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Philippe Besson : "De là, on voit la mer", le roman des choses de la vie

L'écrivain et scénariste Philippe Besson creuse son sillon en peignant le portrait d'une femme écrivain libre et déterminée, soudainement bousculée par la vie. Un roman sur les effets du temps et l'usure du couple, où l'héroïne trouve à travers la solitude et l'écriture le chemin qui lui permet de rester libre et vivante.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"De là, on voit la mer" Philippe Besson (Editions Julliard)
 (Frédéric Dugit/MAXPPP)
Le décor : Italie. Une maison perchée sur les hauteurs de la ville de Livourne (Toscane). De là, on voit la mer et il fait une chaleur accablante, de ces chaleurs écrasantes de fin d'été qui peuvent en jeter certains dans la folie. "Les lieux sont de passage. Ça tombe bien, elle est une femme de passage".

L'histoire : Louise est en exil temporaire dans cette villa toscane. "Ecrire le livre". Voilà l'unique raison de sa présence solitaire loin de chez elle, de Paris et de son mari François. Toute entière absorbée par l'écriture, heureuse dans le silence qui surplombe le port et la mer, Louise rythme ses journées entre l'écriture et des promenades sur le front de mer, où elle descend "voir les hommes. Ecouter leurs voix, leurs interpellations viriles, leurs murmures, leur ahanement, et même leurs silences têtus. Sentir leur odeur, celle de l'effort ou celle du large." Graziella, la gouvernante, vient tous les matins entre 10 heures et midi. Une femme d'ici, mariée à un homme qui tient un restaurant de poisson sur le port. Elle a aussi un fils, Luca, 21 ans, qui se destine à la marine militaire. Louise, elle, n'a pas d'enfants. Elle n'en a pas voulu.  Elle parle à son mari au téléphone et entre les coups de fils, elle pense à lui, à leurs dix ans de vie commune. Un jour, le jeune homme (Luca, le fils de Graziella) entre dans le calme de la maison. "Il est là, planté au milieu du séjour, dans le blanc de son uniforme, avec un sourire impossible et elle sait que l'histoire a commencé." L'histoire d'une aventure torride entre un jeune type fougueux et une femme mûre, tout ça dans un décor idéal. Louise expérimente l'adultère, n'en ressent aucune culpabilité, au contraire, elle prend plaisir à mentir à son mari resté à Paris, ravie d'exploiter les événements au profit de son roman. Jusqu'au jour où elle apprend que son mari a eu un accident de voiture...

Les choses de la vie

Dans ce dernier roman, Philippe Besson se glisse dans la peau d'une femme indépendante, sans désir de maternité, mais femme désirante. En écho (inversé) au film de Claude Sautet "Les choses de la vie", il raconte l'histoire d'une femme prise entre deux hommes (un homme entre deux femmes chez Sautet), où un accident de voiture donne un virage imprévu aux événements. On ne sait pas si le sujet du livre, c'est l'usure du couple ou bien l'arrivée de l'âge et ses affres (exprimées métaphoriquement dans le préambule : "Comment croire que l'automne sera bientôt là ?"). A moins que le vrai sujet ne soit l'écriture, "cette folie d'inventer des mensonges en espérant que les gens y croiront." Louise navigue entre le roman et la vie, dans un mouvement permanent et perméable, où la fiction est prémonitoire, où l'événement réel fait "un beau chapitre dans un livre". Insolite manière de qualifier l'art romanesque, comme s'il n'était qu'un prolongement du mensonge perpétré dans la vraie vie.

L'écriture comme nécessité écrasante
 
"Si je dois choisir entre l'écriture et toi, alors je choisis l'écriture", prévient Louise. Besson fait le portrait tranchant d'une femme libre et puissante, égoïste et arrogante, sûre d'elle, persuadée que l'écriture la rend inébranlable, une femme "sans hésitation", peu encline "à la soumission et à la délicatesse". Mais dans le retranchement et la solitude de l'écriture surgit le désir, un réveil à la vie qui introduit chez Louise le doute, la fragilité et la sincérité. Ce vacillement l'oblige à changer de trajectoire, à opérer un mouvement, mouvement salutaire puisqu'il conduit à un choix : celui qui lui permettra de rester vivante.

De là, on voit la mer, Philippe Besson
Editions Julliard - 216 pages - 19 €


[ EXTRAIT ]
 
"C'est après l'amour. Luca a posé sa tête sur le ventre de Louise. Il aime décidément cette position, qui, elle, l'embarrasse un peu parce qu'elle la renvoie de façon implicite à un statut de mère qu'elle récuse."
Soudain, il se relève, se retourne vers elle, la scrute, longtemps, la détaille, comme pour vérifier qu'il ne se trompe pas, comme pour valider une réflexion silencieuse à laquelle il se serait livré. Il parle. Il lâche les mots.
Il dit : «Tu es vieille. C'est là, sur le visage, la vieillesse. C'est les rides bien sûr, mais surtout c'est la peau moins éclatante, relâchée, et puis ici, à ton cou, cette ligne grasse, ce plissement.» Il ajoute «En fait, ce n'est pas seulement le visage, c'est tout le corps, tout le corps envahi par la vieillesse.» Il dit les choses sans biaiser, sans retenir ses coups.
Il dit :
«Sans doute tu devais être belle quand tu étais jeune. Sans doute que les gens devaient t'aimer pour ça, cette beauté, ils devaient te faire des compliments et toi, tu devais y croire, et tu faisais bien d'y croire. Moi je vois les restes. Je suppose que ça a existé, je suis certain que ça a été là un jour. Mais c'est parti, ça s'est effacé.» Il parle de quelque chose de lointain, un passé qui lui est absolument étranger, une terre inconnue.
Il dit :
«Mais je te préfère maintenant avec ce corps alourdi, les traits affaissés, la peau crevassée. Je t'aimerais moins s'il n'y avait pas tout ce temps sur toi, toutes ces années. Je pense même que je ne t'aimerais pas du tout.»
Il dit cela qu'elle n'accepterait de personne, que nulle femme n'accepterait, et elle l'écoute, et elle admet ce qu'il dit, elle lui permet d'assener cette vérité violente, elle l'aime d'être capable de l'assener, de ne pas se l'interdire, de n'être pas dans la bienséance, l'hypocrisie.
Il repose la tête contre les plis de son ventre. "

 

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