Fashion Week : engagé, le créateur Mossi Traoré prône avec sa mode "made in banlieue" insertion sociale, art et mixité culturelle
Lauréat du Prix Pierre Bergé de l'Andam 2020 et fondateur de l’école de couture "Les Ateliers Alix", Mossi Traoré présente la collection féminine automne-hiver 2022-23 de son label Mossi lors d'un défilé digital à la Paris Fashion Week. Rencontre avec un créateur engagé qui ne manque pas de projets
Du 28 février au 8 mars 2022, 95 maisons présentent leur collection féminine automne-hiver 2022-23 à la Paris Fashion Week. A côté des griffes établies, des créateurs, parfois peu connus du public, comme Mossi Traoré.
Son défilé est présenté en digital et sur rendez-vous le 7 mars et son travail exposé à Sphères. Initiatives marques émergentes. Ce showroom, qui se tient jusqu'au 8 mars, apporte son soutien (financier et d'expertise) à de jeunes marques sélectionnées pour leur créativité et leur potentiel de développement à l'international.
Outre son prêt-à-porter féminin, Mossi, c'est aussi un projet social et solidaire tourné vers la formation et l’intégration, avec une école de couture permettant de s’approprier un savoir-faire, un métier, et de l’exercer. Ses deux projets se combinent dans ses collections conçues et produites dans des ateliers de banlieue parisienne.
Rencontre tonique et positive avec un créateur multicasquettes insatiable.
Franceinfo culture : au début des années 2000 à la cité des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne, vous êtes un adolescent en rupture avec les codes vestimentaires de votre cité.
Mossi Traoré : A l'époque, tout le monde voulait porter le blouson en cuir, le jean Levi's 501, les survêtements Lacoste, la banane en skaï et les Clarks. Quand on est jeune dans les quartiers, on n'a pas beaucoup d'argent : dans ma classe, les aînés piquaient des grandes marques dans les magasins et arrivaient bien sapés. Je n'étais pas un féru de mode mais je n'avais pas envie d'être ringard à côté de mes camarades alors j'ai piqué des sapes. C'était la mode des jeans délavés, des blousons de motard, des chaussures de Formule 1 Sparco. Je trouvais ça top, il y avait un côté très fashion : je m'habillais de manière atypique, j'aimais bien être différent. Quand tu es bien sapé, tu as un peu plus la cote au lycée. Cette envie d'avoir des looks différents forts, c'est comme si je disais : j'habite dans le quartier mais je reste libre. Je suis qui je suis avec toute ma personnalité. Deux ans après, ceux qui se moquaient de moi en disant "c'est quoi ces looks" portaient les mêmes jeans.
C'est pour satisfaire cette envie d'être "looké" que vous vous dirigez vers la mode ?
Je suis passé de celui bien looké à celui qui a envie d'imaginer des looks que je pouvais porter ou faire porter à d'autres. Au lycée en première, on nous a demandé de faire une étude comparative de trois métiers. J'ai regardé l'univers de la mode et le métier de styliste : j'ai dit, c'est ce que j'ai envie de faire plus tard et je suis parti voir les écoles. Avant d'arriver en terminale, je savais le chemin d'avenir que je voulais emprunter. J'ai foncé.
Avant d'arriver en terminale, je savais le chemin d'avenir que je voulais emprunter. J'ai foncé
Mossi Traoré
Après une formation de styliste modéliste à Mod’Art International à Paris, vous poursuivez votre apprentissage auprès d’une couturière indienne, d'un façonnier africain puis vous voyagez pour découvrir d'autres cultures.
Je suis parti vivre un petit moment à Milan en Italie pour voir ce qui se passe là-bas. C'est une culture que j'aime beaucoup car j'ai grandi dans un quartier avec des amis de toute origine. Enfant, quand je jouais au foot, il y avait toutes les couleurs de peau autour du ballon. Quand je suis arrivé à Mod'Art, c'était comme si je disais bonjour au monde, j'avais des amis de cultures différentes. L'époque école a été une manière de baigner, à nouveau, dans un environnement qui me plaisait. Un de mes premiers projets était de créer une marque avec mes amis car j'ai toujours vu la diversité culturelle comme une richesse. J'avais des amis coréens, japonais, indiens et chinois : c'est avec ma collègue chinoise Zhen que j'ai créé ma première marque en 2011.
