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"Nummer", une quête haletante entre passé et présent signée Frédéric Staniland

Episode méconnu de la Seconde guerre mondiale, les Kindertransport sont au cœur de « Nummer » (Ed. Scrinéo), le nouveau roman de Frédéric Staniland. Autour de l’exil de centaines de jeunes juifs de l’Est vers l’Angleterre, cet auteur lyonnais a bâti deux récits parallèles, éloignés dans le temps et pourtant intimement liés. Un roman haletant et transgénérationnel, peuplé de personnages attachants.
Article rédigé par Chrystel Chabert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Avec "Nummer", Frédéric Staniland crée un pont entre le passé et le présent sur fond de Seconde guerre mondiale
 (Philippe Jozelon / Scrinéo)

L'histoire de "Nummer" est construite autour de deux époques. L'une nous ramène au 1er septembre 1939, soit deux jours avant la déclaration de guerre. Toni, un adolescent autrichien, a dû quitter sa famille pour fuir le danger nazi. Il saute d’un train à la frontière française et se retrouve à Algolsheim, dans une Alsace en pleine évacuation générale. L’adolescent veut se rendre à Lyon. En chemin, il va faire de nombreuses rencontres : François, un jeune journaliste, Aimé, soldat sénagalais, Auguste, paysan bougon mais généreux et sa fille Cathel. Mais la route de Toni est semée d'embûches car le jeune homme est poursuivi. Par qui et surtout pourquoi ?

En écho à ce récit, un autre prend pour décor notre époque actuelle. Séraphin, un octogénaire curieux, découvre chez Gérard, un vieil ami disparu un mystérieux manuscrit intitulé "Nummer". Le livre est indéchiffrable de par son écriture et par la langue utilisée, de l'allemand gothique.

 
C'est en découvrant dans un grenier familial un manuscrit écrit en allemand gothique que Frédéric Staniland a eu l'idée d'écrire "Nummer"
 (F. Staniland)
Seul indice évident, des dates, qui le situent durant la Seconde guerre mondiale. Séraphin découvre aussi d’étranges messages, éparpillés dans la maison très particulière de son ami, collectionneur hors-norme d'objets liés au conflit de 1939-1945Aidé de Gabriel et Pauline, deux jeunes voisins un peu envahissants et par son fils Jean-Paul, Séraphin va remonter aux sources d'un mystère qui au-delà des années, relie son histoire à celle de Toni.
La maison où Séraphin découvre "Nummer" existe vraiment. Située dans la région lyonnaise, elle a effectivement été habitée par un collectionneur d'objets de la Seconde guerre mondiale. F. Staniland s'est en largement inspiré pour son roman
 (F. Staniland)
Deux époques, deux récits, un lien mystérieux

Le nouveau roman de Frédéric Staniland est un périple à travers l’histoire, une sorte de quête à travers le temps. Comme pour “Aponi”, son premier roman (publié en 2011 chez Laura Mare Editions), l’auteur a bâti son intrigue autour de deux histoires situées à deux époques bien différentes et au premier abord sans lien entre elles. A un chapitre sur l’histoire de Toni en 1939 succède la quête contemporaine de Séraphin et ainsi de suite.

Autant prévenir : la lecture de “Nummer » est addictive. Car l’auteur sait créer le mystère, chaque fin de chapitre se terminant sur un “teaser”, événement ou révélation, qui vient “titiller” la curiosité du lecteur. Ce dernier n’a alors qu’une seule idée : découvrir la suite.
 
