se plier à la saisonnalité des produits." Un avis que partage Thomas Zylberman qui suggère plutôt "d’exhumer le tee-shirt que vous portiez en cours d’éducation physique en 5e". Bref, pour être tendance aujourd'hui, commencez par fouiller dans vos placards.

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