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"Oiseaux de paradis, aigrettes, perroquets sont strictement interdits !" : Julien Vermeulen, maître artisan plumassier au service de la haute couture et de l'art

Les couturiers, qui défilent pendant la semaine parisienne de la haute couture automne-hiver 2023-24 jusqu' au 6 juillet, font régulièrement appel à des artisans. L’un d'entre eux, l'artiste plasticien Julien Vermeulen s’exprime au moyen d’une matière volatile, la plume, à qui il donne une force à la fois sculpturale et picturale. Rencontre.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Julien Vermeulen, un maitre artisan plumassier moderne au service de la haute couture et de l'art (ANTOINE LIPPENS)

Titulaire d’un BTS en Design de mode et d’une licence en Arts plastiques et Sciences de l’art, Julien Vermeulen collabore avec des maisons de haute couture et de joaillerie depuis 2015. Lauréat en 2018 du Prix de la Fondation Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main-Talents d’exception, ses créations ont intégré les collections du Musée des Arts Décoratifs de Paris et du Mobilier National.

Rencontre avec un artisan plumassier qui brûle, frise, colore et tisse des plumes pour des créations haute couture mais aussi des tableaux, des sculptures et des ornements décoratifs. Découverte avec ce passionné d'un métier souvent méconnu et oublié.

Franceinfo culture : quand avez-vous découvert l’univers de la plume ? Quel a été le déclic ?
Julien Vermeulen
: j'ai fait une formation de design de mode et j'avais commencé à m'orienter vers les accessoires et les chaussures : je suis passé chez Louboutin notamment. Puis chez Jean Paul Gaultier, j'ai découvert la plume, cela a été une révélation : c'est une matière qui permet tout. Je suis quelqu'un de très curieux : c'est un univers où il y a de l'histoire, des sciences, de la mode, un peu de philosophie, de nouvelles technologies... C'est un métier très complet qui nourrit un peu toutes mes passions. Après j'ai fait un CAP plumassier au Lycée Octave Feuillet, seul établissement en France et même dans le monde à enseigner ce métier. Lors de mon apprentissage chez Lemarié, j'ai eu la chance d'avoir comme maître une des dernières anciennes de l'atelier avec 45 ans d'expérience : elle m'a transmis tout ce qu'elle savait. C'est un métier très oral, où il n'y a pas d'écrit, de manuel technique. Je me suis lancé à mon compte en 2014, il y a bientôt 10 ans.

Collection Krikor Jabotian automne-hiver 2018 : modèles réalisés avec l'artisan plumassier Julien Vermeulen (Maison Krikor Jabotian)

Maison Vermeulen est héritière d’un métier d’art ancien. Tout en préservant cette tradition, votre maison renouvelle les savoir-faire avec de nouveaux procédés que vous déclinez dans différents univers. Avez-vous des limites ?
C'est un métier qui est arrivé en France par l'Italie au XVe siècle. Ce sont des fabricants italiens de fleurs en tissus qui ont commencé à faire des fleurs et des ornements en plumes. Le métier s'est divisé en deux secteurs : la plumasserie et la fleur artificielle. C'est un métier qui n'a pas vraiment de manuels, de méthodologies : chaque maison avait ses astuces, ses noms différents pour les mêmes typologies de plumes.

On est vraiment sur une crête entre le kitch/mauvais goût et le beau/bien fait. C'est un peu notre seule limite de travailler la matière en la respectant. Très permissive, on peut la mélanger avec d'autres, utiliser de nouvelles technologies, la graver au laser, travailler sur des surfaces 3D, l'imprimer, faire de la sérigraphie. L'imagination est la seule limite.

On essaie de retrouver des archives, des gravures, des parures sur des ventes aux enchères ou chez des antiquaires pour redécouvrir des vieilles techniques un peu désuètes et les remanier avec ce qui peut se faire aujourd'hui de plus moderne, de plus contemporain.

Dans l'atelier de Julien Vermeulen, maitre artisan plumassier moderne au service, entre autres, de la haute couture (ANTOINE LIPPENS)

Quels types de plumes utilisez-vous ?
On respecte la Convention de Washington qui régit l'utilisation des plumes d'oiseaux exotiques et sauvages. Concrètement, tout ce qui ne se mange pas est interdit : on a une palette assez restreinte d'oiseaux de basse-cour. Oiseaux de paradis, aigrettes, perroquets sont donc strictement interdits !

On trouve encore des plumes rares mais si on n'a pas de documentations très pointues qui prouvent qu'elles datent d'avant la convention de Washington, on n’a absolument pas le droit d'en faire commerce, ni de les posséder. C'est plutôt des pièces de musées pour préserver l'histoire de notre métier ! Quand j'étais chez Lemarié, j'ai eu entre les mains des toutes petites plumes d'une espèce de Paradisier - le gorge d'acier - aux plumes bleu métallisé. On aurait dit presque de la peinture chromée tant c'était brillant. C'est la plus belle plume à laquelle j'ai eu affaire !

