Haute couture : Maurizio Galante main dans la main avec des brodeurs marocains
Comment vous est venue l’idée de ce défilé ?
Maurizio Galante : L’idée de ce défilé m’est venue lors d’une discussion à l’Institut du Monde Arabe (ndlr : lieu où s'est tenu son défilé haute couture automne-hiver 2018-19) avec Philippe Castro. Il m’a parlé de Touraya Bouabid et d’AMESIP, son association marocaine d’aide aux enfants en situation précaire. Cela fait 30 ans qu'elle travaille dans le social en créant des écoles. Le social, ce n’est pas seulement de l’assistance mais c'est aussi de l’espoir. Je me suis dit que cela serait bien de croiser nos deux mondes. Pour moi, l’idée, c’est que la mode, ce n’est pas que des choses futiles. La mode peut donner un nouvel espoir, une vision pour se projeter vers le futur. Nous sommes actuellement dans une époque où les valeurs évoluent : l’individu, le travail manuel... cela revient, est mis en valeur.Toraya Bouabid : "La rencontre s'est faite grâce à Philippe Castro qui connaissait le travail de mon association au Maroc. Nous avons un atelier de couture et de broderie à Rabat dans un quartier populaire où il y a beaucoup de démunis. Nos ateliers s'ouvrent dans des lieux où il y a un besoin. Celui-ci existe depuis 2016 : une quarantaine de femmes, une dizaine de jeunes filles de 20 à 25 ans et deux hommes y travaillent.
Pourquoi la collection porte le nom de “Rabat Cipango. Carnet de Voyage" ?
Maurizio Galante : Cette collection “Rabat Cipango. Carnet de Voyage" est comme un voyage. Je suis passionné par les voyageurs comme l’explorateur français Jean-François de La Pérouse, le Portugais Fernand de Magellan et le navigateur anglais James Cook. Ils ont rêvé de quelque chose, ils sont partis vers l’inconnu. Day by day, ces Européens qui ont affronté le mystère ont voyagé.... et le Maroc constituait toujours une de leur escale. C’est donc un lieu de métissages ou les cultures se mixent. Ma collection porte le nom de "Rabat Cipango", le nom que Marco Polo avait donné au Japon.Comment s'est passée la collaboration avec AMESIP ?
Maurizio Galante : La collection a été réalisée en partie au Maroc et en partie dans mon atelier. J’ai fait l’aller-retour. Il s’agit de raconter la richesse des savoir-faire marocains avec la vision de quelqu’un qui vient d’ailleurs. Dans l’atelier à Rabat, des femmes et des hommes ont travaillé via des techniques dédiées (certaines aux hommes, d’autres aux femmes). Ils ont utilisé des matériaux sur place pour réaliser des textiles à la main et des broderies. Pour “Rabat Cipango. Carnet de Voyage", il y a des tissus provenant de Tokyo au Japon, d'autres indiens mais aussi des Caftans et des Djellabas. La bonne surprise, c'est que j'ai travaillé avec des personnes engagées, motivées, heureuses de cette découverte. Tout de suite, vous voyez sur leur visage la surprise, l’intérêt d’aller vers l’inconnu. Il y a même eu des chants à la fin pour fêter cette collection.Toraya Bouabid : Notre école de broderie est jeune et c'est la première fois que nous travaillions sur un tel projet. 10 femmes y ont participé. Maurizio Galante est venu voir les techniques Randa, Hibik, Derss et Ghkad employées ici. Ce travail à l'aiguille est réalisé à la main, essentiellement par des femmes. A l'école, il n'y a que deux hommes. Ces derniers ont enseigné aux femmes des techniques habituellement masculines. Ce sont des savoirs ancestraux marocains, un art universel. Maurizio Galante s'est inspiré du Caftan qu'il a revisité. Ce défilé, c'est une reconnaissance, une valorisation de nos métiers...
Le défilé s'est tenu à l’Institut du Monde Arabe au milieu des collections permanentes. 15 pièces de la collection y sont exposées jusqu’à fin septembre 2018.
"J'espère que nous pourrons faire voyager cette collection pour qu'elle revienne à Rabat, puis Marrakech et Fès" ajoute Toraya Bouabid.
Avec l'AMESIP, Toraya Bouabid aide les jeunes en situation précaire
Chez elle, l’associatif est une seconde nature, une raison d’être. La fibre associative est une histoire de famille (sa mère transforme le domicile en foyer d’accueil pour les femmes atteintes par le cancer). Toraya Bouabid quitte le Maroc pour la France pour suivre des études de médecine, bifurque vers la biochimie, tout en continuant à s’investir dans l’associatif en y travaillant à titre bénévole (Action Contre la Faim, les Restos du Coeur…) De retour au Maroc, elle crée l’Association de Rabat-Salé d’Aide Médico-Sociale aux Tuberculeux en 1986 puis l’AMESIP, en 1993, qui monte des projets générateurs d’avenir pour les jeunes en situation précaire : une école du cirque (spectacle du 18 au 25 août à Salé), une école d'art équestre, une école d'art culinaire et l'école de broderie.Maurizio Galante : "le vêtement provoque l'émotion"
Le couturier d'origine italienne Maurizio Galante offre une vision croisée qui traverse la mode, le design, l'architecture d'intérieur et l'art. Il jongle entre ces différents domaines, les mixte et cherche à provoquer des émotions. "La notion de couture est différente aujourd'hui par rapport aux années 50, 60, 80 et 90. Le vêtement doit être une pièce que l'on porte avec plaisir, qui provoque la conversation, l'émotion. Cette émotion que l'on ne retrouve pas seulement dans la mode mais aussi dans le design" insiste le couturier.
Associés depuis 2003, Maurizio Galante et Tal Lancman tissent des liens entre mode et design. Le couturier italien et le prescripteur de tendances et designer israélien ont développé un univers où fusionnent féerie visuelle et recherche technique.
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