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"Il y a de multiples possibilités d'être soi" : Steven Passaro pour la première fois à la Fashion Week masculine automne-hiver 2022-23

Le 22 janvier, avant dernier jour de la Paris Fashion Week masculine automne-hiver 2022-23, Steven Passaro présente sa collection pour la première fois dans le calendrier officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Rencontre.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Steven Passaro collection automne-hiver 2022-23 (Genial Pictures)

Du 18 au 23 janvier 2022, 76 maisons présentent leur collection masculine automne-hiver 2022-23. A côté des griffes établies, une nouvelle génération de créateurs, parfois inconnus du public et en recherche de reconnaissance, rejoint chaque saison le calendrier officiel. Rencontre avec une de ses jeunes pousses, Steven Passaro.

Le jeune créateur a étudié la scénographie à l’école Duperré à Paris puis s'est concentré sur la mode masculine au London College of Fashion avant de fonder sa marque en 2019. Engagé dans un procès durable, il aspire à réduire son impact environnemental en produisant moins de déchets de tissus. Steven Passaro développe donc ses collections sans toile grâce au prototypage digital 3D, ce qui lui permet de créer les patronages et de visualiser sur avatar les pièces avant de fabriquer. Outre cette approche plus responsable sur la façon d’habiller les hommes, il s'interroge sur la sensibilité et les valeurs humaines. 

Steven Passaro, créateur de collections masculines (DR)

Franceinfo culture : vous présentez pour la première fois à la Fashion Week le 22 janvier, comment vous y êtes-vous préparé ?

Steven Passaro : j'ai appris que j'étais sélectionné dans le calendrier de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM) à la fin du mois de novembre 2021. Cela a été un vrai challenge de réunir l'équipe : j'ai deux personnes fixes depuis un petit moment ainsi que des stagiaires mais il fallait rappeler les gens avec qui j'avais déjà travaillé, trouver des freelance... J'espère que les ventes vont décoller pour pouvoir stabiliser mon équipe. Il fallait remonter l'équipe très rapidement car on avait un peu plus d'un mois pour faire tous les patronages et la collection, avant de tourner la vidéo et de faire les photos, le 10 janvier 2022. Cela a été un vrai challenge d'organisation. Heureusement que j'ai cette technique de patronage 3D : elle nous a vraiment permis de gagner beaucoup de temps. On a pu faire les patronages - c'est-à-dire 15 à 20 modèles - en une semaine et demie. Cela nous a permis, ensuite, d'avoir trois à quatre semaines de montage à l'atelier avec toute mon équipe. 

Si vous n'aviez pas intégré le calendrier, aviez-vous prévu d'être présent à cette Fashion Week ? 
J'avais prévu d'intégrer le salon Tranoi qui débute le 21 janvier mais j'aurais eu plus de temps pour le préparer. On aurait fait moins de choses : le cahier des charges de la FHCM est quand même d'avoir vingt looks. C'est énorme à réaliser en un mois. Pour Tranoi, on aurait fait après les photos et les looks books et nous n'aurions pas autant planifié et travaillé la collection. 

Que propose la FHCM au créateur qu'elle inclut dans son calendrier ?
Pour cette première fois dans le calendrier, la FHCM nous a déconseillé de faire un défilé car c'est quand même beaucoup de frais à engager. Mais il y a la possibilité que j'intègre le showroom Sphère en juin prochain et j'espère alors passer sur un défilé physique. Nous sommes donc parti sur une présentation : avec la Covid-19, il était beaucoup plus safe de tourner une vidéo... et c'est aussi la demande de la FHCM d'avoir une vidéo qui sera diffusée le 22 janvier. Elle sera présentée à l'espace talents émergents du showroom Sphère, à côté de mannequins présentant des pièces de ma collection. La vidéo tournée en studio mélange 3D et réel, savoir-faire, tradition et émotion. C'est quelque chose qui va être assez incroyable. 

Votre marque est née en 2019 mais a été lancée en 2020 pendant la Covid-19 ?
J'ai terminé mes études au mois de janvier 2019 avec un défilé à Londres. Ensuite je me questionnais pour savoir si j'y restais mais avec le Brexit, je suis rentré à Paris. La marque est née pendant cette année-là mais elle n'a été lancée qu'en 2020. Cela a été un moment d'accélération : j'ai profité de ce confinement pour travailler sur les collections - tout seul à l'époque pour les dessiner, les monter... Un an et demi plus tard, je suis dans le calendrier, mon atelier est aux Ateliers de Paris, j'ai une agence de presse et aussi des rendez-vous avec des boutiques et on espère signer des contrats. C'est magique !

Combien de collections avez-vous déjà produites ?
Celle qui sort ce mois-ci est la cinquième en comptant une collaboration avec Khanh Brice Nguyen, un de mes meilleurs amis designer maille. Pour chaque collection, il y a entre 12 et 16 looks, soit 35 à 45 pièces. Depuis le salon Tranoi (ndlr : il y a exposé en juin 2021), nous avons vu l'intérêt et l'engouement de la presse monter, tout comme le trafic du site e-commerce et le marketing Instagram. 

