Corvée ou plaisir ? La dédicace est la star du Salon du livre de Paris, qui se tient jusqu'au 23 mars porte de Versailles. Plus de 3000 auteurs s'y collent durant tout le week-end, rompant avec le quotidien d'un écrivain habitué à faire face à sa feuille de papier ou à son écran d'ordinateur, pour aller à la rencontre des lecteurs.
"Ca crée des liens, car l'écriture est un exercice d'une grande solitude", explique Michèle Lesbre, auteur de romans mélancoliques chez Sabine Wespieser dont le dernier, Chemins, évoque un père trop tôt disparu. "Les lecteurs sont le miroir de ce qu'on fait".
Un lien fugitif noué avec l'écrivain
Djazia, 52 ans, se reconnait en effet en Kamel Daoud, l'auteur de Meursault, contre-enquête (Actes sud), qui était tout près de décrocher le Goncourt 2014 pour ce récit qui offre un nom et une histoire à l'Arabe anonyme assassiné dans L'Etranger, d'Albert Camus. Le livre dénonce à la fois les colonisateurs français d'hier et les intégristes d'aujourd'hui en Algérie, ce qui lui a valu des menaces de mort.
"Avec Kamel Daoud, s'exclame Djazia, c'est comme si j'avais trouvé une âme soeur ! il est athée, comme moi. Mais aujourd'hui quand on est de culture arabo-musulmane et encore plus quand on est une femme, on ne peut plus dire qu'on ne croit pas en Dieu". La dédicace avec laquelle elle repart après plusieurs minutes d'attente, car la file est longue et fervente devant l'écrivain menacé, témoigne de ce lien fugitif qu'elle a créé avec l'écrivain.
"Deux ou trois variantes que je ressors alternativement"
La rencontre n'est pas toujours si sacralisée : beaucoup patientent pour offrir un livre signé par l'écrivain préféré de leurs proches et se contentent de vérifier que, oui, Jérôme Ferrari, Prix Goncourt 2012 pour le Sermon sur la Chute de Rome, a bien adressé Le principe, son dernier roman, à leur fils Florian, en études de physiques à Normale Sup. Ou que Michèle Lesbre a bien noté que c'était "pour ma maman Marie-Claire, qui a lu tous vos livres".
Marc Dugain, dont le dernier livre, Quinquennat (Gallimard) a été tiré à 70 000 exemplaires, est habitué à ces rencontres à la chaîne même si ce vendredi, le public est clairsemé. "La journée sera plus rude dimanche", dit-il. Ca tombe bien, il "préfère les dédicaces où il n'y a pas trop de monde pour avoir le temps de parler avec les lecteurs." Parler, oui, mais écrire... Qu'est-ce qu'il griffonne à l'attention de ses fans ? Il a sa petite phrase standardisée - ici, un "précis de décomposition politique" - mais essaie d'adapter la formule de politesse en fonction de la personne. Car ce n'est pas toujours facile d'être original. Beaucoup reprennent tout simplement l'allusion ou l'anecdote que le lecteur leur a soufflé et rebondissent sur ce qu'il a livré de ses attentes ou de ses amours.
Mais certains, pour éviter la panne d'inspiration, ont leurs petits trucs, comme Michèle Lesbre : "J'ai deux ou trois variantes que je ressors alternativement, pour ce roman-ci, autour des chemins buissonniers. Si le lecteur me dit qu'il est fidèle, j'y fais une allusion".
"J'évite de mettre un faux jeu de mots spontané !"
D'autres refusent de se laisser aller à ce type de facilités. "J'évite de mettre un faux jeu de mots spontané qu'on a répété cinquante fois, explique Jérôme Ferrari. Mieux vaut être neutre !". Il dédicace son dernier roman, Le Principe, portrait du physicien allemand Werner Heisenberg (1901-1976) qui a élaboré le "principe d'incertitude" et participé aux recherches sur la bombe atomique, sous le régime nazi. Mais préfère écrire sur l'instant présent : alors qu'Anne Hidalgo, arrivée dans son dos, le salue en grillant la politesse à un jeune homme qui patientait, il fera une allusion, dans sa signature, au fait qu'il soit passé "après la maire de Paris".
Certains vont carrément plus loin dans la personnalisation : Jimmy Sabater, un auteur jeunesse qui vient de publier Désigné coupable, un roman pour les adolescents, ajoute systématiquement un dessin "ça donne une valeur supplémentaire".
Démonstration immédiate, sur un cahier. Trente secondes et trois coups de crayon plus tard, il passe à l'exégèse : "Vous avez vu les cornes ? C'est parce que mon héros Quentin, un ado épileptique, est accusé sur les réseaux sociaux d'avoir tué son meilleur ami. Il est traité de diable sur Facebook."
Réseaux sociaux qui devraient se faire l'écho, ce week-end, de ces dédicaces décrochées parfois après une longue attente. Combien de temps faudra-t-il par exemple patienter pour obtenir le paraphe du Britannique Ken Follett, l'homme aux 150 millions de volumes vendus, qui est attendu dimanche soir porte de Versailles ?
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