"Nous, on indique tout le processus, de l'origine à la confection" : la marque de textile outdoor Lagoped relève le pari de plus de transparence
Depuis le 1er janvier 2023, l'article 13 de la loi AGEC (Anti Gaspillage pour une Economie Circulaire) contraint les grandes marques de l'habillement à davantage de transparence en matière de traçabilité tandis que l'article 2 de la loi Climat et Résilience exige un étiquetage environnemental des TLC (textiles, linge de maison, chaussures).
Créée en 2018 par Christophe Cordonnier, Julien Désécures et Pierre Derieux, Lagoped propose une vision du textile outdoor éthique et responsable. Vêtements et accessoires sont fabriqués du fil au vêtement, à partir de matières recyclées, en Europe afin de privilégier les circuits courts. Rencontre avec l'un des co-fondateurs, Christophe Cordonnier, qui nous explique pourquoi sa marque a fait le choix d'appliquer ces lois avant l'heure.
Franceinfo culture : avant d'appliquer les lois AGEC et Climat et Résilience, vous aviez déjà entrepris des actions pour offrir plus de transparence aux consommateurs ?
Christophe Cordonnier : Oui. Depuis le début, on donne une transparence forte sur nos produits : notre ADN, c'est de maîtriser les impacts et donc les chaînes de valeurs utilisées. C'est pour cela que l'on fait de la fabrication - du fil au vêtement - en Union Européenne et en économie circulaire avec des matières recyclables, où l'on a un degré de traçabilité très fort. Ces lois, c'est un degré de plus puisqu'il y a une formalisation plus forte de la collecte d'informations.
La loi AGEC exige des entreprises du textile/habillement de communiquer la traçabilité de leur produit. C'est-à-dire ?
La loi AGEC oblige depuis le 1er janvier 2023 les sociétés à déclarer la traçabilité depuis le tricotage/tissage (la réalisation de la matière), puis la teinture et la confection. Nous communiquons également sur deux étapes qui précèdent : la filature et la matière première (les fibres avec lesquelles on réalise le fil). On va au-delà de la loi AGEC puisqu'on indique tout le processus, de l'origine à la confection.
Quelles sont les entreprises concernées par cette loi ?
Aujourd'hui, ce sont sur le marché français les entreprises qui font plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires. De notre côté, on n'est pas du tout à ce niveau-là avec plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires mais on a devancé l'obligation. Ce seuil diminue chaque année [d'ici deux ans, il sera abaissé à 10 millions d'euros].
L'entreprise doit mettre à disposition "sous un format dématérialisé, accessible sans frais en amont et au moment de l'acte d'achat une fiche produit relative aux qualités et caractéristiques environnementales"
Oui. Le consommateur va suivre le parcours géographique réalisé par son vêtement. On donne la traçabilité complète de la loi AGEC étendue depuis l'origine des matières en passant par le pourcentage de matières recyclées utilisées et la présence ou non de micro plastique. Sur notre site, outre la fiche produit, il y a aussi l'éco-score avec ses 16 points d'impacts environnementaux. Ils sont classés en trois familles : la moitié concernent la santé humaine, plus du quart l'utilisation des ressources naturelles et le dernier quart l'impact biodiversité.
Comment avez-vous procédé ?
Pour le calcul, on passe par Peftrust, une société externe qui applique les méthodologies de la Commission européenne et va chercher les informations (composition, lieux de fabrication, process de fabrication) dans notre outil de création de collection. L'objectif de cette législation, c'est que les gens sachent précisément ce qu'ils font : si on ne sait pas ce que l'on fait, on va avoir du mal à savoir quel est son impact !
En parallèle de la loi AGEC, il y a la loi Climat et Résilience sur l'affichage environnemental. À l’image du Nutri-Score dans l’alimentaire, chaque vêtement obtient un score présenté sous la forme d’une note. Comment est mesurée cette empreinte environnementale ?
La loi Climat et Résilience, c'est l'éco-score, c'est-à-dire l'information sur l'impact environnemental. Pour mesurer cette empreinte la plateforme Peftrust utilise la méthode standard européenne PEF (Product Environmental Footprint) recommandée par la Commission européenne. Elle calcule l’éco-score de chaque produit en le comparant à son produit de référence. L'empreinte se matérialise par un score sous la forme d’une lettre (ABCDE). Pour l'obtenir, il faut faire une Analyse du Cycle de Vie (ACV) consistant à mesurer chaque composant du vêtement par rapport à 16 impacts environnementaux, de la matière première à la fin de vie. Par convention, le produit de référence est - sur une échelle de 0 à 100 - placé à 50 au milieu et correspond à un C. Si l'éco-score est entre 0 et 20, c'est la note A.
