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Vever, la maison de joaillerie Art nouveau, prend le tournant écologique pour sa renaissance

Le Musée des Arts Décoratifs à Paris expose des bijoux Vever mais il aura fallu 2021 pour que cette maison de joaillerie, riche de deux siècles d'histoire, renaisse après presque 40 ans d'arrêt. Retour sur une relance engagée par la septième génération.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 13min
Boucle d'oreille en or recylé de la maison de joaillerie Vever (Sofia Sanchez et Mauro Mongiello)

Ces dernières années, des griffes de mode iconiques comme Patou, Poiret et Vionnet se sont relancées mais ce mouvement a été peu suivi par les joailliers. Vever fait figure d'exception. Joaillier né en 1821 dans l’Est de la France et installé dès 1871 rue de la Paix à Paris, il a connu son apogée au début du XXe siècle grâce à l’audace et à la créativité des bijoux Art nouveau d’Henri et de Paul Vever qui enchantent alors têtes couronnées et personnalités de la Belle Époque.

L'histoire de la maison de joaillerie Vever
L'histoire de la maison de joaillerie Art nouveau Vever L'histoire de la maison de joaillerie Vever (Vever)

Henri Vever est très connu dans l'histoire de la joaillerie car il a écrit un livre, en trois volumes, La bijouterie française au XIXe siècle. Bible de l'histoire de la joaillerie, il est encore édité aujourd'hui et toujours enseigné aux étudiants de joaillerie. Estimé internationalement dans le monde des arts et des ventes aux enchères, Henri Vever remporte également au tournant du siècle quatre grands prix aux Expositions Universelles et ses pièces figurent dans les plus grands musées.

A partir de 1925, la créativité commence un peu à s'éteindre : la maison est reprise par les générations successives avant de fermer en 1982, rue de la Paix. Elle ressuscite pour son bicentenaire en 2021 sous l’impulsion de la septième génération de la dynastie joaillière, Camille et son frère Damien Vever. 121 ans après avoir remporté le Grand Prix à l’Exposition Universelle de Paris de 1900, Vever expose, à l’occasion de la Biennale, autour de pièces d’archives, ses nouvelles créations de haute joaillerie et ses bijoux imaginés par Sandrine de Laage, la directrice artistique.

Un renouveau qui s'inscrit dans le monde de demain, avec une joaillerie toujours inspirée de l'Art nouveau, mais revisitée avec l'utilisation de matériaux écologiques. Rencontre avec Camille Vever, co-PDG de cette maison désormais entreprise à mission.

Camille Vever, co-directrice de la maison de joaillerie Vever  (Courtesy of Vever)

Franceinfo Culture : Des pièces Vever sont exposées à la Galerie des bijoux du MAD, au Musée d'Orsay et au Petit Palais, mais aussi dans des musées aux États-Unis. Donc en dépit de sa disparition, son patrimoine est toujours visible ?

Camille Vever, co-PDG : La plus grande collection de bijoux Vever se trouve au Musée des Arts Décoratifs à Paris puisqu'il y a 350 pièces qui ont été données au MAD. Une dizaine seulement sont exposées, toutes les autres sont en réserve. En effet, beaucoup d'autres musées détiennent des bijoux Vever dont ils ont été acquéreurs dans le cadre de ventes et il y a aussi beaucoup de collectionneurs qui en possèdent.

Peigne de la maison de joaillerie Vever présenté à l'exposition universelle de 1900 à Paris. En ivoire, or, opales et émail translucide à jour, il est exposé à la galerie des bijoux du Musée des Arts Décoratifs à Paris (v)

Aujourd'hui, c'est un peu le mystère et l'on se demande où ils sont tous passés ! Dans les ventes aux enchères, j'essaye d'en récupérer. J'ai eu accès aux archives photographiques du MAD où sont toutes les photos des bijoux et il y en a eu vraiment de nombreux. Surtout que Vever, qui a fait de la haute joaillerie et de la bijouterie, ne s'est pas illustré uniquement sur la partie Art nouveau, c'était vraiment un joaillier qui avait des pièces très imposantes, des parures sublimes avec des diamants énormes. Mais aujourd'hui souvent les bijoux sont démontés, les pierres sont réutilisées... 