Attaché à l’esprit de transmission, vous fondez en 2015 une école de haute couture, Les Ateliers Alix, tournée vers la création et la maîtrise du savoir-faire
Depuis un moment, j'avais envie de rendre hommage à Madame Grès (ndlr : dite Alix Grès). Dans un premier temps, le projet que j'avais en tête c'était l'école. Quand on travaille de manière indépendante pendant quatre ans, en se débrouillant tout seul sans investisseur, on apprend beaucoup. Toute cette période a été très difficile : cela a été expérimental, instructif, enrichissant mais formateur. Les Ateliers Alix, c'était un retour d'expérience que je voulais partager. En 2017, quand j'ai relancé ma marque, je me suis dit que j'aimerais un modèle économique qui favoriserait l'insertion. Mon leitmotiv : chaque robe vendue me permettrait de contribuer à créer un emploi.
En 2017, quand j'ai relancé ma marque, je me suis dit que j'aimerai un modèle économique qui favoriserait l'insertion
Mossi Traoré
L’école et votre association Les Ateliers Parisiens, créée en 2016, forment des femmes de quartier ou des migrants sans qualification aux métiers de la couture pour les aider à s'insérer dans le monde professionnel
Oui, mon association a été montée avec des institutions au niveau de la localité, de la municipalité, du département et beaucoup de bénévolat. J'aime partager, transmettre, cela me fait plaisir d'offrir à des jeunes ce que moi je n'ai pas pu avoir. C'est une envie de faire bouger les choses, de montrer qu'à mon petit niveau, j'arrive à faire un projet de la sorte, et que d'autres avec plus de moyens peuvent faire la même chose.
Comment fonctionne l'école ?
Les deux premières années, on faisait des petites promos courtes et cela se terminait par une exposition en hommage à Madame Grès. Après, j'ai fait des formations à la carte, individualisées (des particuliers, un salarié de l'Opéra de Paris pour une formation sur le cuir...). En 2019, j'ai décidé que ce serait une formation diplômante sur 3 ans avec des classes de 12 élèves. La première promo est sortie fin 2021. A côté de cette formation, on fait des cours de couture du soir pour le grand public, un peu comme les cours municipaux de la ville de Paris, dont certains profs sont d'anciens élèves.
Que deviennent vos élèves?
Une bonne majorité ont trouvé un poste, d'autres se sont réorientés. On a de très bons retours des ateliers de mode qui accueillent nos jeunes. A l'école, on les forme à la couture : du coup, ils ont un niveau technique plus poussé que de nombreux jeunes d'autres écoles. On a une équipe pédagogique très expérimentée : la plupart des intervenants sont à la retraite, ils ont travaillé 30, 40, 50 ans dans la mode.
Travaillent-ils pour votre marque?
Occasionnellement. Ces jeunes ont une bonne mentalité, ils ont envie de nous rendre la pareille et disent "on voudrait aider". De temps en temps avant la Fashion Week, s'il y a besoin de petites mains, on peut leur proposer - s'ils n'ont pas de cours, ni de stages - mais ils ne travaillent pas dans nos ateliers. L'objectif est de développer une structure d'insertion pour que ces jeunes, passés par l'école, puissent - s'ils ne trouvent pas de boulot - poursuivre avec nous.
Les Ateliers Alix, c'est aussi un hommage à Madame Grès dont le travail vous fascine ?
Étudiant, j'étais très inspiré par le manga japonais Les Chevaliers du Zodiac (ndlr : univers de fantasy inspiré de mythologies). J'ai demandé à l'une de mes professeurs le nom d'un couturier ayant travaillé la thématique de l'Antiquité. Elle m'a conseillé Madame Grès. J'ai trouvé son travail extraordinaire, ça m'a fasciné. En 2011, j'ai vu l'exposition La couture à l'oeuvre au musée Bourdelle, j'ai été ébloui. Grosse passion et grosse émotion pour l'histoire de cette couturière morte dans l'oubli total ! Pour son travail, elle mérite, aujourd'hui, d'être au niveau de Dior ou de Chanel. Quand je vois que les nouvelles générations ne la connaissent pas, je me dis que c'est dommage pour la culture mode. Son nom doit faire écho au même titre que Madeleine Vionnet, Schiaparelli, les soeurs Callot, Patou et Paul Poiret. J'adore aussi Yohji Yamamoto, tant pour son travail créatif que pour son côté professeur de mode qui a influencé des générations.