Certains de ces impacts environnementaux (santé humaine, ressources naturelles et éco-système) ont forgé l'ADN de notre marque : le changement climatique, la consommation d'eau et l'utilisation des sols ont ainsi guidé notre choix d'économie circulaire plutôt que de faire des matières organiques. C'est un outil d'éco design intéressant : comme on a le détail complet, on peut voir si une matière génère un impact un peu supérieur et comment le minimiser. Cela nous permet de voir les axes d'amélioration.
Vous êtes l'une des premières marques à publier vos éco-scores et vous êtes en avance sur la législation puisque votre chiffre d'affaires est inférieur au C.A. concerné (supérieur à 50 millions d’euros avec mises sur le marché de 25 000 unités/an). Pourquoi avoir devancé l'obligation ?
L'intérêt pour nous était de montrer que si c'est possible pour une petite marque, c'est largement possible pour une très grosse marque qui a beaucoup plus de moyens et de ressources. L'éco-score nous a motivé car il nous permettait de devenir plus audible sur le marché et de vérifier scientifiquement - et à un coût acceptable - que notre idée était validée. C'est une manière scientifique, indépendante, tangible et non partisane, de communiquer de manière transparente auprès de nos clients.
C'est l'introduction de la régulation du marché textile : aujourd'hui il n'y a aucune réglementation, si ce n'est de marquer la composition des vêtements et les instructions de lavage. Là, c'est plus étayé et cela permet aux régulateurs européens de taper sur les doigts des marques qui font des allégations environnementales mensongères. Cet outil donne un peu de structure à ce marché et permet de dénoncer le greenwashing. La traçabilité, c'est aussi un peu la fin de la définition juridique du "made in" que la loi AGEC vient bousculer. A terme, le "made in" va être remplacé ou réformé puisque désormais on pourra voir, par exemple, sur la fiche produit les mentions suivantes : tissage en Inde, teinture-impression en Inde et confection en France.
Ces méthodes, qui permettent aux consommateurs de devenir acteurs de leur achat, sont-elles suffisantes ?
Suffisantes je ne sais pas, mais nécessaires. Sachant que le consommateur demande cette information véritable et transparente.
Aujourd’hui, les vêtements copient l’alimentation en se concentrant sur le bio par exemple mais faire du neuf avec du vieux n'est-il pas le moyen de réduire notre impact environnemental sur les sols, l’eau et la biodiversité ?
Je suis complètement convaincu qu'il faut que l'on change notre manière de voir notre environnement. Je pense que l'on pivote vers une nouvelle phase. On a découvert le bio, on mange bio et on a voulu s'habiller bio. Ce n'est pas forcément une bonne idée : il faut sortir de cette logique d'exploitation de la nature ou la minimiser pour réduire son impact. Lapoped, ce sont des vêtements pour les sports de nature, donc très proches de la nature dans laquelle on aime passer du temps. Ma conviction est que moins l'on touche à la nature, mieux elle se porte. Réservons les terres arables et l'eau pour l'alimentation humaine !
L'économie circulaire permet d'y puiser moins de ressources : elle est très vertueuse pour son impact environnemental. A chaque fois qu'on peut faire du neuf avec du vieux, on développe des éco-systèmes plus locaux avec de la valorisation de déchets. Il faut ainsi tendre vers plus du recyclage post consommation, c'est-à-dire capter le vêtement qui n'est pas re-commercialisable et refaire du fil à partir de ce dernier. Des filières sont en train de se développer. C'est une logique de ré-industrialisation de la fabrication en captant le flux des matières en circulation pour le revaloriser.
Aujourd'hui, si je fais un t-shirt en jersey recyclé, il va être plus cher qu'un t-shirt en coton bio. Il y a une aberration économique : le recyclé doit être moins cher, c'est un déchet pour lequel on a utilisé beaucoup moins de monde et de ressources. La raison est simple : il n'est pas produit au même endroit : le coût environnemental et social n'est pas prix en compte dans le prix, sauf s'il est produit dans l'UE.
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