Pendentif Sylvia maison Vever présenté à l'exposition universelle de 1900 à Paris. En or, agathe, rubis, diamants, émail translucide à jour, ce bijou est exposé à la galerie des bijoux du MAD  (Jean Tholance)

Avez-vous des souvenirs liés à l'entreprise familiale ? 

En fait, mon père n'en parlait pas trop car c'étaient des souvenirs assez douloureux puisque c'est son père qui a fermé la boutique de la rue de la Paix à Paris. En revanche maman, qui n'est pas née Vever, elle en parlait et nous emmenait aux musées. On possède, cependant, très peu de bijoux puisque la plupart ont été donnés au MAD.

Quel a été le déclic pour relancer cette maison mise en sommeil depuis 1982 ?

J'avais cette envie au fond de moi, on a tous des envies mais il faut avoir le courage de les mettre en pratique. J'ai eu un déclic. J'étais directrice générale d'une société dans le domaine de la recherche clinique qui effectuait des tests sur des patients volontaires, atteints ou non de pathologies. En fait, je ne connaissais absolument rien à la recherche clinique mais je travaillais avec des gens plus compétents que moi dans leur domaine. Je suis parvenue à développer et remettre sur les rails cette société qui connaissait des problématiques opérationnelles de réorganisation et de développement. A partir de là, je me suis dit si je suis capable de réorganiser cette société, alors que je ne connaissais rien au secteur, je peux relancer la maison familiale. J'avais 39 ans. 

Vous êtes la première maison joaillière à avoir opté pour le statut d'entreprise à mission

Quand j'ai relancé la maison de joaillerie, je voulais qu'elle corresponde à mes valeurs et à mes convictions, c'était indispensable. Quand vous achetez un bijou pour l'offrir, c'est tellement beau, il y a vraiment cette notion d'amour, de transmission. Pour moi, il fallait que les matériaux également reflètent la beauté du bijou. Donc très rapidement, j'ai regardé ce qui pouvait s'offrir à moi en tant que matériaux éco-responsables et j'ai découvert les diamants de laboratoire et l'or recyclé. Je voulais absolument valoriser le travail artisanal et le savoir-faire français.

Mais pourquoi un statut d'entreprise à mission ?

Je me suis dit aussi qu'il fallait apporter de la transparence aux clients. Je voulais avoir une sorte de statut, de contrainte, de garde-fou et avec le statut d'entreprise à mission, je ne peux pas y déroger ! Je voulais vraiment que cela soit inscrit. Ce statut, c'est quand même répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux que vous intégrez dans votre business modèle. Notre mission, c'est proposer une joaillerie responsable de l'homme et la nature et à partir de là on a intégré trois objectifs : l'environnement et les matériaux éco-responsables, c'est-à-dire que l'on n'utilise pas de pierres extraites de mine. Le deuxième objectif, c'est que tout doit être fabriqué en France. Et le troisième, c'est l'accompagnement de femmes dans l'entrepreunariat. Par rapport à ces trois objectifs, on a des indicateurs clefs au niveau de la production, du choix des matériaux et de la sélection de nos partenaires. On a un comité de mission (un actionnaire, un fournisseur, un salarié, moi-même et mon frère et une personne experte de la partie éco-responsable - Anne Mollet, directrice générale de la Communauté des Entreprises à Mission) qui se réunit une fois par trimestre et donne des conseils et des recommandations. 

Vous avez donc fait le choix d'avoir des matériaux responsables comme le diamant de laboratoire et l'or recyclé, mais aussi de produire en France. 