En tant que créateur, je n'ai pas envie de proposer une mode "mouton", j'aime créer de l'émotion : c'est plus valorisant si une cliente achète suite à un coup de coeur que si elle a vu un influenceur porter mon vêtement.
En tant que créateur, je n'ai pas envie de proposer une mode "mouton", j'aime créer de l'émotion
Mossi Traoré
Ci-dessous la vidéo du défilé Mossi automne-hiver 2022-23, présenté ce 7 mars 2022 dans le cadre de la Paris Fashion Week
Quels sont les engagements de votre marque made in banlieue ?
Le business model que j'aimerais suivre, c'est ceux de Leila Janah et d'Ali Benat. Lui, c'est un milliardaire australien d'origine palestinienne : atteint d'un cancer, il a repensé sa manière de vivre en faisant des actions caritatives, notamment en Afrique. Pour Leila Janah, on ne combat pas la pauvreté par la charité mais en créant de l'emploi.
C'est ce type de business model qui m'interpelle et me touche. Ma marque, c'est l'humain, l'échange. J'aimerais que l'on ne me juge pas seulement sur le chiffre d'affaires mais sur l'impact social que l'on va avoir sur le territoire. On veut être un projet engagé, un projet de terrain : cela passe par la formation, par créer de la cohésion sociale entre les gens, promouvoir l'accès à la mode et à la culture au coeur des quartiers qui en sont les plus éloignés, préserver le patrimoine (le savoir-faire de la haute couture) en rendant cela accessible au plus grand nombre.
A chaque saison vous engagez des collaborations artistiques
Chaque collaboration a été une histoire à part entière : le travail des sculptures textiles de Simone Phelpin me faisait penser à celui de Madame Grès. Il y a eu aussi Hassam Massoudy le calligraphe et Lee Bae l'artiste coréen qui travaille le charbon, exposé en ce moment à la galerie Perrotin... Pour ces collaborations, je me laisse guider par l'émotion : quand je vois un artiste dont le travail me donne chaud au coeur, j'aime bien l'inviter et lui rendre hommage.
Quel est l'artiste invité pour la collection automne-hiver 2022-23 présentée ce 7 mars ?
Dans cette collection, il y a deux histoires intéressantes : une collaboration avec Angélique Lefèvre et une gamme de produits à partir de la caséine de lait. Angélique Lefèvre, qui fait de la sculpture textile, a un univers qui fait penser à Martin Margiela : chez elle, c'est tout blanc. Elle crée des personnages, des sculptures de visage en organdi. Elle solidifie le plâtre pour donner naissance à des formes et travaille le PET (ndlr : polymère de type polyester). On est aussi sur un projet d'innovation et de développement durable en travaillant quelques pièces à partir de la caséine de lait, non consommable transformé en tissu.
Vous êtes en mode challenge tout le temps, quel est le prochain ?
Chaque année, j'essaie de faire une exposition franco-indienne : j'ai besoin de sortir de la mode pour faire des projets perso. J'aime les challenges un peu fous et souvent on me dit, tu travailles à l'échelle d'un groupe de mode ! C'est ainsi un challenge d'être une jeune marque et d'ouvrir un espace de 200 m2 au Carrousel du Louvre en décembre dernier. Dans cet espace mode-art, on présente nos vêtements, nos collaborations artistiques. Un lieu pour mettre en lumière des jeunes artistes talentueux lors de présentations éphémères.
En mars, on participe à la Fashion Week indienne où l'on doit présenter une collection capsule créée pour l'Inde avec un tissu traditionnel, le khadi. J'ai déjà réalisé le challenge d'habiller des stars de Bollywood.
Avec ma municipalité, on est aussi sur un projet d'hommage à Madame Grès avec la création d'un musée à Villiers. L'idée, c'est de ramener la haute couture et ses métiers en banlieue.
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