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Festival du livre de Paris : une "flânerie" pour découvrir les recoins et les trésors de la maison d'édition Gallimard

Gallimard a ouvert ses portes à quelques chanceux lors d'une "flânerie" organisée par Festival du livre de Paris, qui se poursuit jusqu'au 24 avril. L'occasion de découvrir les lieux et les mille et un métiers qui font vivre l'une des plus illustres maisons d'édition françaises. Nous y étions.

Article rédigé par franceinfo Culture - Camille Bigot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
5 rue Gaston-Gallimard, autrefois Sébastien-Bottin.  (GILLES TARGAT / GILLES TARGAT)

Le nom de Sébastien Bottin, statisticien à l’origine de l’annuaire du commerce et de l’industrie a été rayé, il y a onze ans, de la carte des rues de Paris. Celui de Gaston Gallimard l'a remplacé. Placardé en lettres blanches sur les briques d'une ruelle pavée du 7e arrondissement.

Derrière les murs de l'immeuble, se cache l’œuvre du visionnaire : une maison d’édition vieille de 111 ans. "Il a réussi à asseoir cette institution dans la durée", déclare, admiratif, le secrétaire général des éditions Gallimard, Alban Cerisier. Au total, 40 000 titres ont été publiés depuis 1911, et l’entreprise compte actuellement 500 salariés.

Antoine Gallimard, patron de la maison d'édition, et Marie-Rose Guarnieri, libraire à la librairie des Abbbesses.  (Camille Bigot)

Le bureau d’Albert Camus

Une vraie fourmilière, tant par le nombre d’employés que par l’aspect des locaux. "C’est un labyrinthe", s’exclame un visiteur lors de la "flânerie" organisée ce vendredi 22 avril par la libraire Marie-Rose Guarnieri, dans le cadre du Festival du livre de Paris. Pour accéder au temple de la littérature, il faut passer par une porte en bois massif et sa plaque dorée estampillée NRF. "La maison a été créée à partir de la Nouvelle Revue Française. Les auteurs, dont Jean Shlumberger et André Gide, se sont dit qu’il fallait créer un comptoir d’édition. Pour le gérer, ils ont fait appel à Gaston Gallimard", raconte Alban Cerisier, fin connaisseur de l’histoire de la maison.

Le jardin de la maison d'édition Gallimard.  (Camille Bigot)

L’entreprise prospère rapidement, et l'entrepreneur s’établit en 1929 dans cet hôtel particulier construit par Brochart de Saron. "Il a été habité par Talleyrand au XVIIIe siècle. Il y avait des chevaux et un tunnel qui menait à l’Eglise Saint-Germain-des-Prés", décrit Antoine Gallimard, actuel patron de l’entreprise, et petit-fils du fondateur. Aujourd'hui ces espaces ont été remplacés par un spendide jardin bourgeonnant. Les collaborateurs éditoriaux disposent de bureaux, comme Albert Camus après la Seconde Guerre mondiale. "Le sien donnait sur la rue et avait une grande terrasse. Une des photos les plus célèbres d'Albert Camus a été prise par Henri Cartier-Bresson à cet endroit précis", relate Alban Cerisier.

Image fournie par Plataforma Editorial d'Albert Camus, capturé par le photographe Henri Cartier-Bresson, dont les négatifs ont fait le tour du monde. (. / PLATAFORMA EDITORIAL)

Rencontre ratée entre Proust et Gallimard

Les bureaux des employés se perdent dans les dédales, chacun à des étages – ou demi-étages – différents. Ils sont reliés par d’étroits couloirs, et des escaliers tarabiscotés. Etonnant, en comparaison avec l’immense bureau ovale de Gaston Gallimard : autour d’une table en bois, trouée en son centre, des sièges en osier accueillent régulièrement une assemblée d’écrivains triés sur le volet. Le fameux comité de lecture de Gallimard. Ensemble, ils jugent les manuscrits reçus par la maison d’édition, "sans aucune considération commerciale", ajoute Antoine Gallimard. "Il y a eu Albert Camus, Pierre Nora, J. M. G. Le Clézio, Kundera …", énumère émotive Marie-Rose Guarnieri.

 

Choisir les bons auteurs - ou ne pas en rater - est un pari que la maison a déjà failli perdre. Au début du XXe siècle, Jean Schlumberger, cofondateur de la NRF, refuse le roman de Marcel Proust, Du côté de chez Swann. Il sera publié chez Grasset en 1913. Réalisant leur erreur, André Gide, Jacques Rivière et Gaston Gallimard convainquent l'écrivain de leur confier la publication du reste de son œuvre. En 1919, le second tome de La Recherche, A l’ombre des jeunes filles en fleurs permet à la maison de remporter son premier prix Goncourt, une fierté exploitée maintes fois. 

"Je vous ai fait une sélection de plusieurs de nos éditions de Proust", promet Anne Lagarrigue, directrice artistique de Gallimard. Parmi elles, un volume contenant les épreuves manuscrites du premier tome. L'ouvrage présente "les paperoles" de l'auteur collées à la main. "Notre service réfléchit à la dimension artistique. Récemment, nous avons fait une nouvelle mise en page de La Recherche inspirée des cathédrales de Monnet." Pour ce faire, elle travaille en étroite collaboration avec le directeur de la production des éditions Gallimard, Pascal Lenoir.

Anne Lagarrigue, directrice artistique chez Gallimard présente une édition "Du coté de chez Swann" de Marcel Proust.  (Camille Bigot)

"Le livre a un corps"

"Quand j’ouvre un ouvrage, il y a deux choses que je fais : je regarde où il a été imprimé, puis je le sens", confie l'homme à la chemise blanche, un brin embarrassé. Plus que le papier, c’est l’encre qui donne son odeur au livre. "Elles ont toutes un effluve particulier, insiste-t-il. Cela dépend aussi de leur mode de séchage." Aujourd’hui, Gallimard se tourne vers les encres végétales : "peut-être allez-vous découvrir de nouveaux parfum ?" s’amuse Pascal Lenoir. La maison est aussi attentive au papier qu’elle utilise : "du sans bois : il est beaucoup plus résistant au temps. Avant les livres jaunissaient, avec cette méthode, ce n’est plus le cas."

Mais les ouvrages sur lesquels Gallimard se penche davantage restent ceux de la Pléiade : du papier bible, de l’or 23 carats, et du cuir venu de Nouvelle-Zélande. "Là-bas, il n’y a pas de prédateurs pour les moutons et donc pas de barbelés. Résultat, leur peau n’est pas griffée." Selon lui, il y a la lecture certes, mais aussi un toucher. "Tourner une page ne fait pas le même bruit selon le papier utilisé", commente-t-il. Marie-Rose Guarnieri approuve : pour elle, "le livre a un corps". C’est un objet à protéger.

Gallimard est d’ailleurs l’une des rares maisons à conserver toutes ses archives. Juste avant la parution d’un ouvrage, l’auteur dédicace plusieurs exemplaires à destination des médias. Ce dernier acte se déroule toujours dans la même pièce exiguë, aux étagères remplies d’annales, sous l'oeil des fantômes de la maison. Un lieu de mémoire que le gratin littéraire a foulé, comme les heureux participants d'une "flânerie" imaginée ici pour la première fois.

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