Rencontre avec Aaron Teav, Grand Prix du Festival international des créateurs de mode de Dinan avec un vestiaire mixant "workwear" et "homewear"
Depuis 26 ans, le Festival international des créateurs de mode donne la parole à des talents en herbe : à Dinan (Côtes d'Armor), ils étaient 10 en lice du 7 au 9 octobre 2022. Aaron Teav y a raflé deux prix sur trois
Le Festival international des créateurs de mode, fondé par Dominique Damien Réhel, s’est déroulé à Dinan (Côtes d'Amor) du 7 au 9 octobre 2022 à une date inhabituellement automnale mais il retrouvera sa saison printanière dès avril 2023.
Le jury présidé par le couturier Stéphane Rolland a élu le créateur d'origine sino-cambodgienne Aaron Teav - parmi les 10 jeunes, fraîchement diplômés ou ayant déjà créé leur marque - , Grand Prix Dinan et Prix Territoire Commerçant/Grand Public. Le prix Gavottes - métamorphose en accessoires de mode des coffrets de gâteaux - a été décerné, quant à lui, à Maël Roussel.
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Une collection inspirée de ses origines
D’origine asiatique et né à Paris, il tire ses inspirations de son vécu et de la confrontation de ses différentes cultures. C’est dans le cadre de ses études à Lisaa en 2022 qu'Aaron Teav crée sa collection de diplôme Warehouse. Ayant fait la majorité de son parcours durant la période de Covid et marqué par celui-ci, il réinvente le vêtement pour l'adapter aux nouveaux modes de vie. Mixte, la collection mêle le vêtement d’intérieur à celui d’ouvrier.
En contrat d'apprentissage depuis septembre, et pour deux ans, chez Ken Okada, dont la marque créée il y a 20 ans est installée à Paris, Aaron Teav a séduit la créatrice japonaise lors d'un jury d'école à Lisaa qui affirme : "il connaît la technique". Rencontre avec Aaron Teav, une semaine après sa victoire au Festival de mode de Dinan.
Franceinfo Culture : Grand Prix du festival et prix Dinan Territoire Commerçant/Grand public, comment vivez-vous cette double victoire ?
Aaron Teav : Honoré et ému d'avoir pu vivre cette belle aventure avec les autres créateurs. J'ai l'impression d'être parti deux semaines alors que ce n'était que trois jours. Je n'avais aucune attente et gagner deux prix sur trois, dont le Grand Prix, c'était impensable sachant que certains créateurs - avec qui j'ai partagé cette aventure -, j'ai vu leur travail au défilé de fin d'année de Lisaa. Quand le vêtement est porté sur un mannequin, cela prend une autre dimension et je me suis dit : je ne peux pas rivaliser, je n'ai pas leur niveau... Et surprise, peut-être un manque de confiance en moi, mais je ne pensais vraiment pas que j'étais parti pour gagner.
C'est votre école Lisaa qui vous a proposé de postuler ou c'est une décision individuelle ?
C'est un peu les deux : le Festival de Dinan, on le connaît tous dans le monde de la mode. Romain Boyer, directeur artistique à Lisaa, a organisé une inscription groupée pour les personnes motivées, en juillet, juste après le défilé de notre école. Je ne pensais pas participer au Festival mais le gagnant de l'année dernière, Théo Boistel, a parlé de moi à Dominique Damien Real [le fondateur du Festival] qui m'a proposé de m'inscrire.
Quelles sont les dotations liées à chaque prix ?
Avec le Grand Prix, j'ai gagné un an de suivi par une agence de communication, un coaching business avec Muriel Piaser Consulting, un stand sur le salon Who's Next, une journée de tissus gratuits chez Sfate-Guigou à Lyon ainsi qu'une formation à l'Académie Internationale de Coupe de Paris de 3 mois [le gagnant choisit un module de plusieurs semaines de coupe à plat ou de moulage ou de CAO selon ce qui correspond le plus à ses besoins]. Avec le Parcours Like [le public votait sur les réseaux sociaux pour une tenue exposée dans une boutique et la plus plébiscitée recevait le Prix Dinan Territoire Commerçant/Grand public], j'ai reçu aussi une formation AICP et un chèque de 1200 euros.
Vous avez offert une de vos formations AICP à Olivia Perrée, autre concurrente en lice. Pourquoi ?
Au Festival, on est tout de suite parti dans une bonne ambiance dans un environnement serein où on a pu s'exprimer et prendre du plaisir. Au sein de ce groupe, tout le monde méritait d'être récompensé mais j'ai vu comment Olivia travaillait [Aaron l'a côtoyée pendant son année d'études puisqu'elle était étudiante à Lisaa]. J'ai offert cette formation à une personne qui la méritait et à qui cela servira. Forcément, il y a des personnes avec qui on a plus d'affinité mais je la voyais surtout comme la gagnante. Elle a fait un travail formidable et après le défilé Gavottes, on parlait beaucoup du corset qu'elle a présenté.
Quand j'ai dit que j'offrais ma formation AICP, les surprises se sont enchaînées puisque d'autres prix ont été donnés le dimanche 9 octobre. Si au départ, il y avait trois prix - le Grand Prix Dinan, le prix Gavotte et le Prix Territoire Commerçant -, j'en ai gagné deux sur trois, d'autres personnes ont été récompensées.
Ainsi Christelle Mesnage [présidente de Dinan Territoire commerçant] a eu un coup de coeur et a donné 1000 euros à Olivia Perrée, Wilfried Enokou-Zeze s'est vu offrir par l'AICP une formation et Vgthmind a reçu un prix intertextile de 1000 euros par Michael Scherpe [président de la délégation officielle de Messe Frankfurt France et Monaco].
Quand a été réalisée votre collection présentée au Festival ?
