Louis Stettner, ici ailleurs
Le Centre Pompidou consacre au photographe Louis Stettner une rétrospective d’une centaine d’œuvres dans la Galerie de photographies et met ainsi à l’honneur l’un des derniers grands photographes américains de cette génération toujours en activité.
L’exposition donne à voir huit décennies d’une production riche, puissante et poétique.
Né en 1922, Louis Stettner commence la photographie dans les années 1930. Dans les décennies d’après-guerre, il fait de fréquents allers-retours entre la France et les États-Unis.
Grand témoin de l’histoire de la photographie, Stettner dévoile le Paris poétique des années d’après-guerre, le New York en mouvement des années 1950, 1960, 1970, la qualité atmosphérique des ambiances urbaines, ou les gestes du travail qu’il a su capter avec une incomparable acuité.
Souhaitant que le Centre Pompidou devienne le lieu de référence pour son œuvre, Louis Stettner vient de lui faire don d’un ensemble exceptionnel de cent quatre épreuves. Grâce à la générosité d’ Hervé et Etty Jauffret, ce don s’accompagne également d’une nouvelle acquisition de sept tirages d’époque de l’artiste et de l’extraordinaire maquette de « Pepe & Tony », un projet de livre de 1956 jamais réalisé. Présentés dans l’exposition, cet ensemble inédit de tirages vintages et cette maquette viennent considérablement enrichir le fonds sur la photographie américaine de la collection de photographies du Centre Pompidou.
Entretien entre Louis Stettner, Clément Chéroux et Julie Jones.
Vous avez raconté que quand vous étiez jeune, vous alliez dans la salle de lecture du Metropolitan Museum pour regarder des photographies. Quand était-ce, précisément ? Quels photographes vous intéressaient ?
Alfred Stieglitz, Paul Strand, Ansel Adams, Clarence H. White… Toute l’histoire de la photographie américaine. Des Européens aussi, comme Puyo, Demachy… À l’époque, il était possible de téléphoner et de prendre rendez-vous pour voir des tirages. J’étais très jeune, je devais avoir quinze ans. Vous savez, quand Stieglitz a fait don de ses photographies au Met, il a bien spécifié qu’elles devraient rester encadrées. Tout était tellement guindé en ce temps-là, je portais une veste avec des boutons de cuivre, une cravate, et on déposait devant moi ces tirages encadrés. Je crois bien que j’étais seul à l’époque !
Personne ne s’intéressait à ces choses-là ! J’y suis allé souvent…
Quel type de potentiel voyiez-vous dans la photographie ? Un potentiel créatif ? Littéraire ? Ou documentaire ?
Un potentiel créatif. Le document ne m’intéressait pas. Je pensais qu’avec la photographie je pourrais réaliser quelque chose d’important, qui ait du sens pour les autres, d’aussi fondamental que la poésie, à égalité avec elle. Stieglitz s’est battu pour ça. Il a passé sa vie à obtenir la reconnaissance de la photographie, à démontrer qu’elle valait autant que les autres arts. J’en étais personnellement vraiment convaincu.
Est-ce le même Louis Stettner qui photographie en Amérique et en France ?
Exactement le même ! Quand je suis arrivé en France, il n’y avait pas de paranoïa, les gens acceptaient qu’on les photographie dans la rue. En Amérique, les gens sont devenus très suspicieux.
Un jour, quelqu’un a été jusqu’à appeler la police parce que j’étais resté plus de cinq minutes debout sans bouger avec mon appareil ! Les Français, eux, ne protestent pas, ils n’interfèrent pas dans votre travail, même si être photographié peut les mettre de mauvaise humeur. En France, on a gardé la même attitude de respect, c’est beaucoup plus facile.
Louis, vous n’êtes pas seulement photographe mais aussi sculpteur, peintre ; vous dessinez également beaucoup. Qu’y a-t-il d’unique dans la photographie, pour vous ?
Peindre, sculpter, dessiner m’aide à mieux voir la photographie. Je ne peux pas tout faire en même temps. Je photographie quand il m’est impossible de peindre ou de dessiner. Et je peins ou dessine quand il m’est impossible de photographier. Mais je crois fondamentalement que la photographie est ancrée dans le réalisme. C’est ce qui m’intéresse en elle. Sa nature. Et cela vous amène à produire quelque chose d’expressif. Lorsque les gens regardent une photographie, ils réagissent sur-le-champ, parce qu’ils peuvent en apprécier la poésie bien plus rapidement que devant une peinture. Ce que je fais essentiellement, c’est de la poésie. J’épure pour donner du sens. J’ai toujours pensé que si on se donne des règles, comme celles du sonnet pour un poème, si on adopte un certain rythme, cela rend la photographie plus forte. Avoir dû rester dans les frontières du réalisme a constitué une limitation, que j’ai ressentie comme une contribution à la puissance de mes images. La nature même de la photographie vous force à produire quelque chose de bien plus expressif que la peinture ou la sculpture ne pourraient le faire. Vous devez travailler en prise avec la vie réelle. Prenez Promenade, Brooklyn, aucun peintre n’aurait jamais pu imaginer cette relation avec les gratte-ciel, les lignes… L’image est fondée sur la réalité ! Aucun autre médium n’aurait pu permettre ça.
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