Le jean fabriqué en France ? À pas comptés, les marques Sème, Atelier Tuffery et 1083 relèvent le pari
Portés par les bouleversements induits, entre autres, par la crise sanitaire, la mode fabriquée en France renaît et, avec elle, le jean français. Le 10e salon du Made In France a été l'occasion de rencontrer Sème, Atelier Tuffery et 1083, trois jeanneurs qui défendent leur savoir-faire et l'ancrage local.
Difficile de trouver des chiffres du marché auprès des institutions mais la marque 1083 l'affirme : "En 2021, en France, on a acheté 67 millions de jeans, dont seulement 100 000 fabriqués sur le territoire. C'est très peu au regard du marché français, mais pour autant cette offre se développe", explique Thomas Huriez rencontré lors du 10e salon du Made In France, qui s'est tenu à Paris du 10 au 13 novembre. "Aujourd'hui, le goulot d'étranglement, c'est la confection", précise-t-il.
Hier, des marques internationales dominaient le marché français mais engagées dans une guerre des prix, elles se sont délocalisées en Asie. Aujourd’hui, la tendance s’inverse avec le changement des modes de vie : des consommateurs en quête de sens favorisent les achats responsables de meilleure qualité et l'argument du prix, même s’il demeure important, n’est plus aussi déterminant. En France, là où le "de Nîmes" est né, le savoir-faire français renaît et ces nouveaux comportements encouragent le développement de manufactures françaises et l’éclosion de nouveaux produits en denim.
Trois jeanneurs nous ont expliqué leur stratégie pour relever le défi du jean français avec des prix d'achat allant de 100 à 250 euros environ. Rencontre avec Agathe Schmitt, fondatrice de la très jeune marque Sème, Julien Tuffery, 4e génération d'Atelier Tuffery, et Thomas Huriez, fondateur de 1083 qui fêtera ses dix ans en 2023. Explications.
Du lin pour la très jeune marque Sème
Aujourd'hui, les industriels développent de nouveaux process pour réduire les consommations en eau, en énergie, en produits chimiques à chacune des phases de production. Au-delà des efforts menés sur la matière première (la culture du coton) et l'utilisation de teintures écologiques, les marques utilisent d'autres alternatives telles que le recyclage mais aussi l'emploi de matières premières moins énergivores : du fil recyclé pour Monsieur Falzar, du chanvre pour Bleu des Pentes, du lin pour Dao et Le Gaulois Jeans.
C'est ce choix stratégique qu'a fait Sème, marque de vêtements 100% fabriqués en France, du tissage à la confection. Lancée en octobre 2022, elle a été fondée par Agathe Schmitt, qui comme son père - Pierre Schmitt du groupe textile Velcorex - veut préserver le savoir-faire français à travers une mode durable et des vêtements de qualité. La collection se compose de pièces intemporelles pour homme et femme dont le premier jean en lin entièrement fabriqué en France, de la graine à la confection.
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"Nous, c'est la création et la conception avant la confection par nos partenaires. Pour les huit étapes, tout est situé en France. Le lin cultivé en Normandie est filé chez Emanuel Lang. Il faut savoir que la filature de lin n’existait plus en France depuis 20 ans : c'est, aujourd'hui, la seule usine de filature au sec dans l'Hexagone. Il est ennobli et teint chez Velcorex. Le tissu est confectionné chez Kiplay puis il est lavé. Il fait 2 500 km au total avant de revenir chez nous", explique la jeune chef d'entreprise.
De la laine pour Tuffery, plus ancien atelier de jeans
Julien Tuffery est la quatrième génération d'une famille de tailleurs-confectionneurs dont l'atelier fondé à Florac dans les Cévennes en 1892 a conçu le premier jean français, en toile 100% coton, provenant de Nîmes, teintée à l’indigo. Après la guerre, ce jean devient un symbole de mode et de liberté et la demande explose jusqu'aux années 70. En 1983, avec la mondialisation, Atelier Tuffery ne conserve qu'une unité de fabrication pour répondre aux besoins des consommateurs locaux. Depuis quelques années, le savoir-faire français reprend des couleurs et pour ces plus anciens maîtres-tailleurs de denim en France, "l'ADN de notre maison est toujours de trouver au plus près de chez nous la plus belle qualité. Toutes nos toiles proviennent à moins d'une journée de voiture du sud de Florac pour une traçabilité et une bonne empreinte carbone", explique Julien Tuffery qui souligne l'importance d'aller plus loin "dans la recherche de nouvelles matières, plus naturelles, produites localement pour relancer des économies circulaires tout en préservant l’environnement".
