"Peu de matériaux au monde peuvent prétendre à cette durée de vie" : matière naturelle, le cuir se réinvente
Né de la revalorisation d’un déchet, le cuir est une matière naturelle et durable qui a un potentiel intrinsèquement circulaire car il est fabriqué de manière responsable et revendique les vertus d’une économie de recyclage.
Depuis la nuit des temps, l’homme récupère la peau des animaux dont il se nourrit pour la transformer et s’en vêtir. Cette réutilisation d’une partie de l’animal destinée à être jetée fait de l’industrie du cuir un exemple de surcyclage (upcycling) - récupérer des matériaux ou produits non-utilisés pour les transformer en matériaux ou produits de qualité et/ou d’utilité supérieure.
Carine Montarras, cheffe de projet mode chez Première Vision, soulignait lors du salon Fashion Rendez-Vous, qui s'est tenu les 30 juin et 1er juillet 2021 à Paris, que "le total des déchets de l’industrie alimentaire évité, grâce à la Filière Française du Cuir, représente 170.000 tonnes par an, soit l’équivalent du poids de 24 Tours Eiffel".
Soumise à une réglementation stricte, l'industrie de la tannerie étend les performances du cuir en le rendant plus innovant et en développant une nouvelle génération de matières. Réputé pour sa qualité et sa résistance dans le temps, le cuir peut être réparé, faire l'objet d'achats de seconde main ou de location... et s'inscrit donc dans une démarche d'économie circulaire. Explications.
Cuir synthétique, vegan, végétal : des indications erronées
Des matériaux - que certaines marques nomment cuir "vegan" ou "végétal" - sont devenus tendances, ces dernières années, car ils ont été présentés comme plus éthiques que le cuir (pour répondre aux besoins des consommateurs qui recherchent des marques responsables s'engageant dans une démarche écologique et respectueuse de l'environnement). L'argument de la cruauté envers les animaux et la défense du cuir végétalien étant alors mis en avant, au point que des consommateurs et des créateurs s'en sont détourné : Karl Lagerfeld a cessé d'utiliser les peaux exotiques en 2020 tandis qu'Américan Vintage a arrêté l'angora en 2021.
Pourtant "sont exclues de l’appellation cuir, les matières non issues de la transformation de la peau animale" indique le Conseil National du Cuir et, notamment, les matériaux synthétiques issus de la pétrochimie ou d’origine végétale. Cet abus de langage peut tromper le consommateur. Selon un décret de 2010 : "est appelée cuir, toute matière issue de la peau tannée d’un animal (vache, agneau, chèvre, poisson...) mais ne peut pas être appelée cuir toute matière d’origine synthétique ou végétale présentant un aspect semblable à celui du cuir". Ainsi cuir "vegan", "de bois", "de pomme", "d’ananas", "de champignons", "éco-cuir", "simili-cuir", "de synthèse", "flyleather" et"de fruits" sont des appellations erronées.
Le consommateur doit aussi prêter attention à l'usage des dénominations "cuir végétal" et "cuir tannage végétal", qui doivent "faire référence à des cuirs tannés grâce à l’utilisation de tannins végétaux (chêne, hêtre...)" précise encore Carine Montarras, cheffe de projet mode chez Première Vision. Ainsi la marque de maroquinerie Pranay, qui a opté pour des cuirs au tannage végétal, utilise des produits naturels comme les écorces d’arbre ou les boutons de rose qui rendent le cuir solide, résistant à l’eau et imputrescible.
Les matières alternatives au cuir
Le FILK (Institute For Leather & Synthetic Materials), institut allemand d’essai et de recherche, a publié une étude comparative sur les propriétés physiques du cuir et de neuf matières dites alternatives composées de cactus, de pomme, d'ananas, de champignons et d'autres végétaux. L'étude révéle "qu'aucune de ces matières alternatives ne présente les qualités naturelles du cuir en matière d’usage, de longévité et de résistance à la craquelure, à la perméabilité, à l’absorption de l’eau et à la déchirure". Cette étude montre également que certains de ces matériaux "contiennent une part de composants d’origine synthétique (comme par exemple le polyuréthane) voire des traces de substances nocives pour la santé (comme les phtalates)".
"Ces nouveaux matériaux ont été développés pour remplacer les simili-cuir comme le skaï" précise Carine Montarras. "Ce sont des toiles enduites à impact écologique réduit réalisées, par exemple, avec un matériau bio sourcé (issu de la filière alimentaire) mélangé à un liant (du polyurethane) sur une toile (Apple skin - Frumat, Vegéa, Pinatex...). Ils ont des niveaux de durabilité différents du cuir mais ils ne sont pas bio dégradables".
Par ailleurs, les sociétés de biotechnologies, les designers et les artisans sont en train de mettre au point "des produits intéressants à base d'algues, de mycellium..." indique-t-elle.
