"Les disparus du Joola" : autopsie d'un naufrage dans un roman documentaire d'Adrien Absolu
Une enquête passionnante sur l'une des plus tragiques catastrophes maritimes de l'histoire.
Après avoir relaté dans Les forêts profondes (JC Lattès, 2016) l'épidémie Ebola en Guinée, l'écrivain et journaliste Adrien Absolu raconte dans ce deuxième livre, que l'on pourrait qualifier de "roman documentaire", le naufrage du Joola, un ferry qui reliait Dakar à Ziguinchor en Casamance, le 26 septembre 2002. Les disparus du Joola paraît le 19 août 2020 aux éditions JC Lattès.
Comment cette catastrophe ayant causé la mort d'au moins 1863 personnes, a-t-elle pu survenir ? Qui était sur le bateau ? Comment ont réagi les autorités, qui sont les responsables, des vies auraient-elles pu être sauvées, quel sort a été réservé aux familles des victimes, que sont devenus les rescapés ?
Toutes ces questions parfois laissées sans réponse traversent le deuxième livre d'Adrien Absolu, Les disparus du Joola, un livre de forme hybride, aussi documenté que sensible, sur une tragédie qui a touché des centaines de familles à travers le monde.
L'histoire : le livre commence en 2013 dans une boulangerie-épicerie-tabac d'un village du Morvan. "En attendant ma monnaie, raconte le journaliste, j'ai remarqué sur le présentoir, entre les saucissons à l'âne et les faisselles, de petites bougies à l'effigie d'un bateau, le Joola."
Comment l'onde de choc de la catastrophe, survenue dix ans plus tôt à quatre mille kilomètres de là s'est-elle propagée jusqu'à ce petit commerce de la campagne française ? La réponse est affichée sur la vitrine de la boutique : "Bougie pour aider l'association française des familles des victimes du Joola, mon fils Dominique fait partie des victimes". Dominique Peroni avait 20 ans. Il n'est jamais rentré de son voyage au Sénégal.
L'onde de choc
L'écrivain remonte le fil de la tragédie en s'attachant d'abord à cette victime française, comme figure d'identification. Dominique avait son âge et possédait, confie-t-il dans l'épilogue, "tous les attributs et toutes les vertus de mes amis au même âge". Le destin de Dominique est le fil qui soutient le récit de cette catastrophe, dont Adrien Absolu décortique tous les tenants et les aboutissants.
On remonte le temps, avec l'inauguration du Joola, le 14 décembre 1990, qui peut embarquer 550 tonnes de charge, une trentaine de véhicules, et 544 passagers, puis sa lente dégradation avec le temps, sans que les travaux nécessaires ne soient entrepris. Le ferry continue à naviguer, malgré les avaries, et souvent surchargé (plus de 2000 personnes à bord le jour du naufrage…).
Adrien Absolu nous raconte la beauté de la Casamance, son histoire, sa situation politique et les rapports conflictuels avec le Sénégal. Puis il fait le récit, effrayant, du naufrage, heure par heure, aux côtés des rescapés, accrochés à des morceaux du navire, attendant des secours qui mettront une éternité à arriver… Il raconte l'incurie des autorités, la désorganisation des secours, le déni du pouvoir et l'impossible deuil des familles, privées de corps, et de sépultures.
Dans les pas d'Ivan Jablonka
Les disparus du Joola est le récit d'un naufrage, celui d'un ferry, mais aussi celui de tout le système qui a conduit à la tragédie. Adrien Absolu élargit le champ d'investigation autour de chacun des éléments de son enquête, nous faisant découvrir au passage la sociologie d'un petit village du Morvan, le développement du tourisme en Casamance, les préoccupations écologiques de cette région, ou encore les dysfonctionnements du pouvoir à la tête du Sénégal…Ces incursions, toujours mesurées, donnent une grande profondeur de champ au récit.
Essai ? Roman ? Ce livre, qui est au programme de la rentrée littéraire d'automne des éditions JC Lattès, est de forme hybride. Adrien Absolu marche dans les pas d'Ivan Jablonka. Comme l'avait fait l'auteur de Laetitia ou la fin des hommes, le journaliste fabrique de la littérature en restant très proche de sa matière, une somme d'informations minutieusement collectées par une enquête à base de documentation, de voyages, de rencontres, d'interviews avec les différents protagonistes du drame. Le livre est construit en chapitres courts, lancés par des proverbes sénégalais tirés du recueil de Nazaire Diatta, Proverbes Joola de Casamance (Editions Karthala, 1998).
Déroulée d'une écriture limpide et efficace, l'autopsie de cette catastrophe offre non seulement à chacune des victimes du Joola une sépulture en forme de récit, mais il donne aussi l'occasion au lecteur d'entrer dans l'épaisseur du monde, sa beauté et sa noirceur, et dans le cœur des hommes, la lâcheté des uns, l'héroïsme des autres.
Les disparus du Joola, d'Adrien Absolu (JC Lattes - 250 pages – 19 €)
Extrait :
"Le 26 septembre2002 est un jeudi, il a le parfum doux de ces journées de fin de vacances, et du week-end approchant. L'hivernage touche à son terme. Le Sénégal continue de surfer sur la vague d'euphorie née de son parcours à la Coupe du Monde deux mois plus tôt, qui l'a vu atteindre les quarts de finale, mais avant toute chose battre la France lors du match d'ouverture. En provenance de Dakar, le Joola est arrivé la veille en début d'après-midi à Ziguinchor. Il s'est amarré perpendiculairement au lit du fleuve. Corseté par des aussières tendues à mort, il apparaît maintenant ficelé comme un gros rôti, légèrement de guingois à bâbord, poussé par le courant de flot de la marée montante." (Les disparus du Joola, page 73)
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