Ce qui est problématique dans notre métier, c'est la traçabilité : on dépend du secteur de la fête et du Carnaval qui est peut-être un peu moins sensibilisé à ces enjeux-là pour le moment. Depuis cinq ans, avec l'aide de la fondation Bettencourt, nous mettons en place une filière made in France. C'est complexe à mettre en œuvre car en France, les plumes sont considérées comme des matières dangereuses donc il faut un certificat vétérinaire, un agrément, un laboratoire, des machines médicales de stérilisation... L'idée est de pouvoir travailler avec des élevages à taille humaine, à côté de chez nous et d'être en capacité de stériliser les plumes, les nettoyer, les conditionner. Cette plume d'élevage est un sous-produit de l'industrie alimentaire : on recycle donc un déchet de production qui aurait été, sinon, incinéré ou enfoui.

Dans l'atelier de Julien Vermeulen, maitre artisan plumassier moderne au service, entre autres, de la haute couture (ANTOINE LIPPENS)

Avant de travailler la plume dans vos créations, quelles sont les étapes préalables ?
Cela va dépendre du projet, je travaille pas mal sur iPad comme le couturier Julien Fournié : c'est lui qui m'a initié au logiciel Procreate pour faire des modifications et des retouches. C'est assez efficace. Après pour coller aux projets, je fais aussi des maquettes format A4 ou A5 de la matière que l'on veut.

Vous utilisez des outils manuels d'une grande simplicité ?
Oui, j'ai une petite pince avec un embout qui sert à étaler la colle et à manipuler les plumes. J'ai une paire de ciseaux traditionnelle pour les recouper, un petit couteau à friser, un petit scalpel, un couteau à parer qui sert à dégrossir la matière et à encoller les plumes. En plus de ses petits outils, on a nos mains. On peut travailler sans électricité tant qu'il fait jour, c'est très low tech.

Julien Vermeulen, maitre artisan plumassier moderne au service, entre autres, de la haute couture (ANTOINE LIPPENS)

Il y a beaucoup d'étapes pour transformer cette matière brute que l'on peut teindre, friser, redécouper, brûler avec des produits chimiques qui déstructurent sa matière, lui donner une autre forme mais aussi la mettre en forme avec notre vieille machine à vapeur - une espèce de grosse cocotte-minute avec une tête d'arrosoir pour la regonfler.

Quels grands maîtres d’art moderne vous inspirent ?
J'ai fait une formation de sciences des arts à la Sorbonne en parallèle de mon CAP de plumassier donc j'ai tendance à puiser dans l'histoire de l'art ou dans l'art déco. Pour mon travail personnel artistique, je suis inspiré par le travail de Pierre Soulages, d'Yves Klein et de Kasimir Malevitch pour l'idée du monochrome et de l'art de la lumière. Sur la partie textile cela peut-être des inspirations de matières, de voyages, de cultures, de motifs textiles que l'on vient détourner ou des motifs de carreaux de ciments peints que l'on va réinterpréter en plumes ou des photos de fleurs que l'on va transformer en matières.

En 2017 pour le Palais de Tokyo, vous avez créé un mur de 20 m2 de 12 000 plumes de dinde. Une prouesse récompensée par le Prix Bettencourt pour l’Intelligence de la main en 2018. En quoi consistait ce projet ayant nécessité 1 000 heures de travail ?
Ce projet a été initié par hasard. Un collègue designer Dimitri Hlinka avait été contacté par le Palais de Tokyo à Paris pour un projet d'aménagement. Sur une partie de ce projet, il voulait peut-être mettre de la plume et m'avait demandé d'assister à une réunion. En voyant l'espace, j'ai lancé sur le ton de la blague, si un jour il y a un mur de libre dans cet immense bâtiment, j'adorerai faire un tag et recouvrir entièrement la pièce de plumes. Trois semaines plus tard, on m'annonce que l'on me laisse 50 m2 dans le cadre de l’espace du Toguna au Palais de Tokyo. C'était beaucoup trop grand mais c'est comme cela que l'on est parti sur ce projet. Les équipes ont réalisé une structure en bois sur laquelle nous avons agrafé les plumes. Ce n'est pas une technique orthodoxe en plumasserie ! Elles étaient montées - un peu comme les ardoises sur une toiture - en quinconce, la plume suivante venant cacher le point d'accrochage de la plume précédente.

Une partie de l'oeuvre de Julien Vermeulen qui lui a valu le Prix Bettencourt pour l’Intelligence de la main en 2018. (ANTOINE LIPPENS)

En mars, vous avez réalisé une installation au salon de design du PAD Paris
C'était un peu une volonté de retravailler sur des grands formats. Maison Parisienne [galerie spécialisée dans les artistes de la matière] m'a lancé un challenge en disant : pour le PAD Paris [salon de Design], tu as une carte blanche de 9 m2. L'idée était de créer un océan avec des tourbillons, des vagues, des volutes en soulignant le mouvement avec des lignes blanches venant percer le fond noir. Intitulée Échos de l’infini, cette œuvre, qui magnifie le noir et le blanc par un jeu de lumières, d’échelles et de contrastes, se composait de 8 tableaux pouvant être lus séparément.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je travaille sur un pull en plumes, blanches et noires très duveteuses, composant un motif test de Rorschach, une tache noire en symétrie sur le buste. Je compose aussi des panneaux de plumes pour le PAD Londres d'octobre prochain ainsi que des créations sur des montres pour le joaillier Bulgari.

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