Oui, on utilise des diamants créés en laboratoire. Je m'étais posé la question des diamants de seconde main mais je n'ai pas choisi cette option car il n'y a pas de label pour ce type de diamant. Mais aussi question business modèle, on a des bagues avec du volume et c'est compliqué de trouver des diamants de seconde main en quantité et exactement du même calibre. J'ai aussi fait le choix du diamant de laboratoire car je n'ai pas les problématiques liées aux diamants de mine. Aujourd'hui, je n'ai pas les moyens de m'assurer que mon diamant de mine est extrait selon mes valeurs. Avec le diamant de laboratoire, je n'ai pas certaines problématiques à me poser : celle du blanchiment d'argent, de la rétro-commission, des conditions de travail et des diamants de conflits... Je travaille avec des producteurs labelisés SCS (Subtainability Rated Diamonds), ce qui veut dire que tout est traçable sur les critères ESG (environnementaux, sociétaux et liés à la gouvernance). Pour moi, c'est une assurance et un confort. Nos diamants sont produits et taillés en Inde.

Et pour l'or ?

Pour l'or, je me suis dit : 80% des réserves d'or ont été déjà extraites. Il y a plus d'or au-dessus qu'en dessous de la terre donc j'utilise ce qui existe déjà, l'or recylé. Ce sont des fondeurs qui travaillent avec des affineurs (la SAAMP) et ils ont un label RJC (Responsible Jewellery Council) qui assure que l'or utilisé est bien de l'or recyclé. On travaille avec deux ateliers à Paris, un pour la haute joaillerie, un autre pour la joaillerie. Nos écrins sont aussi fabriqués à la main à Pantin avec du papier recyclable et des chutes de satin issues de maisons de haute couture. 

Vous utilisez de l'émail comme à l'origine de la maison ?

On utilise aussi des perles de culture et de l'ivoire végétal mais pas de pierres de couleurs. On apporte de la couleur avec des émaux de différentes teintes travaillés selon la technique complexe de l'émail "plique à jour" très utilisée pendant l'Art nouveau mais aujourd'hui abandonnée par les joailliers, car c'est complexe et cher. C'est Sandrine Tessier meilleure ouvrière de France qui le travaille pour nous. L'objectif, c'est quand même de valoriser le savoir-faire et l'artisanat français. Pour la production en France, c'est oui, et c'est même un devoir. La joaillerie est française, elle doit rester française et il ne faut pas que tout ce savoir-faire disparaisse : il faut l'aider à le pérenniser en produisant des bijoux en France. 

La bague fleur Ginkgo de la maison Vever (Courtesy of Vever)

Sandrine de Laage est la directrice artistique : quelles directives avait-elle pour lancer ces nouvelles créations tout en respectant l'ADN Art nouveau originel ? 

Elle a un talent inné pour plonger dans l'ADN de la marque, en faire rejaillir toute sa substance et la faire revivre dans un nouveau contexte au XXIe siècle. On s'est dans un premier temps posé la question : quel est l'ADN de Vever ? Ce qui représente le plus la maison, c'est la période Art nouveau et ses trois thématiques : la femme, la faune et la flore. On propose une collection haute joaillerie d'une trentaine de pièces et une de joaillerie de soixante-dix pièces. Nos créations sont déclinées autour de trois lignes : les créatures fantastiques, Ginko et Elixir.

Les créatures fantastiques, c'est un monde fantasmagorique avec des Impératrices, des Nymphes et des Déesses dans un monde décliné autour de la métamorphose de la faune et de la flore avec l'emploi de transparences au niveau des matériaux. Ces créations ont un côté mystérieux, imaginaire, un peu fantastique que Sandrine a réintégré version XXIe siècle. Quant à la fleur de Ginko, elle n'existe pas, elle a été reconstituée à partir de trois feuilles qui se déploient en fleur. On joue ici sur le travail de l'or - satiné, texturé à la main... - avec des créations qui se glissent au poignet, à l'oreille et s'attachent autour du cou. Enfin la collection Elixir d'une apparente simplicité est extrêmement travaillée. Elle se décline autour du végétal avec, par exemple, un serti Vever qui a été créé avec un jonc comme une liane d'or et de diamants qui s'enroule autour du doigt, de l'oreille.  

Vous avez fait le choix d'un business modèle de production à la commande. 

Essentiellement, bien que l'on ait un petit peu de stocks notamment pour les produits qui marchent très forts. Nous avons un espace de 20 m2 au Printemps Haussman à Paris : l'objectif est de se faire connaître en France mais en parallèle on développe à l'international. 

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