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Atelier Tuffery travaille beaucoup avec les Vosges et le nord de l'Italie mais a aussi racheté un tisseur dans le Tarn : "Les tissages d'Autan sont installés à Saint-Affrique-les-Montagnes, près de Castres, haut lieu du textile à la française. C'est avec eux que l'on développe nos fibres de chanvre, de lin et de laine. Nous sommes associés à 33% mais on ne sera jamais filateur", explique Julien Tuffery avant d'ajouter : "On travaille aussi avec une coopérative du Lot, VirgoCoop. Nous sommes au contact des agriculteurs pour replanter du chanvre même si 80% de notre volume est encore réalisé avec du coton, que l'on essaie de sourcer le plus clean possible. Nous avons mis les bouchées doubles sur le chanvre et la laine : cette année, sur le territoire du sud de la Lozère, nous avons collecté 11 tonnes de laine. Nous sommes les premiers au monde à avoir introduit de la laine locale dans le fil de trame de nos jeans et nous sommes en train de reprendre une ferme pour faire notre élevage de Mérinos. Nous avons aussi un partenariat avec Safilin dans le nord de la France pour la partie lin."
La relocalisation des étapes de production pour 1083
Nîmes est le berceau qui a vu naître le denim au XVIe siècle mais cette toile et son savoir-faire disparurent de la région au XIXe siècle. Signe encourageant, la marque Ateliers de Nîmes, fondée en 2014, tisse, de nouveau, cette toile pour son usage mais elle ne réalise pas encore totalement le montage en France, contrairement à 1083 qui relève le défi de produire dans ses usines ou avec des ateliers partenaires. Installé à Romans-sur-Isère, c'est une des rares marques à produire entièrement des jeans filés, teints, tissés et confectionnés grâce à la relocalisation des étapes de fabrication.
"En 2021, 100 000 jeans seulement sont fabriqués en France sur les 67 millions vendus sur le territoire. Le goulot d'étranglement, c'est la confection", insiste Thomas Huriez. C'est pour cette raison que "l'on investit sur l'industrie pour déverrouiller les capacités de production et augmenter la part de jeans français consommés par les Français".
La particularité de 1083 est d'avoir cherché à relocaliser toutes les étapes de fabrication en France. "Il a fallu trouver des savoir-faire dans chacune des huit étapes : la culture du coton, la filature, la teinture, le tissage, la coupe, la confection, l'ennoblissement et le délavage." En neuf ans, l'entrepreneur est arrivé à relocaliser en fédérant l'éco-système et en intégrant des métiers : "Nous sommes les seuls tisseurs-confectionneurs en France. Nous avons créé une filière avec plusieurs maillons pour chaque étape avec une volonté de travailler en réseaux pour équilibrer la charge et dérisquer les activités".
Et pour certaines étapes compliquées - comme la culture du coton, Thomas Huriez a cherché des solutions : "J'ai lancé des expérimentations en recherche et développement mais ce n'est pas très productif pour l'instant, même si on va sortir un jean en coton français du Gers et de la Drome en 2023." L'entrepreneur touche-à-tout s'intéresse aussi au lin, au chanvre et au coton recyclé "avec un objectif pour le premier trimestre 2023, pour nos 10 ans en mars, de lancer un jean en coton recyclé". Une autre étape est partiellement relocalisée, celle de la filature : "On file avec tous types de fibre." Et pour l'étape de la teinture indigo, "elle est réalisée en Italie mais pour les autres types de teintures, c'est en France". Aujourd'hui à pas comptés, les jeanneurs réinvestissent leur production dans l'Hexagone en faisant preuve d'inventivité.
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