Fashion Week : la femme Ungaro renoue avec l'esprit de son créateur
Dans les années 1980, la maison Ungaro, c'est la quintessence du chic parisien : elle fait partie des cinq grands noms de la couture parisienne. Après le départ en 2004 du couturier, mort en 2019, nombre de créateurs se sont relayés à la direction artistique féminine jusqu'en 2018. Depuis la griffe a repensé sa stratégie autant chez la femme que chez l'homme. Rencontre avec la directrice générale Marie Fournier, et le styliste pour la femme Kobi Halperin.
Audace et provocation dès 1965
L’histoire de la maison de couture débute en 1965 avec son créateur Emanuel Ungaro, qui grâce à sa rigueur - acquise lors de son apprentissage aux côtés du couturier espagnol Cristobal Balenciaga - et sa recherche de la perfection lance sa marque.
Son ADN : audace et provocation avec des accords inattendus de couleurs, vives et contrastées, des mélanges de motifs imprimés et des drapés. Installée avenue Montaigne, au cœur du quartier de la haute couture à Paris depuis 1967, la maison acquiert une renommée internationale grâce à l'extrême féminité de ses vêtements, la pureté de ses silhouettes, ses motifs flamboyants ainsi que son sens du détail et des couleurs. A sa haute couture (qui cesse en 2004) s'ajoute le prêt-à-porter féminin puis masculin.
Jusqu’à son départ en 2004, le couturier ne cesse de rappeler aux femmes qu’elles sont avant tout des séductrices. Depuis 2005, la maison - détenue par l'entrepreneur pakistano-américain Asim Abdullah - enchaîne les créateurs à la direction artistique féminine (de Giambattista Valli à Marco Colagrossi). Puis, faite en interne, la création se recentre sur une collection à base de mailles "un concept trop restrictif" explique Marie Fournier, la directrice générale de la maison :"on n'était pas assez équipé pour la production du chaîne et trame. On a arrêté avec le Covid".
Une nouvelle stratégie basée sur les licences
"On a décidé d'avoir un business modèle exclusivement basé sur les licences" précise-t-elle "on ne fait plus de produits en direct, on veut pouvoir s'appuyer, pour chaque catégorie, sur des professionnels qui ont l'outil de production et les distributeurs. C'est un moyen d'avoir un tissage beaucoup plus profond dans chaque pays."
Aux collections de prêt-à-porter, féminines et masculines, s'ajoutent des accessoires, des parfums ainsi que du mobilier et des objets de décoration et, bien sûr, ses licenciés : KOMARK USA (société de Kobi Halperin pour le prêt-à-porter féminin), GST SRL (Groupe Toma Italian Brands pour le masculin), la Compagnia delle Pelli SPA pour la maroquinerie et des licences dans le monde "pour toucher d'autres marchés. On approuve les prototypes, tout est archi contrôlé", insiste Marie Fournier.
La femme flamboyante de Kobi Halperin
Il y a deux ans, la maison a relancé son prêt-à-porter féminin. Kobi Halperin, installé à New York, et qui a sa propre marque, a contacté la griffe pour travailler avec elle. Le designer israélien a toujours aimé Ungaro : "jeune étudiant, j’adorais me promener le long de l’avenue Montaigne. Pour moi, c’était toujours le moment le plus inspirant et le plus excitant de s’arrêter et de regarder la boutique Emanuel Ungaro. Paris a toujours été ma principale source d’inspiration en raison de sa sophistication et de son style et de la représentation de la femme parisienne".
En s'inspirant des archives et de l'ADN maison, il a présenté sa première collection en juin 2021 à New York : "le Saks Fith Avenue a demandé l'exclusivité pour les Etats-Unis pour ses 14 magasins et son shop en ligne. Pendant trois saisons, c'était une merveilleuse vitrine pour nous, une sorte de rampe de lancement", souligne Marie Fournier. La marque s'est ouverte, ensuite, à l'international et, en mars 2022, a présenté sa collection automne-hiver 2022-23, pour la première fois à la Paris Fashion Week : "on a renoué avec le calendrier qu'on avait arrêté pendant 2-3 ans. Le 6 mars, on y est, à nouveau, avec la collection automne-hiver 2023-24" ajoute-elle encore : "Kobi Halperin crée pour une femme flamboyante comme les aimait Monsieur Ungaro. Elle n'est pas discrète, elle aime être vue. Elle sort le soir et s'habille avec des couleurs vives et des imprimés très forts. C'est une séductrice".
