Un roman d'amour mis à l'index en Israël: pourquoi pas la Bible, ironise Amos Oz
La décision du ministère dirigé par le chef de file du parti nationaliste religieux Foyer Juif, Naftali Bennett, touche à la question sensible des rapports intimes entre Israéliens juifs et Palestiniens, sur fond de conflit persistant depuis des décennies.
L'exclusion des programmes scolaires du livre de Dorit Rabinyan publié en 2014 en hébreu sous le titre "Haie" ("Geder Haya") est un nouvel épisode illustrant les relations délicates entre un des gouvernements les plus à droite de l'histoire d'Israël et le monde culturel israélien.
Le livre encouragerait l'"assimilation"
Les unions entre Israéliens et Palestiniens et la perte de l'identité juive sont deux des épouvantails des juifs pratiquants. Les relations sentimentales avec des Israéliens sont très mal perçues dans la société palestinienne. En réalité, de telles relations sont rares mais sont un sujet régulièrement exploré dans la création artistique israélienne.La responsable du ministère à l'origine de la décision, Dalia Fenig, citée dans la presse, a invoqué le danger que l'ouvrage ne soit perçu comme encourageant l'assimilation entre Israéliens et Palestiniens.
Les relations intimes entre juifs et non-juifs et la possibilité qu'elles se concrétisent par un mariage et la fondation d'une famille "sont considérées par de larges segments de la société comme une menace pour une identité séparée", a-t-elle dit pour justifier sa décision, rapporte la presse israélienne.
Quant au ministre de l'éducation, il a défendu la décision de ses services jeudi soir, en précisant ne pas y avoir pris part. "Cela n'a rien à voir avec de la censure. Quiconque veut lire ce livre peut l'acheter", a-t-il déclaré à la deuxième chaîne de télévision. Mais le ministère ne forcera pas des élèves à lire un livre qui présente les soldats israéliens comme des "sadiques", selon lui, et les met sur un pied d'égalité avec les "terroristes", a-t-il ajouté.
L'histoire d'une traductrice israélienne et d'un artiste palestinien
Intitulé "Borderlife" en anglais, le roman raconte l'histoire de Liat, une traductrice israélienne, et Hilmi, un artiste palestinien, qui tombent amoureux à New York, avant de devoir rentrer à Tel-Aviv et Ramallah, en Cisjordanie occupée. Le roman est en partie inspiré par la biographie de son auteure, Dorit Rabinyan, a précisé son agente Deborah Harris.Le livre a fait partie des ouvrages primés lors de l'attribution du prix israélien Bernstein pour les jeunes écrivains et ses droits ont été vendus en anglais, en français, en allemand et dans d'autres langues, selon l'agente.
Le ministère est passé outre aux recommandations d'un comité formé d'universitaires et d'éducateurs, et à une forte demande des enseignants pour que le livre soit inscrit au programme. Interrogé par l'AFP, le ministère s'est contenté de confirmer que le livre avait été écarté des ouvrages étudiés en sections littéraires au lycée.
Amos Oz : la Bible est beaucoup plus dangereuse
Cette décision a indigné des auteurs de premier plan comme Abraham B. Yehoshua et des personnalités politiques. A.B. Yehoshua a rendu hommage à un "livre grand et profond". Le ministère montre qu'il "ne comprend rien à ce qu'est la vraie littérature", a-t-il dit."Peut-être vaudrait-il mieux supprimer les études littéraires des programmes, puisque la littérature mondiale et hébraïque la plus insigne recèle beaucoup de choses dérangeantes et pas vraiment casher", écrit Amos Oz dans le quotidien Yedioth Ahronoth.
"Il est même plus urgent de retirer du programme l'étude de la Bible : en matière de relations sexuelles entre juifs et gentils (terme désignant les non-juifs), la Bible est mille fois plus dangereuse que le livre de Rabinyan", raille celui qui passe pour l'écrivain israélien le plus connu.
"Le roi David et le roi Salomon étaient coutumiers de coucher avec des étrangères sans se soucier de vérifier leur nationalité sur leur carte d'identité", souligne Amos Oz.
Paradoxalement, cette mise à l'index semble avoir provoqué l'engouement des libraires pour l'ouvrage de Dorit Rabinyan. Et la controvers a provoqué une ruée sur le livre.
Dorit Rabinyan accuse le ministre de ne pas avoir lu le livre
Dorit Rabinyan elle-même, Israélienne juive d'origine iranienne, a pris l'affaire avec ironie : "Apparemment, quelqu'un au ministère de l'Éducation continue à croire que la littérature a le pouvoir de changer les choses dans les esprits malléables de la jeunesse et - allez savoir pourquoi - cela ressemble à un motif d'optimisme pour moi"."C'est au-delà de ce que je pouvais imaginer possible ici mais pour nous c'est très positif, cela va doper les ventes", a dit à l'AFP l'agente de Dorit Rabinyan.
L'écrivaine a par ailleurs accusé le ministre de ne pas avoir lu son livre et de sortir des phrases de leur contexte
Née en 1972, Dorit Rabinyan, également scénariste, journaliste et poète, a publié en France son premier roman, "Larmes de miel" (Denoël, 2002), qui raconte deux adolescente dans les faubourgs d'Ispahan au temps du shah d'Iran.
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