Festival du livre de Paris 2024 : l'auteur canado-haïtien Dany Laferrière au cœur d'une exposition entre deux rives

Jusqu'au 12 mai, le pont des Arts et le parvis de l'Institut de France accueillent l'exposition "Un cœur nomade". Un voyage en textes et en dessins à travers la vie de l'écrivain Dany Laferrière.
Article rédigé par Neil Senot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Dany Laferrière en 2016 et l'un de ses dessins issu de l'exposition "Un cœur nomade" (montage). (JEAN-MARC ZAORSKI)

Dany Laferrière a toujours aimé lire en marchant. Comme un clin d'œil, voilà qu'il est désormais possible de marcher à travers ses œuvres, de zigzaguer d'une époque de sa vie à l'autre, d'un lieu à l'autre aussi, grâce à l'exposition Un cœur Nomade : un parcours coloré le long du pont des Arts et sur le parvis de l'Institut de France, est à découvrir du 5 avril au 12 mai 2024.

D'abord installée à Montréal en 2020, l'exposition a été présentée à Francfort, à Tunis et au siège des Nations unies à New York. Elle affiche des textes et des illustrations extraits de trois romans dessinés de Dany Laferrière : Autoportrait de Paris avec chats (2018), Vers d'autres rives (2019) et L'Exil vaut le voyage (2020).

Le parvis de l'Institut de France accueille l'exposition "Un cœur nomade" jusqu'au 12 mai 2024. (NEIL SENOT / FRANCEINFO)

Un cœur nomade est exposé à Paris dans le cadre du Festival du livre, dont l'édition 2024 met la littérature québécoise à l'honneur.

Organisé du 12 au 14 avril au Grand Palais éphémère, l'événement invite plus de 40 auteurs québécois, parmi lesquels Dany Laferrière.

Une vie tracée au feutre

"Ils sont trop drôles ses cheveux", s'exclame un enfant en pointant du doigt le personnage d'un dessin qui figure sur les barrières du pont des Arts, et dont la coiffure est une succession de triangles jaune vif. Exposé à la hauteur des yeux des plus petits, ce personnage qui, installé à une terrasse parisienne, prend l'apéritif avec un chat, n'est autre que Dany Laferrière, une représentation de l'auteur par lui-même.

De son enfance en Haïti à ses jours d'"immortel" à Paris (il est entré à l'Académie française en 2015), cette drôle de coiffure ne le quitte pas. Sorte de couronne à la Basquiat, artiste dont les dessins de Dany Laferrière ne manquent pas de faire penser, elle lui donne aussi parfois des airs du Petit Prince de Saint-Exupéry : un personnage avec lequel il a l'exil en partage.

Dessin de Dany Laferrière se représentant lui-même lors de sa jeunesse en Haïti. (DANY LAFERRIERE)

À travers cet avatar et quelques feutres de couleurs, Dany Laferrière retrace sa vie. Il dessine les villes de Petit-Goâve et de Port-au-Prince : ses plus jeunes souvenirs, de sa grand-mère Da aux accidents de la route.

"Chaque jeudi durant toute mon enfance, à mon retour de l'école, je mange une bonne mangue juteuse et parfumée, puis je lance mon cerf-volant dans le ciel de Petit-Goâve en attendant le passage du petit avion jaune qui me signale qu'il y a une vie par-delà les montagnes", écrit-il en dessinant, au-dessus d'une toute petite maison, un soleil rouge dans un ciel qui ressemble à la mer.

Dessin de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, ville de naissance de l'auteur. (DANY LAFERRIERE)

Dany Laferrière dessine aussi Montréal, lieu loin de tout où les dieux "trop frileux" du vaudou ne l'accompagnent pas. Viennent ensuite la géante Miami et Paris, dont l'auteur aime tant les terrasses, et qui sera "toujours une fête quoi qu’il arrive".

D'une rive à l'autre, l'écrivain aborde l'exil avec un humour tendre et un brin de mélancolie. Il évoque la situation politique d'Haïti, la répression de la presse par François Duvalier "Papa Doc", qui coûta la vie à l'un de ses confrères journalistes et le poussa à l'exil. "Si j'ai fait ce livre (...), c'est parce que j'en avais marre qu'on associe uniquement l'exil à la douleur", explique Dany Laferrière dans L'Exil vaut le voyage. "Le dictateur pensait me punir. Ce fut une récréation", écrit-il dans ce même roman.

Parcours d'un écrivain

Les ouvrages qui constituent l'exposition Un cœur nomade sont des romans dessinés publiés entre 2018 et 2020. L'auteur canado-haïtien y narre les différents pans de sa vie, notamment le récit de sa carrière d'écrivain.

De ses heures d'écriture après une nuit d'amour car "le sexe ouvre l'appétit littéraire" et donne "une fringale d'alphabet" à la publication de son premier roman, Dany Laferrière montre le cumul des emplois, les temps difficiles avant d'y parvenir – quand on y parvient –, les moments à attendre que la machine à écrire "se mette toute seule à travailler".

Dessin de Dany Laferrière en tenue d'académicien rendant hommage à l'auteur québécois Gaston Miron. (DANY LAFERRIERE)

L'emplacement de l'affichage, qui n'a rien d'un hasard, montre à lui seul les accomplissements de Dany Laferrière. L'auteur est en effet membre de l'Académie française, un parcours rarissime pour un garçon en exil. Depuis la création de l'institution en 1634, il en est le premier membre québécois et le premier membre haïtien. Il est également, après Léopold Sédar Senghor, la deuxième personne noire à y siéger.

L'exposition Un cœur nomade célèbre un auteur majeur de la francophonie, peut-être encore trop méconnu dans l'Hexagone. "Je voudrais pouvoir écrire avec des couleurs, des rêves et des lignes", peut-on lire sur un des panneaux installés sur le parvis de l'Institut de France. Il semble que cela soit chose faite. Entre les avions jaunes, les escargots multicolores et les lunes magenta, Dany Laferrière créé un monde à la fois sincère et onirique, fait vivre, d'exil en voyage, un espace à soi.

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