Tracabilité du cuir
À l’heure où le consommateur, en quête de green attitude, se mobilise pour le devenir de la planète, il exige de plus en plus d'informations sur l’origine des peaux. Que ce soit pour améliorer la qualité des peaux ou pour garantir l’origine d’un cuir, les tanneurs et mégissiers français sont soumis à des réglementations strictes en matière d’environnement et de pratiques vertueuses rappelle le Conseil National du cuir : "La France est, aujourd’hui, innovante en proposant le marquage au laser des peaux brutes, traditionnellement marquées par lots, jusqu’aux étapes de transformation. Cette technique permet à l’abattoir d’assurer une traçabilité entre l’animal et la peau en la marquant, au laser, d’un code unique".
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Issu d’une matière première naturelle, le cuir est résistant, imputrescible et respirant. Sa souplesse et son élasticité lui confèrent de nombreuses applications et un touché inimitable grâce à l'industrie de la tannerie qui étend ses performances en le rendant toujours plus innovant : déperlant, lavable en machine, imprimable, parfumé, extensible, ultra léger, tactile…
"ll y a ussi des cuirs recyclés et d'autres surcyclés (revalorisation de peaux de saumon et d'esturgeon, de lapin dont les aspects sont assez proches des peaux exotiques...)" précise encore Carine Montarras. D'ores et déjà, des marques sont engagées dans cette voie. Nat & Nin développe des accessoires en cuir recyclé : les morceaux de cuir récupérés sont rassemblés puis broyés et mélangés à du latex naturel pour créer un cabas et deux pochettes en finition noir mat brillant. Cette gamme produite à partir de cuir reconstitué s’inscrit dans une démarche de durabilité et vient s’ajouter à une ligne tannage végétal présente depuis 2019. La marque de chaussures éco-responsables et féminines, Être Amis lutte, quant à elle, contre le gaspillage en redonnant une nouvelle vie à des matières de qualité issues de stocks non utilisés. Elle chine des cuirs, des talons et des formes issus de stocks dormants, de surproduction, d'archives ou de collections vintage.
Réparation, seconde main et location en hausse
Avec l’envie d'une consommation plus durable, la valeur d’usage se réinvente et les moyens pour allonger la durée de vie des produits se multiplient. Réputé pour sa qualité et sa solidité, le cuir favorise la réparation, les achats de seconde main et le recours à la location.
La restauration de sacs ou de chaussures a toujours été pratiquée chez les artisans du cuir. La marque française de sneakers Sessile propose des modèles éco-conçus, réparables et fabriqués en France à partir de composants naturels ou le plus possible recyclés ou recyclables. L’entreprise a aussi inventé un procédé de démontage de la chaussure : une fois usées, elles peuvent être renvoyées au fabricant pour être traitées et remises sur le marché de la seconde main. Si elles sont trop abîmées, elles sont alors recyclées et transformées en semelles. Le chausseur Philippe Zorzetto s'est associé à Sessile pour créer des sneakers green réalisées avec des matières premières éco-conçues (cuir au tannage végétal, semelles en caoutchouc recyclé) qui sont confectionnées en France dans l'atelier français Manufacture 49.
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Le cuir s’oppose à l’obsolescence comme le soulignait la direction de J.M Weston : "Nous avons la chance que nos clients portent longtemps nos modèles aux pieds. Cela nous laisse le temps de leur expliquer que nous concevons nos modèles dans l’idée de les porter toute une vie, voire de les transmettre un jour. Ceci suppose de pouvoir s’appuyer sur des services de réparation qui peuvent aujourd’hui aller jusqu’au remontage complet de la chaussure pour suivre les nouvelles tendances, et ceci tout en gardant les propriétés de patine de la tige. Peu de matériaux au monde peuvent prétendre à cette durée de vie à travers plusieurs générations". Les grandes marques qui oeuvrent à l’export (Kering, LVMH, Hermès…) ont également développé des ateliers et forment des artisans dans les grandes villes du monde.
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Avec le vintage et la seconde main, qui permettent de recycler des vêtements ou accessoires déjà portés, fini la surconsommation. Le cuir dans ce domaine présente des atouts : résistant, il se patine avec noblesse et peut se transmettre de génération en génération et séduit désormais les jeunes. Clara Chappaz, Chief of Growth Officer chez Vestiaire Collective, souligne que, depuis la création de la plateforme de seconde main, la typologie des clients s’est élargie au-delà des jeunes générations Y et Z (30 ans et moins), plus favorables à l’usage qu’à la possession. Aujourd’hui des clients sont aussi attirés pour des raisons liées au prix de la seconde main et d’autres à la recherche de produits vintage qui reprennent une réelle valeur.
Enfin, l’Atelier Bocage de location de chaussures, rencontre, lui aussi, un réel succès : "presque 2 000 abonnés en un an sur la plateforme", précise Jean-Olivier Michaux, directeur industriel du groupe Eram, qui rappelle que le groupe s’est engagé dans un programme Change for Good qui souhaite répondre aux nouveaux usages des consommateurs.
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