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"La maison des anges" : plongée romanesque et décalée dans le monde de la misère
Avec ce nouveau roman, le romancier et essayiste Pascal Bruckner attaque le sujet de la misère sur un mode romanesque et décalé, dans un thriller qui oscille entre réalisme et loufoquerie.
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L'histoire : Antonin Dampierre, jeune garçon soigné (limite maniaque) est agent immobilier. Entre son travail (qu'il aime "bien fait"), sa petite amie ex-mannequin Monika, avec qui il vit à mi-temps, Antonin déroule sa vie méticuleusement, sans but précis. Jusqu'au jour où un clochard entrave le bon déroulement d'une vente importante. Antonin perd son sang froid, tabasse l'importun et l'abandonne, croyant l'avoir occis. L'événement fait date : Antonin se sent soudainement investi d'une mission : débarrasser Paris de sa fange, éliminer les créatures de l'ombre...
Le roman de Pascal Bruckner commence dans une ambiance de conte de fées effrayant, avec une scène de la jeunesse d'Antonin, victime des assauts déplacés d'une vieillarde dans une auberge du sud de l'Autriche. On ne saura pas exactement si cette scène est à l'origine des dérèglements intérieurs du jeune homme qui suivront au cours de sa vie. A moins que ce ne soient les frasques d'une mère délurée (pour qui "l'adultère est une hygienne de l'âme") et la passivité d'un père communiste, tous deux disparus prématurément dans un accident de voiture.
L'assassinat comme remède à la perte de sens
Quoi qu'il en soit, le garçon est un peu dérangé. Avant même de se lancer dans une carrière de Serial Killer des pauvres, Antonin a bien du mal à construire sa vie, à accepter l'amour débordant de sa fiancée, "qu'il aurait voulu classer tel un dossier qu'on remet à sa place une fois qu'il a servi.", à trouver dans son travail une vraie motivation. Bref, Antonin vit à l'économie et sans réelle passion, en tentant de bordurer ses angoisses dans une maniaquerie mâtinée de rigidité psychologique.
Le premier tabassage et son nouveau costume de justicier lui ouvrent des perspectives nouvelles, des raisons de se réjouir, et donnent un sens à son existence. L'histoire pourrait alors tourner au thriller, mais Antonin se révèle incapable de mener à bien son entreprise, et se transforme rapidement en figure d'antihéros, en Gaston Lagaffe du crime.
Roman ou/et documentaire
Les aventures d'Antonin nous conduisent dans le monde de la misère parisienne, ses rondes de nuit, ses centres d'accueil, ses individus dévastés, tous ces hommes et toutes ces femmes tombés dans la rue, qui pourrait être vous, qui pourraient être moi. On y croise aussi le monde trouble et ambivalent de la charité, peuplé de bénévoles dévoués à la cause, et dont les motivations manquent aussi parfois de clarté.
Le roman alterne entre de vraies envolées romanesques souvent drôles, et des passages proches du documentaire, où l'on sent un peu trop l'enquête sociale menée par Pascal Bruckner. Le mélange des genres laisse une drôle d'impression, qui suscite des questions sur les motivations de l'auteur, et ce qu'il a voulu dire en écrivant ce roman. Mais c'est peut-être ça : mettre le lecteur mal à l'aise, pour l'inviter à regarder autrement la misère. La maison des anges, Pascal Bruckner
Grasset – 314 pages – 22 Euros
[ EXTRAIT ]
"Cette madone des égarés pratiquait la culture du sourire extatique, apprise chez les sœurs, pour désamorcer l'hostilité, le sourire comme arme de dissuasion. Plus Isolde, les mains jointes, les yeux perdus dans l'azur, répétait ses mots d'ordre – écoute, amour, confiance –, plus Antonin pensait tabassage, poings dans la gueule."
Le roman de Pascal Bruckner commence dans une ambiance de conte de fées effrayant, avec une scène de la jeunesse d'Antonin, victime des assauts déplacés d'une vieillarde dans une auberge du sud de l'Autriche. On ne saura pas exactement si cette scène est à l'origine des dérèglements intérieurs du jeune homme qui suivront au cours de sa vie. A moins que ce ne soient les frasques d'une mère délurée (pour qui "l'adultère est une hygienne de l'âme") et la passivité d'un père communiste, tous deux disparus prématurément dans un accident de voiture.
L'assassinat comme remède à la perte de sens
Quoi qu'il en soit, le garçon est un peu dérangé. Avant même de se lancer dans une carrière de Serial Killer des pauvres, Antonin a bien du mal à construire sa vie, à accepter l'amour débordant de sa fiancée, "qu'il aurait voulu classer tel un dossier qu'on remet à sa place une fois qu'il a servi.", à trouver dans son travail une vraie motivation. Bref, Antonin vit à l'économie et sans réelle passion, en tentant de bordurer ses angoisses dans une maniaquerie mâtinée de rigidité psychologique.
Le premier tabassage et son nouveau costume de justicier lui ouvrent des perspectives nouvelles, des raisons de se réjouir, et donnent un sens à son existence. L'histoire pourrait alors tourner au thriller, mais Antonin se révèle incapable de mener à bien son entreprise, et se transforme rapidement en figure d'antihéros, en Gaston Lagaffe du crime.
Roman ou/et documentaire
Les aventures d'Antonin nous conduisent dans le monde de la misère parisienne, ses rondes de nuit, ses centres d'accueil, ses individus dévastés, tous ces hommes et toutes ces femmes tombés dans la rue, qui pourrait être vous, qui pourraient être moi. On y croise aussi le monde trouble et ambivalent de la charité, peuplé de bénévoles dévoués à la cause, et dont les motivations manquent aussi parfois de clarté.
Le roman alterne entre de vraies envolées romanesques souvent drôles, et des passages proches du documentaire, où l'on sent un peu trop l'enquête sociale menée par Pascal Bruckner. Le mélange des genres laisse une drôle d'impression, qui suscite des questions sur les motivations de l'auteur, et ce qu'il a voulu dire en écrivant ce roman. Mais c'est peut-être ça : mettre le lecteur mal à l'aise, pour l'inviter à regarder autrement la misère. La maison des anges, Pascal Bruckner
Grasset – 314 pages – 22 Euros
[ EXTRAIT ]
"Cette madone des égarés pratiquait la culture du sourire extatique, apprise chez les sœurs, pour désamorcer l'hostilité, le sourire comme arme de dissuasion. Plus Isolde, les mains jointes, les yeux perdus dans l'azur, répétait ses mots d'ordre – écoute, amour, confiance –, plus Antonin pensait tabassage, poings dans la gueule."
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