Un défilé intergénérationnel entre les étudiants de l'école de mode Lisaa et les seniors démontre que "l'audace n'a pas d'âge"
Un rapport de l’Association Petits Frères des Pauvres sur la vie affective, intime et sexuelle des seniors révèle que pour 71 % d'entre eux, un corps qui vieillit peut rester désirable.
L'Institut Supérieur des Arts Appliqués a organisé le 27 octobre un défilé atypique avec l’Association Petit Frères Des Pauvres. C'est sous les ors de la Mairie de Paris que 15 étudiants de Lisaa, main dans la main avec 25 personnes âgées, ont présenté leur travail dans un show où l'émotion transparaissait.
Les 40 looks étaient composés d'une tunique de couleur blanche porteuse de messages positifs sur la vieillesse -"un câlin remplace cent maux"; "i'm not old, i'm vintage", "golden âge", "l'audace n'a pas d'âge", "les fleurs fanent, pas nous", "le temps me donne la chance de savoir qui je suis"... - et d'accessoires réalisés à partir d'objets du quotidien upcyclés.
Un défilé de mode intergénérationnel et militant pour combattre l’âgisme, changer les regards et briser les clichés sur la vieillesse comme l'explique Anne Balas Klein, la directrice de Lisaa, qui évoque pour Franceinfo Culture la genèse du projet.
Franceinfo culture : dans notre société qui expose la beauté des corps jeunes plutôt que ceux des aînés considérés peu désirables, pourquoi organiser un défilé intergénérationnel ?
Anne Balas Klein : nos étudiants sont de plus en plus conscients et soucieux de l’importance des valeurs inclusives de notre société. Notre école porte ces valeurs au quotidien au travers de leurs projets collaboratifs : ASH (création de sneakers pour personnes à mobilité réduite), ventes aux enchères d’accessoires au profit de Coeur du Cinq (association caritative aidant les SDF), ventes de sacs au profit du Secours Populaire Français, dons de 35 machines à coudre pour des femmes en réinsertion...
L'école est aussi engagée dans la sensibilisation et l’accompagnement organisés par nos équipes : nous les sensibilisons au quotidien au respect des autres, à la diversité, qui est notre richesse, à la bienveillance et l'écoute dont nous faisons preuve à leur égard. Nous leurs proposons des rendez-vous gratuits auprès de deux associations : Apsytude (permanence à l’école tous les 15 jours) et Ucare (hotline 24/24), et l’équipe scolarité propose aussi des rendez-vous d’écoute et de suivi personnalisé.
Comment choisit-on ce type de projet ?
En général, ce sont des rencontres un peu improbables, par hasard. Comme nous sommes plutôt du genre enthousiaste face à des projets atypiques, on réfléchit pour que cela puisse répondre pédagogiquement à nos besoins. A chaque fois, il faut trouver avec nos partenaires des projets qui tiennent la route face à nos enjeux d'acquisition de compétences. C'est vraiment un travail et une réflexion communs.
Quel est le rôle des seniors alors que la Génération Z émerge comme la génération leader ?
Les seniors sont, aujourd’hui, un coeur de cible incontournable. Le pouvoir d’achat de cette population, plus active et en meilleure forme, est non négligeable pour l’économie de notre secteur.
En quoi cette collaboration a été positive pour les étudiants, les enseignants et les personnes âgées ?
Écouter les personnes âgées raconter leurs problématiques en terme de mobilité, de confort, de praticité, a beaucoup ému nos étudiants et nos équipes qui se sont sentis challengés utilement. Les seniors, eux, ont aimé la créativité et l’audace de la jeune génération. Les échanges ont été joyeux et très animés.
Pour les personnes âgées, cette collaboration a permis de les sortir de leur solitude pendant quelques jours. Émouvant aussi car nos étudiants ont vu leurs grands-parents à travers ces personnes, et ont pris conscience pour certains, qu'ils ne passaient pas assez de temps avec eux. Plusieurs nous ont dit qu'ils allaient s'organiser pour aller les voir ou les appeler plus souvent. Une étudiante a fait appel à sa grand-mère pour qu'elle porte sa tenue lors du jury de sélection qui s'est déroulé à l'issue de la semaine de workshop et ils sont nombreux à discuter avec une personne âgée qui habite dans notre rue et passe tous les jours devant l'école. Ils ne la remarquaient pas avant ! Cette collaboration les a marqués et les a fait changer de regard sur la vieillesse.