Collaboration entre les créateurs Steven Passaro et Khanh Brice Nguyen (Oscar Lindqvist)

Comment définissez-vous votre marque ?
C'est une marque moderne pour l'homme sensible. Ce qui est assez fascinant c'est que je propose un vestiaire masculin basé sur le tailleur mais je casse beaucoup de codes avec plein de détails empruntés à la couture, comme les rabats de poches fendus, les finitions faites à la main. Je garde toujours cette idée d'être en transformation : la personne que vous êtes aujourd'hui n'est pas celle que vous allez être demain. Il y a de multiples possibilités d'être soi : il y a le changement intérieur et le changement extérieur d'où l'idée de ce vêtement évolutif que je propose. Notre trench signature est une base pour la saison été avec une possibilité d'évolution pour la saison automne-hiver. Un vêtement qui nous suit, qui évolue, qui change avec nous. Ainsi au lieu de dépenser deux manteaux, on a à la place un manteau que l'on transforme et du coup, on peut réduire notre impact de consommation tout en nourrissant ce besoin de nouveauté.   

Pourquoi avoir opté pour le prototypage digital 3D ?
Cela a été l'idée de départ de vouloir changer la consommation de la mode et comment elle se crée, comment on l'a conceptualise. Je voulais vraiment réduire l'impact au niveau des impressions papier et du nombre de prototypes nécessaires. Généralement, on a besoin de 2 à 3 toiles et 2 à 3 prototypes avant d'arriver au produit final. Avec le prototypage 3D, on a un prototype unique, donc du coup on est proche de la couture... et on peut corriger directement sur le tissu si nécessaire. On maîtrise notre impact sur la production de déchets, et c'est forcément un gain de temps et un gain d'argent. Avec les rendus 3D - et avant même de monter les prototypes - on a aussi un retour des acheteurs : ce qui permet de ne pas produire de choses inutiles lors du développement des collections. Travailler sur mesure et sur demande est hyper intéressant car on accompagne vraiment le client dans son choix. Avoir la 3D (avec ses mensurations) permet de lui montrer le design avant même d'avoir fait une toile sur lui. C'est important on réduit drastiquement le temps et le nombre de fitting (ndlr : essayage).

Des créations Steven Passaro réalisées avec le prototypage digital 3D  (Genial Pictures)

Vos collections jouent avec le genre ?
Oui, une membre de mon équipe m'a dit : moi, je prends des coupes hommes car cela me va mieux que les coupes femmes. Je trouve cela formidable qu'un vêtement soit un vêtement, pas un vêtement d'homme ou de femme, même si il y a, toujours, une histoire de morphologie. Ainsi la prochaine collection, on la fera défiler sur des femmes. On veut montrer qu'un vêtement c'est un vêtement et le porte qui veut. Ca reste sexy, élégant et chic. 

Créations de Steven Passaro (DR)

Quid de votre collection automne-hiver 2022-23 ?
Chaque collection est une continuité de la marque et de son histoire. C'est une collection très personnelle fondée sur l'idée de l'hyper sensibilité... dans mon équipe, on est hyper sensible. C'est quelque chose qui est de plus en plus visible dans le contexte actuel où les gens - qui sont très sensibles - ont beaucoup de mal à gérer le stress et l'anxiété provoqués par la Covid-19 et ce qui en découle - futur incertain, temps ralenti, isolement... C'est vraiment très anxiogène. Notre génération est plus ouverte à en discuter mais c'est très compliqué d'en parler car on a les sens exacerbés. Cette collection transcrit le besoin de temps, avec la notion de couture et de choses réalisées à la main qui prennent du temps, avec ces détails empruntés à la couture comme les poches fendues, les cols montés à la main, l'entoilage à la main. Il y a aussi cette idée de besoin de protection avec des références "armure", le côté militaire, les stratifications de couches de vêtements,  les broderies... et les codes du masculin féminin qui se mélange. Dans la vidéo présentant la collection, j'ai essayé de transcrire ces différentes émotions.

Steven Passaro collection automne-hiver 2022-23 (Genial Pictures)

Comment voyez-vous votre futur ?
C'est assez excitant, et en même temps, c'est un mélange d'émotions. Parfois, je suis assez anxieux car en terme de finance, c'est instable car c'est une jeune entreprise, une jeune marque. Mais je suis assez optimiste car on a eu un retour incroyable avec de beaux rendez-vous. C'est gratifiant et cela donne beaucoup d'espoir pour la suite. La précédente collection, je n'avais qu'un look book de photos, là pour la collection automne-hiver 2022-23, j'ai une vidéo. Le mois de juin sera une nouvelle étape encore avec le défilé en physique. 

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