Arrêté il y a un an au Rwanda, le couturier LGBT+ Moses Turahirwa prêt à rebondir

Sa carrière s'est brutalement interrompue en avril 2023 après un post sur les réseaux sociaux. "Je renaîtrai de mes cendres", assure aujourd'hui Moses Turahirwa.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
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Le créateur de mode rwandais Moses Turahirwa dans son studio de création à Kigali, le 9 avril 2024. (LUIS TATO / AFP)

Avec sa marque Moshions créée en 2015, Moses Turahirwa a connu le succès depuis son Rwanda natal, où le président Paul Kagame figurait parmi ses clients, jusqu'aux podiums européens. Mais en avril 2023, la carrière du couturier LGBT+ s'est brutalement interrompue.

Tout a commencé par une publication sur Instagram. Le 26 avril 2023, le créateur poste une photo de son passeport avec la rubrique "sexe" modifiée de masculin à féminin, accompagnée du commentaire : "Enfin officiellement une femme sur ma carte d'identité. C'est amusant. #MerciKagame". "Je voulais attirer l'attention sur le fait que ce n'est pas un crime de (vouloir) changer de sexe", explique cette figure de la communauté LGBT+ rwandaise, qui se définit comme non-binaire et se définit avec le pronom "iel". Il s'agissait d'une photo retouchée par ordinateur, mais Moses Turahirwa est accusé de faux et placé en détention.

"Je renaîtrai de mes cendres"

Deux mois plus tard, libération sous caution. L'accusation de faux a été abandonnée, mais des poursuites pour usage de stupéfiant sont engagées après des tests positifs au cannabis. Pour le styliste, les autorités "voulaient faire un exemple pour les jeunes, pour qu'ils soient très prudents avec leur liberté". Si l'homosexualité n'est pas illégale au Rwanda, contrairement à plusieurs de ses voisins (Tanzanie, Ouganda, Burundi), et que le pays a signé une déclaration des Nations unies de 2011 condamnant la violence contre les personnes LGBT+, les comportements envers la communauté reflètent "beaucoup de toxicité", selon le couturier de 33 ans.

Moses Turahirwa ajuste l'un de ses modèles sur un mannequin lors d'une séance d'essayage et de séance photo dans son studio de création à Kigali, le 9 avril 2024. (LUIS TATO / AFP)

Le scandale créé par sa publication lui a valu des campagnes de dénigrement en ligne, certains clients se sont détournés et ses affaires ont connu un coup d'arrêt. Mais "je renaîtrai de mes cendres", assure Moses Turahirwa, disant vouloir désormais axer son travail autour du concept de fluidité de genre qui l'a initialement attiré vers la mode.

"Je me souviens de beaucoup de rejet"

Le Rwandais s'est heurté dès son enfance à la différenciation des genres. Dans son village dans l'ouest du pays, le jeune garçon aimait confectionner des robes pour les poupées de ses sœurs, mais l'activité suscitait des réactions réprobatrices : "Je me souviens de beaucoup de rejet quand j'étais enfant. Ma mère (...) ne voulait pas que je joue avec des poupées". C'est après avoir rejoint la capitale Kigali que l'étudiant en ingénierie civile décide d'embrasser sa passion pour la mode. De sa collaboration avec d'autres créateurs aux mêmes idées naît la première collection de ce qui deviendra la marque Moshions.

Moses Turahirwa travaille sur une pièce de sa nouvelle collection dans son studio de création à Kigali, le 9 avril 2024. (LUIS TATO / AFP)

Entièrement cousues à la main, les créations – débardeurs blancs transparents, shorts en cuir couleur bronze, chemisiers à basque – affichaient un ton résolument moderne, sans aucun imprimé africain. Succès instantané dans l'univers de la mode alors naissant au Rwanda. Les ventes ne décolleront que deux ans plus tard lorsque, à l'occasion de l'élection présidentielle de 2017, la marque lance des vestes et tee-shirts sérigraphiés de portraits du chef de l'État Paul Kagame, l'homme fort du pays depuis la fin du génocide des Tutsi en 1994. Des partenariats gouvernementaux suivent. Paul Kagame lui-même s'affiche en chemise Moshions.

La marque gagne également en notoriété internationale, avec des défilés en Europe et des créations portées par la star du football ivoirien Didier Drogba ou l'égérie du réalisateur Pedro Almodóvar, Rossy de Palma. Début 2023, la société employait une trentaine de personnes à Kigali, avec un chiffre d'affaires annuel de 500 000 euros, affirme Moses Turahirwa.

"Recommencer à zéro"

Une pièce, qui résonne parfaitement avec son identité, lui tient à cœur : le mushanana, étole drapée traditionnelle portée par les hommes comme par les femmes au Rwanda. "La mode (...) vous donne le droit d'être qui vous voulez" est un de ses crédos, malgré les controverses qui l'ont visé ces dernières années. Trois mois avant son arrestation, en janvier 2023, une polémique avait éclaté après la diffusion sur les réseaux sociaux d'une vidéo prétendant montrer le couturier ayant des relations sexuelles avec deux hommes.

En novembre 2022, un tollé suscité par la publication de photographies de nu sur ses réseaux sociaux l'avait poussé à démissionner de son poste de PDG de Moshions. Le créateur a repris ses fonctions cette année et, face à la "négativité" à son égard, dit vouloir "recommencer à zéro" en faisant de Moshions une marque plus confidentielle autour de designs unisexes. Malgré son arrestation, Moses Turahirwa affiche un soutien sans faille au gouvernement. Moshions a créé une nouvelle série de tee-shirts à l'effigie de Paul Kagame pour sa campagne de réélection pour un quatrième mandat en juillet.

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