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Comment la nouvelle génération perçoit-elle la mode non genrée et inclusive ? Comment l’école répond-elle à cette tendance ?
Nos étudiants sont fortement influencés par ces tendances sociétales, plus de 50% des collections conçues à l’école sont non genrées et inclusives. Les cours sont marqués par ces questions de fond et les débats se multiplient entre étudiants et intervenants. C'est assez naturel chez eux : pour la plupart, la question du genre ne se pose même pas, ils sont dans un schéma non-binaire. Pour nous, cela n'est pas une tendance mais plutôt une évolution de la société. Nos enseignants formulent leurs sujets dans ce sens. Nous collaborons depuis plusieurs années avec des cabinets de tendance reconnus et depuis deux ans les briefs sont rédigés avec cette dimension inclusive. Cette année, un des grands thèmes sur lequel ils travaillent s'intitule Fluidity.
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Upcycling et durabilité sont des mots clefs aujourd’hui. Comment Lisaa incarne les besoins de cette société plus écologique ? Cette collection intergénérationnelle est-elle basée sur ces critères ?
Depuis très longtemps, ces questions nous préoccupent. Nous travaillons chaque année avec des associations caritatives, à l’instar du Secours Populaire Français ou d’Emmaüs. Nous récupérons également les surplus matières, fournitures et vêtements des grandes maisons de mode, qui sont upcyclés par nos étudiants.
Pour ce défilé, l’ensemble des tissus ont été fournis par Uptrade, dont la spécialité est de revaloriser les stocks de tissus dormants. Les accessoires ont tous été réalisés à partir d'objets et de matériaux divers que nos étudiants ont collectés : ils avaient pour mission de donner une seconde vie à des objets voués à être jetés en les faisant renaître sous forme d'accessoires XXL.
Comment s'est déroulé ce projet ?
Nos 140 étudiants de 3e année Bachelor Stylisme-Design de mode ont travaillé en binôme à la création d'un look accessoirisé. Chacun des 70 binômes a réinterprété une tunique, unisexe, de taille unique, de couleur blanche, support de messages positifs sur la vieillesse. Ce vêtement sobre étant destiné à mettre en valeur les accessoires, pièces phares du défilé. Il n'était pas possible de faire du sur-mesure, ni de faire un vêtement destiné à un seul individu... on a tous les formats de seniors (petits, grands...) qui défilent et ce ne sont pas des mannequins. On a pris le parti d'un système portable par tous : un accessoire sublimé.
Lors d'un précédent projet, on avait travaillé sur de l'upcycling de vêtements et on trouvait intéressant de le penser différemment, cette fois-ci, c'est-à-dire en récupération d'objets du quotidien. De la vaisselle, des chutes de matériaux, des jouets... ont été transformés en accessoires de mode (collier, bracelet, lunette, gant....). Nous sommes dans une optique événementielle avec ce défilé de mode, donc les accessoires sont de taille XXL. Ils sont impressionnants !
Avez-vous rencontré des difficultés ?
La contrainte de l'upcycling a été la plus grande difficulté: nos étudiants ont dû faire preuve d'imagination et d'innovation pour sublimer ces objets de rebut, avec parfois de vrais challenges techniques.
Combien de looks ont été réalisé ?
Après sélection, 40 looks ont défilé sur des mannequins d'un jour plus ou moins jeunes : 15 étudiants de l'école et 25 personnes âgées. On a organisé un casting à l'école avec des volontaires issus de classes de 1re, 2e, 3e année et Bachelor. C'est bien d'avoir un peu de transversalité entre les années : cela permet aux autres élèves de savoir que les troisièmes années travaillaient sur ce projet caritatif
Que vont devenir ces accessoires ?
L’Association Petit Frères Des Pauvres souhaite organiser une vente aux enchères des tenues et des accessoires. Nos étudiants ne sont pas obligés d'y participer mais la plupart d'entre eux trouvent bien d'aller jusqu'au bout. On habitue nos étudiants à couper le cordon ombilical avec leur production même s'ils sont attachés à ce qu'ils font. Là en l'occurrence ce sont des accessoires un peu dingues, cela sera plus compliqué à vendre car c'est à la limite de "l'objet d'art".
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