C'était pendant ma dernière année de Bachelor de design de mode à Lisaa mode Paris : de septembre à novembre 2021, j'ai réalisé les inspirations, les dessins, puis j'ai fait le sourcing matières et monté ma collection, constitué de sept looks, en avril. Je n'ai pas participé au défilé de fin d'année de l'école mais à un showroom en juin où des professionnels m'ont décerné un prix de styliste-modéliste. Cela m'a préparé au Festival de Dinan !
Quelle est l'histoire de votre collection "Warehouse" ?
J'ai mélangé le vestiaire workwear et homework c'est-à-dire les vêtements de travail d'ouvrier avec le pyjama et les autres vêtements que l'on trouve chez soi, tout en m'inspirant de ma double culture - je suis asiatique né à Paris. Je dors très peu et je travaille beaucoup la nuit : je voulais évoquer un peu un rêveur éveillé. Un soir, lors d'une balade de nuit, j'ai vu des ouvriers au travail. Je me suis dit pour que notre quotidien fonctionne, il y a des gens qui font tourner la ville et qu'on ne voit pas. Je suis parti sur ce thème : mon histoire est celle d'un ouvrier(ère) qui travaille en poste continu, parfois de jour, parfois de nuit. Il a son horloge interne déréglée entre le jour et la nuit, l'intime et le publique, et somnole dans un rêve éveillé. Il part au travail au saut du lit, dans le rush, avec son pyjama, ou somnole à sa pause, puis rentre chez lui et se rendort. Son vêtement de travail devient son pyjama et inversement.
Cette histoire s'inscrit dans une logique post Covid où l'on sortait en pyjama pendant le confinement, où l'on travaillait parfois avec son bas de pyjama. C'est cette recherche de confort que j'ai voulu transcrire en travaillant des matières précieuses mais en même temps super confortables. J'ai beaucoup utilisé le blanc sur différentes matières avec quelques touches de couleur dont mon imprimé phare coloré, multicolore, flou et abstrait (un peu aurore boréale) qui, dans la même logique, représente le domaine du rêve. Je voulais représenter les matières réfléchissantes du vestiaire ouvrier mais toujours en travaillant des tissus nobles, comme le taffetas de soie qui donne des reflets différents selon l'inclinaison et la lumière.
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Avez-vous déjà imaginé le lieu qui abritera votre collection ?
Lors de la table ronde organisée pour les créateurs lors de l'ouverture du Festival, les professionnels nous ont conseillé - vu que nous n'avons pas encore toute l'expérience et les armes - de prendre notre temps mais d'être prêt à batailler, alors j'y ai songé.
Au départ, je n'étais pas prédestiné à la mode, je m'y suis intéressé assez tard : ma passion première, c'est le dessin, et j'ai développé une sensibilité artistique. Si un jour ça marche pour moi, j'aimerais rassembler des personnes de tout horizon avec des univers différents et ne pas me limiter à la mode. J'ai rencontré des gens talentueux qui émergent et j'aimerais partager avec ceux avec qui j'ai eu une connexion dans un lieu à Paris. Un concept-store où il y aurait ma boutique mais aussi des espaces de showroom et d'expositions pour réunir des artistes. J'ai aussi en tête un coin restauration pour créer un lieu de détente où venir partager du bon temps. Je l'appelle le "sanctuaire" pour que les personnes du monde entier viennent s'y rencontrer.
Vous êtes en apprentissage chez Ken Okada depuis septembre. Pourquoi ce choix ?
Je voulais faire un master de design de mode et de création de marque à Lisaa car si j'ai pour projet de créer une marque à long terme, je me suis dit autant avoir plus d'expérience. Je ne me sentais pas de rentrer tout de suite dans le monde professionnel : avec le contrat d'apprentissage, j'ai tout à gagner puisque je vais avoir ce master et deux ans d'expérience en entreprise.
Avec Ken Okada, ça s'est fait un peu tout seul : elle était jury à mon examen final de fin d'année. A cette occasion, j'avais une amie qui portait mes vêtements et Ken Okada lui a proposé de défiler à son propre show. Et c'est lors de ce défilé qu'elle m'a proposé une alternance.
Vos projets ont-ils changé depuis votre victoire au Festival ?
Mes perspectives ont changé avec le Festival : aujourd'hui tout s'accélère aussi. Au début, j'ai eu un peur de ne pas pouvoir gérer tout pendant mon alternance. Je me suis dit, il faut que j'accélère le rythme et que je commence dès maintenant à développer mon projet en parallèle. Ce que j'ai gagné lors du Festival constitue des ressources pour mon cursus scolaire et ma formation mais j'aurai plus de travail. Tous les contacts que j'ai pu me faire durant ce week-end de Festival m'aident et je commence à développer mon réseau.
Quels moments forts garderez-vous du Festival ?
Je ne m'attendais pas à gagner, ce n'était pas dans ma tête mais cela m'a donné un coup de boost et surtout une confiance en moi que je n'avais pas forcément avant. Le fait de voir mon vêtement porté sur un mannequin lors d'un défilé, cela prend une autre dimension. Je n'avais jamais vu ça avant.
Le dimanche 9 octobre, au lendemain de la remise de mon Grand prix, il y a eu encore un défilé pour la remise du Prix Territoire Commerçant. Si la veille, j'étais en backstage, cette fois-ci, j'étais assis dans le public. J'ai ressenti à ce moment-là quelque chose d'incroyable : c'était la première fois, une satisfaction absolue, j'avais des frissons quand j'ai vu les portables qui se levaient pour photographier mes vêtements. C'était la première fois que je montrais ma collection au public, que j'entendais les avis. Cela m'a aidé à prendre confiance et a réaliser ce que j'avais fait !
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