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"Murène", de Valentine Goby : un très beau roman sur la résilience

L’histoire d'un jeune homme, devenu handicapé à la suite d'un accident, épouse celle des débuts du handisport. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Valentine Goby (ALEXANDRE MARCHI / MAXPPP)

Avec Murène, publié aux éditions Actes Sud le 21 Août 2019, Valentine Goby s'attache à retracer la naissance des jeux paralympiques à travers une histoire singulière, celle d'un homme amputé des deux bras à la suite d'un accident qui revient à la vie grâce à la pratique de la natation. 

L’histoire: c'est celle, après-guerre, de François, 22 ans, qui gagne son pain à la force de ses bras sur les chantiers tout en parcourant la France. Un jour d’hiver enneigé, dans les Ardennes, une panne de camion fait basculer sa vie. Pour aller chercher de l’aide, il traverse un bois, lui-même traversé par une voie ferrée ; François y croise une ligne à haute tension cachée par la neige, l’électrocution le laisse pour mort.
Et déjà, le récit de l’accident nous emporte : "Où va le blanc quand la neige fond ? songe Shakespeare, ce blanc indubitable des flocons, de la neige tassée. Si sûr et soudain aboli. Où vont les souvenirs quand l’oubli les dévore, en vide le cerveau sans y laisser la moindre empreinte, pas même l’infime trace calcaire dont la neige signe son passage, elle, après s’être évanouie."

Le désir retrouvé

Parmi ces souvenirs évanouis, il y a son grand amour, Nine. Ce désir qui meut et émeut François le rendait pleinement vivant. "La tête appuyée à ses côtes il entend ses mouvements intérieurs, une langue de cascades et de remous profonds où il crève de pénétrer. Un à un, il relie entre eux les fragments explorés de Nine, il se fait de son corps un grand portrait cubiste, exagérant les volumes connus, les suturant entre eux pour combler les abîmes où ils voudraient plonger, Nine est une œuvre d’art." 

Nine a basculé dans le subconscient de François, mais le désir de Nine est imprimé en lui, il est désormais de l’ordre de la sensation. Et lorsque le corps de François rencontre l’eau, c’est comme un second coup de foudre qui précipite son retour à la vie : "L’eau comble les interstices, fait des palmes entre ses orteils, tend des voiles invisibles entre ses cuisses, ses genoux, ses chevilles, le prolonge et l’augmente. Il a envie de pleurer soudain, comme dans l’amour lorsqu’il est grand amour, à cause des corps parfaitement imbriqués, les creux et les reliefs visibles et invisibles complètement épousés, la sensation du plein retrouvée et bénie(...)"

Du désir à la résilience

A partir de ce moment, François n’a qu’une obsession : apprendre à nager comme la murène qu’il a vue à l’aquarium de Paris, et à laquelle il s'identifie. Dans l’eau, François se métamorphose de créature d’apparence monstrueuse en être gracile aussitôt qu’il se met en mouvement. L'histoire de cette complétude retrouvée avec tant de souffrance, est écrite en parallèle de celle des premières compétitions de sports paralympiques, jusqu'à la médaille obtenue par son ami João aux Jeux Paralympiques de Tokyo en 1964.

L'art du Kintsugi

La chute du livre résume à elle toute seule l'esprit de Murène et de la résilience, en la comparant à l'art de la céramique japonaise. Cet art millénaire répare les vases brisés avec de l'or, ce qui le rend encore plus précieux qu'un objet neuf: "Il est question d’or ce soir-là dans le studio de João, sa médaille, le mousseux dans les verres, le sabre d’or remis par la princesse Michiko à Serge Bec, escrimeur français d’exception. D’or aussi en fines veines sur le vase de céramique que João tend à Muguette, souvenir de Tokyo il dit, viens voir François, c’est pour vous. Un vase bleu outre-mer à long col zébré d’or. Il a plus de valeur qu’avant d’être brisé. Muguette suit les ligatures du bout de son index.
- Ils appellent ça le kintsugi. L’art des cicatrices précieuses."
 Comme celles que François promène dans son corps.

Murène est le treizième roman de Valentine Goby, qui a déjà obtenu de nombreux prix littéraires. D'une écriture dense, épique et poétique à la fois, elle nous emmène sans jamais verser dans le voyeurisme dans un sujet ardu qu'elle traite de manière universellement humaine. 

Couverture de "Murène", de Valentine Goby (Actes Sud)

"Murène", de Valentine Goby, paru le 21 Août 2019, Actes Sud, 384 pages, 21,80€.

Extrait:

"Son père résume l'état d'esprit général:
- Ce n'est pas du vrai sport.
Pas du vrai sport. La phrase résonnait dans la tête de François qui ne se défendait pas, plus vaincu encore qu'avant de passer à table. Pas un vrai corps, donc pas du vrai sport, la première assertion commandait toutes les autres, pas un vrai frère, pas un vrai fils, un vrai amant, un vrai amoureux, un vrai prof, un vrai ami, un vrai homme. Un handicapé en toutes choses."

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