Kobi Halperin, qui adore toutes les références françaises, s'est inspiré pour sa collection de Monet. "Après une visite au musée Marmottan, j'ai été touché par les couleurs de certains tableaux. Mais la palette et les imprimés sont aussi très inspirés de Monsieur Ungaro et de sa femme glamour, sensuelle et très féminine. On retrouve les volants, les plissés et les drapés qui lui étaient chers. Pour moi, l'important est d'apporter de la légèreté comme cette robe dotée d'une cape que j'aime tout particulièrement car il y a du mouvement. Avec tout ce qui se passe dans le monde, j'avais aussi envie d'une collection joyeuse, donc il a beaucoup de pièces du soir pour faire la fête".
L'homme citadin et décontracté de Philippe Paubert
La maison entretient avec Philippe Paubert, designer historique du masculin, une relation de très long terme, comme l'indique la directrice générale : "Quand je suis arrivée Monsieur Ungaro m'a dit qu'il voulait quelqu'un pour créer la collection homme avec lui, mais la difficulté c'était de trouver une personne qui comprenne l'homme un peu artiste qu'imaginait Ungaro. En 1993, je lui ai présenté Philippe Paubert - qui avait travaillé chez Dior avec moi". Une relation, interrompue de 2007 à 2010, puis relancée en 2014. Mais il faudra attendre deux ans pour renouer avec la Paris Fashion Week. Philippe Paubert reprend les codes propres à l’ADN féminin pour les interpréter dans un esprit tailleur "le sartorial italien" pour une silhouette citadine mais décontractée.
Présentée lors de la Paris Fashion Week en janvier 2023, la collection automne-hiver 2023-24, inspirée du Japon, offre un mélange de tradition et de modernité. Les couleurs et les motifs sont issus de la gravure sur bois traditionnelle Mokuhanga et de ses nuances obtenues grâce à l'utilisation d'encres à base d'eau. Les fleurs, le feuillage et les éléments géométriques sont réinterprétés dans les imprimés qui doublent les vestes. Les kimonos inspirent des vestes décontractées, de soirée et des smokings. La construction droite de l'épaule et de la manche est en lien direct avec la "veste de travail d'Emanuel Ungaro". L'homme - un urbain, un artiste cool qui ne se laisse pas enfermer dans des codes vestimentaires stricts - aime les belles matières un peu techniques, les belles mailles, pour des pièces qui traversent les saisons et qu'il peut mixer ensemble.
"Philippe aime ce qui est destructuré, les vestes non doublées, et comme aimait Monsieur Ungaro la veste souple que l'on met dans sa valise. Il affectionne beaucoup les demi doublures car c'est plus léger pour les costumes" souligne, encore, Marie Fournier.
Le retour de la maroquinerie et des parfums
La maison a renoué avec les sacs à mains et la petite maroquinerie. La première collection printemps-été 2023 de 70 modèles a été réalisée par le studio maison et le licencié à qui la griffe donne "ses input stylistiques - couleurs, matières, formes, logo, imprimés - pour que la Compagnia delle Pelli SPA dessine les modèles, qui nous sont soumis pour approbation. La collection est faite à quatre mains même si la partie technique reste le domaine du licencié" souligne Marie Fournier.
Cet accord de licence a amené la marque à réfléchir à son positionnement. Si hier elle proposait des sacs de grand luxe, elle sait que se faire une place dans ce marché est compliqué : "il existe un énorme marché de sacs de très grand luxe a des prix très importants mais il était très difficile pour une plus petite maison de rivaliser avec ces grandes marques ayant des dizaines de millions d'euros de pub. On ne voulait pas du bas de gamme en faux cuir, nous sommes une maison de luxe installée avenue Montaigne avec une histoire ! On veut toucher une clientèle qui n'a pas les moyens d'acheter du luxe mais qui a envie d'un joli sac en cuir à 500 euros" précise-t-elle.
Certains modèles estivaux ont été reconduit pour la collection automne-hiver 2023-24 présentée en janvier 2023. Outre les sacs en cuir, en toile enduite, en Nylon, il y a celui inspiré d'un vêtement "le top papillon" créé par le couturier. Pour ce sac monogramme Butterfly "on a travaillé sur notre nouveau logo ainsi que sur les initiales, le E [d'Emmanuel] et le U [d'Ungaro], redessinées de façon graphique. Sur un autre modèle, on s'est inspiré du drapé iconique des robes de Monsieur Ungaro que l'on voit aussi sur la bouteille de parfum Diva. Il y a toujours du rose fuchsia et beaucoup de noir et des tons intemporels", précise encore la directrice générale de la maison.
Dans cet esprit de diversification, la griffe a signé en octobre 2021 un accord de licence mondial de dix ans portant sur la création, le développement et la distribution de ses parfums avec le groupe Interparfums. En avril 2023, elle relance la fragrance Diva née en 1983, en conservant le jus mais en la réhabillant, ainsi qu'un nouveau parfum Diva Rouge.
Après l'épreuve du Covid, la griffe s'est ressaisie et semble retrouver, aujourd'hui, l'énergie de son fondateur.
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