Casa 93 à la Fashion Week de Paris : une école de mode prend le podium et tisse l'espoir
Derrière une fine bâche de plastique blanc, des sons difficilement compréhensibles mais indéniablement joyeux éclatent et se répandent bruyamment dans l'immense espace de Virage Paris. Ce lieu de fête inclusif situé sous le périphérique entre le 17e arrondissement et la ville de Saint-Ouen accueille alors, à l'occasion de la semaine de la mode, le défilé de la sixième promotion de la Casa 93. Ses voix enjouées, ce sont celles des étudiants qui, après avoir brièvement salué un public conquis par le show, ont rejoint les backstages.
Et lorsque les vingt créateurs – forcés par les applaudissements – réapparaissent dans les allées, il n'en va pas du moment de gloire. Tous clament en chœur le nom de Nadine Gonzalez – la fondatrice de l'école – et lui décernent tous les "bravos" que les spectateurs leur adressent.
Cette attention des étudiants est d'autant plus touchante que la Casa 93 – parfois prononcé "casa neuf-trois" –, n'est pas vraiment une école comme les autres. Ouverte depuis 2017 sans condition de diplôme aux personnes de 18 à 25 ans, la Casa 93 est une école entièrement gratuite. Située à Montreuil, son objectif est de rendre plus accessible le milieu de la mode à des jeunes talents qui ne sont pas en mesure, pour des raisons financières ou d'acquis préalables, d'intégrer un autre établissement.
Du choc à la sérénité
Baptisée 66°33" en référence au cercle arctique qui correspond à la latitude nord au-delà de laquelle il y a, chaque année, au moins vingt-quatre heures sans nuit et vingt-quatre heures sans jour, la collection de la sixième promotion de la Casa 93 se veut porteuse d'espoir. "On explore les différentes étapes de la vie, des sentiments, un cycle qui va du choc à la sérénité. Le cercle polaire c'est un symbole de métamorphoses", explique Pacôme, une étudiante de 25 ans. "Ce n'est pas parce qu'il fait sombre pendant un long moment que ça ne va pas aller mieux", ajoute, à la volée, un autre étudiant.
Et des tenues noires jusqu'aux ensembles immaculés, la collection que la Casa 93 a présentée mardi 26 septembre se pose bel et bien comme un cycle salvateur. Alors que le défilé s'ouvre avec des tenues sombres faites de tissus rigides et de déchirures, les mannequins font progressivement entrer davantage de couleur et de souplesse dans les allées brutes de Virage Paris. Du bleu, du violet, du rose, du marron, du jaune puis un rouge vif qui s'allie avec le noir et se mêle avec le blanc avant de lui laisser totalement la place.
Offrant ainsi une large palette de couleurs, les jeunes créateurs livrent également, à travers une grande variété de matières, une véritable démonstration technique. Cuir, coton, carton, microfibres ou encore plastique : les étudiants s'attaquent à tout et n'hésitent pas à altérer la nature première des tissus, recourant notamment à un usage ingénieux et peu académique de décapeurs thermiques.
Une autre mode
Pour ce défilé, l'ensemble des créations a été réalisé grâce à des dons de tissus et de vêtements que font tout au long de l'année diverses marques et entreprises. "C'est grâce à nos mécènes, nos partenaires et nos donateurs que la Casa 93 peut se permettre d'être gratuite", rappelle Nadine Gonzalez, fondatrice de l'école, au terme du show. Parmi eux : Louis Vuitton, Courir, Adidas, La Redoute ou encore Mugler. Certaines marques font également parvenir aux étudiants des vêtements et accessoires qu'ils peuvent alors retravailler à leur guise. Pour ce défilé, la maison Christian Louboutin a envoyé une cinquantaine de paires de chaussures à l'école. Des escarpins aux mocassins, toutes les paires ont été adaptées à la thématique de la collection.
Essentiels à la vie de la formation, ces partenariats donnent également une orientation résolument écologique à la Casa 93. En effet, les créations ne nécessitent aucune production supplémentaire de textile. "Il y a très souvent des livraisons de matériaux. Parfois, on apporte également les vieux vêtements de nos proches, tout est fait à partir d'une matière qui existe déjà", explique Pacôme. "Le but est vraiment de créer loin des pratiques des grandes marques ou de la fastfashion" ajoute Fatima, également étudiante à la Casa 93. Par ailleurs, organisé dans un décor neutre et utilisant pour tout ornement quelques bâches de chantier, le show a été cofinancé par l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Dans ce contre-pied à la mode traditionnelle, une autre volonté des étudiants apparaît : celle d'une plus grande inclusivité et d'un rejet des normes, notamment celles du genre. Jupes et pantalons mais aussi corps dévoilés – ou non – pour toutes et tous, sans distinction. Et durant le défilé, les vêtements sont présentés au public par des mannequins non professionnels qui ont été choisis par les étudiants. Un casting sur les réseaux a été lancé pour l'occasion. "On voulait des gens qui nous ressemblent, qui ont notre diversité. On voulait aussi qu'il y ait des personnes plus âgées", explique une étudiante.
Faire œuvre en collectif
La collection que les étudiants ont présentée le 26 septembre à la Fashion Week est ainsi le fruit d'une année d'apprentissage individuel et de création collective. "Chacun d'entre nous est le maillon d'une chaîne, et c'est cette chaîne qui constitue notre collection", analyse Pacôme, lors d'une visite des ateliers de l'école quelques jours avant le défilé. Même si chaque étudiant est à l'origine de telle ou telle pièce qui constitue une partie de l'un des cinquante looks de la collection, c'est toujours le groupe qui prime.
Lors de la sélection des élèves parmi les 600 postulants de la promotion 2023, c'est bel et bien un collectif capable d'auto-apprentissage et d'entre-aide qui a été constitué. "Certains sont très créatifs, ont un univers bien à eux mais n'ont presque pas de connaissance en couture tandis que d'autres sont déjà très à l'aise avec la pratique", ajoute l'étudiante. "On apprend tous des choses différentes et on apprend les uns des autres", explique alors Anita. "Je savais déjà coudre, j'ai plus travaillé ma créativité et ça a été une vraie aventure humaine".
Si la collection a d’ores et déjà été présentée, le suivi ne s'arrête pas là pour les vingt jeunes qui n'ont, pour certains, qu'un an de travail dans le milieu de la mode au compteur. Après l'année de formation à la Casa 93 qui prévoit six mois de découverte technique et six mois de préparation de la collection, les étudiants s'apprêtent à suivre trois mois d'accompagnement à l'insertion professionnelle qui seront suivis de deux à six mois de stage en entreprise.
À la fin de l'aventure, ils seront en moyenne 35% à intégrer une nouvelle formation tandis que la majorité de la promotion travaillera à son compte. Fatima aimerait continuer à se former et s'orienter vers la direction artistique tandis que Pacôme aimerait débuter comme styliste. "Tous les membres de la promo ne savent pas forcément ce qu'ils veulent faire, explique cette dernière, mais s'il y a une chose qui est certaine, c'est qu'on s'est tous énormément découverts".
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