Il est alors tentant de sauter un chapitre, pour retrouver directement l'époque dans laquelle on était immergé. Surtout pas ! Il faut respecter l’alternance des époques car chacune apporte des clés pour comprendre l’autre. C’est ce qui fait le charme et le rythme de ce roman, bien documenté, riche en descriptions et en personnages attachants qui rendent le récit très vivant, visuel, avec un découpage quasi cinématographique (peut-être une influence du métier de l’auteur qui est aussi monteur pour la télévision).
L'auteur de "Nummer", Frédéric Staniland
 (Marie-Pierre Cotte)
Les Kindertransports et l'exil de 10 000 jeunes juifs

Au fil des pages, Nummer se vit surtout comme une enquête passionnante. D’autant plus passionnante qu’elle met en scène des épisodes peu connus ou oubliés du grand public telle l’évacuation des populations alsaciennes et mosellanes situées le long de la ligne Maginot, mais aussi les "Kindertransport".
  (F. Staniland)
En novembre 1938, les nazis organisent un immense pogrom, connu sous le nom de Nuit de Cristal. Suite à ces persécutions dans lesquelles plus de 2000 juifs trouvent la mort, un comité britannique, regroupant juifs et non-juifs, demande au gouvernement de recueillir des émigrés juifs allemands. Chamberlain, le premier ministre, accepte, à deux conditions : seuls les enfants (“Kinder” en allemand) de moins de 17 ans peuvent être accueillis mais tous les frais liés à leur éducation et vie quotidienne doivent être assumés par des particuliers ou des organisations juives.
Des enfants Viennois arrivant à Londres avec le Kindertransport
 (Bibliothèque nationale autrichienne)
De décembre 1938 à mai 1940, près de 10 000 enfants venus d’Allemagne, de Pologne, d’Autriche, ont ainsi transité via les Pays-Bas vers la Grande-Bretagne grâce à ces convois humanitaires. Pour sauver leur vie, ils devaient malgré tout laisser derrière eux leur famille. Un déchirement pour des enfants et des adolescents qui tournaient ainsi brutalement la page de l’enfance.
 
Des personnages attachants

La réussite de « Nummer » réside dans une intrigue riche en mystères et en rebondissements qui mêle jusqu’à l'ultime page, petite et grande Histoire. Et cela à travers une belle galerie de personnages, certains plus attachants que d’autres : Aimé, le tirailleur sénégalais, Auguste, le paysan alsacien et Séraphin, l’octogénaire plein de rhumatismes et d’humour, Pauline, l'enfant espiègle toujours accompagnée de son "cochon dingue". 

Un roman intergénérationnel

Quelque soit l’époque, Frédéric Staniland a pris soin de mêler les générations, la sagesse des plus âgés côtoyant l'inexpérience et la fragilité des plus jeunes qui apportent leur fougue, leur ingéniosité. Chacun se nourrit de l’autre pour faire avancer les choses. C'est particulièrement vrai dans la partie contemporaine quand Séraphin essaie de démêler les mystères du manuscrit. La débrouillardise de la petite Pauline, l'intelligence de Gabriel, les connaissances de Jean-Paul, son fils journaliste (déjà présent dans Aponi), tous vont aider l'octogénaire à avancer dans une enquête ardue qui ressemble souvent à un jeu de piste. L'humour étant très présent, on a plaisir à suivre ces personnages qui au fil des pages se lient d'amitié et finissent par former une famille de coeur.


Au delà des apparences

Si les héros sont sympathiques, le roman n’est pas exempt de personnages plus ambigus pour certains, détestables pour d’autres. Espions, traîtres, nazis, soldats trop zélés, malgré-nous... Des personnages à l’image de cette période trouble que fut la seconde guerre mondiale, où les apparences étaient parfois trompeuses : le collabo se révélait résistant, le résistant un espion à la solde des allemands, le soldat embrigadé découvrait la douleur de la guerre.

Sans révéler l’issue du roman et sa complexité, on peut dire qu’à travers certains personnages, notamment celui de Gérard, il est aussi question de rédemption et de pardon. Les certitudes et les personnes peuvent changer, évoluer en fonction des évènements, des époques et de leur contexte. Du côté du Bien comme du Mal, rien n’est acquis ni figé, méfions-nous des idées toutes faites et des jugements hâtifs, semble nous dire Frédéric Staniland. Un message plein de sagesse, qui en temps de guerre comme en temps de paix, doit rester bien présent à notre esprit.
  (Philippe Jozelon / Scrinéo)
"Nummer" de Frédéric Staniland aux Editions Scrinéo - 320 pages - 16,90 euros

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