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"Tendre vers la sobriété numérique" : un livre pour réduire l'empreinte carbone de nos usages numériques

À l'occasion de la COP26, Franceinfo a interrogé Frédéric Bordage, auteur du livre "Tendre vers la sobriété numérique" paru le 13 octobre. Il revient sur l'empreinte carbone de nos usages numériques et sur les façons de la réduire.

Article rédigé par Camille Belsoeur
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une exposition du photographe Vivian Maier au musée du Luxembourg à Paris.  (Hans Lucas via AFP)

C'est une question simple qui nous a poussés à nous interroger sur notre empreinte carbone numérique : est-ce que regarder un film sur une plateforme de streaming en ligne réduit à néant notre effort de prendre le vélo plutôt que la voiture pour se rendre au bureau ? En 2019, une étude avait affolé la Toile. Dans un rapport du think tank The Shift Project, l’un des auteurs avançait que trente minutes de streaming équivalaient à l’émission de 1,6 kilo de dioxyde de carbone (CO2), soit un trajet de 6 kilomètres en voiture. Un chiffre finalement retoqué en raison d'une grosse erreur de calcul. L’Agence internationale de l’énergie estime plutôt à 40 grammes de CO2 l'impact d'une heure visionnage d'une vidéo en ligne, en incluant les émissions produites lors de la fabrication des appareils. C'est l'équivalent d'une bouilloire électrique qui porte de l'eau à ébullition. À titre de comparaison, envoyer un email équivaut à une émission de 7 à 8 grammes de CO2.

Quelle est l'empreinte numérique moyenne d'un Français?

Ce n'est pas parce qu'une heure de streaming n'a qu'un impact carbone limité qu'il faut ignorer le poids de notre empreinte numérique. Selon Frédéric Bordage, fondateur du site GreenIT.fr consacré à l'informatique durable et auteur du livre Tendre vers la sobriété numérique (éditions Actes sud, octobre 2021), l'empreinte numérique d'un Français est en moyenne de 450kg d'équivalent carbone par an, soit un trajet de 3000 km en voiture. Un impact environnemental non-négligeable qui s'explique par le nombre d'appareils connectés que possède en moyenne chaque citoyen. 

"Un Français de plus de 15 ans possède en moyenne 15 équipements numériques. On compte les tablettes, smartphones, la box, le compteur Linky, l'ordinateur de bord de la voiture, la montre connectée... Une fois qu'on a fabriqué le numérique avec les datacenters et les ordinateurs, on arrive déjà à 80% de notre impact environnemental. L'électricité produite pour alimenter ces appareils compte ensuite pour 20%. En fait, on se focalise sur les usages alors que nous on constate que c'est le fait de posséder un appareil et de l'allumer qui a un impact écologique. Quand on supprime un mail ou quand on se force à ne pas regarder une vidéo en streaming, cela n'a pas d'impact ou presque", pointe Frédéric Bordage. De son point de vue, ce qui coûte à l'environnement c'est d'acheter un ordinateur ou un smartphone et de se connecter à internet. 

Selon l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), le numérique représente aujourd’hui 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde et 2% des émissions au niveau national. 

Une femme en télétravail à Paris, le 2 septembre 2020.  (HANS LUCAS VIA AFP)

Comment réduire notre empreinte numérique?

Un Français émet au total près de 12 tonnes de CO2 par an. Mais pour parvenir à maintenir la hausse de la température mondial à 1,5 °C, comme l'ambitionne l'accord de Paris sur le climat, il faudrait ramener nos émissions individuelles à 2,2 tonnes par an. Notre empreinte numérique compterait alors pour beaucoup dans ce mode de vie plus sobre. Comment s'y prendre pour la réduire ? 

"Mon premier conseil, c'est de ne pas se suréquiper, dit Frédéric Bordage. On n'a pas raté sa vie à 40 ans si on n'a pas de montre connectée". Ensuite, il suggère de favoriser au maximum la seconde vie des appareils. Plutôt que de jeter son smartphone, il vaut mieux le revendre à un reconditionneur ou le donner à un ami. "En tant que consommateur, il faut aussi accepter d'acheter des appareils de seconde main. Un smartphone reconditionné par un professionnel par exemple." Pour encourager le marché d'occasion, l''équipe d'experts indépendants de GreenIT milite pour la mise en place d'un passeport numérique pour chaque objet connecté en l'assortissant d'un contrôle technique lors d'une revente, "pour créer un lien de confiance entre le reconditionneur et le client".

On n'a pas raté sa vie à 40 ans si on n'a pas de montre connectée

Frédéric Bordage

Le troisième conseil est de regarder la télé en passant par la TNT plutôt que par la fibre. "On tape beaucoup sur Netflix, mais le gros du flux c'est la télé qui passe par la box". 

Signe que le sujet est dans l'air du temps, le Parlement a adopté définitivement mardi 2 novembre, une proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique. Ce texte comprend de nombreuses mesures destinée en particulier à soutenir le recyclage et le réemploi des appareils numériques (smartphones, ordinateurs, tablettes, etc.) pour réduire leur impact sur l'environnement. Selon les travaux d'une mission d'information sénatoriale, si rien n'est fait, le numérique serait à l'horizon 2040 à l'origine de 24 millions de tonnes équivalent carbone, soit environ 7% des émissions de gaz à effet de serre de la France, contre 2% aujourd'hui.

Le numérique utilise des ressources non-renouvelables

"Si vous suivez tous ces conseils, vous faites déjà 90% des gestes clés pour tendre vers une sobriété numérique", affirme Frédéric Bordages. En plus de réduire les émissions de CO2, cette sobriété permettrait de ralentir l'extraction des ressources naturelles non-renouvelables nécessaires à la fabrication des objets technologiques, comme le lithium ou le cobalt. 

GreenIT vient de réaliser une étude (qui sera dévoilée en décembre) pour un parti politique européen. Dans ce rapport, les experts estiment qu'au rythme actuel, il reste seulement 30 ans de numérique devant nous à cause de l'épuisement de ces ressources. Bien sûr, comme pour le pic pétrolier, qui avait été annoncé par des experts pour le début des années 2000 sur la base des savoirs de l'époque puis démenti par le progrès technologique, le pic d'extraction des ressources naturelles utilisées par l'industrie du numérique sera sans doute repoussé au fil de nouvelles découvertes. "Mais à quel prix?, s'interroge Frédéric Bordages. "À quel coût écologique trouvera-t-on de nouvelles ressources ? Pour le pétrole, on voit bien l'impact catastrophique des sables bitumineux". Pour lui, le déploiement de la 5G fera d'ailleurs perdre au numérique "deux ans de ressources" à cause "du nombre de téléphones qui seront changés par les utilisateurs, alors qu'ils seront encore parfaitement fonctionnels"

Tendre vers la sobriété numérique de Frédéric Bordage est paru le 13 octobre aux éditions Actes sud.

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