Le roman historique de Cyril Gely "Le Prix" rend son Nobel à la physicienne Lise Meitner
Stockholm, 10 décembre 1946. Otto Hahn, chimiste allemand, s’apprête à entrer dans l’histoire. Dans l’après-midi, il va recevoir le prix Nobel pour avoir découvert la fission nucléaire. Cette découverte est le fruit d’une collaboration avec Lise Meitner, physicienne … qui, de son côté, ne recevra pas de prix Nobel. Car en 1938, cette femme juive est contrainte de fuir l’Allemagne nazie pour la Suède, laissant le fruit de plusieurs années de recherche dans les mains d’Otto Hahn. Quelques mois plus tard, le scientifique observe la fission nucléaire et signe un article sur sa découverte. A quelques heures de la remise du Nobel, Lise Meitner souhaite régler ses comptes avec son ancien collègue.
Un dialogue historique
Cette ultime confrontation, Cyril Gely nous la raconte dans "Le Prix" (Albin Michel). La tension monte dans la chambre d’hôtel d’Otto Hahn à l’annonce de la visite de Lise. A son arrivée, l’ambiance est amicale : les deux amis se remémorent le laboratoire, les premières découvertes faites ensemble, les travaux sur la fission nucléaire. En parallèle, ils racontent la montée du nazisme, les lois anti-juives. Et cette date fatidique de 1938, lorsque Lise Meitner n’a plus d’autre choix que de fuir Berlin pour se réfugier à Stockholm, abandonnant sa collaboration avec Otto Hahn. "Il est probable que nous aurions découvert ensemble la fission nucléaire. Nous étions si près du but quand je suis partie. D'ailleurs, tu l’as observée peu de temps après", rappelle la physicienne. Très vite, les retrouvailles virent à la confrontation.
Un long dialogue où s'entremêlent les moments d'ententes, les regrets et les injustices subies par Lise Meitner, qui a dû affronter un milieu scientifique hostile à son statut de femme et à sa religion.
Huis-clos théâtral
Par répliques et touches successives, entre affection et amertume, l’auteur dépeint la relation ambiguë qu’entretiennent ces amis rivaux. Dans la pénombre d’une suite d’hôtel décorée de tableaux de Turner, l’histoire est en marche. "Le Prix" se présente comme un huis-clos tendu où tout se joue à travers le dialogue entre les deux héros. On reconnait ici le style de Cyril Gely, l'homme de théâtre, à qui l'on doit notamment les pièces "Signé Dumas" et "Diplomatie".
"Sans elle, Otto Hahn ne serait pas acclamé. Peut-être qu’un jour, se dit-elle, l’histoire lui redonnera sa place. Oui, peut-être sait-on jamais … ". Près de 70 ans après le Nobel d'Otto Hahn, Cyril Gely remet son prix à Lise Meitner, sans qui la fission nucléaire n’aurait sans doute pas été découverte. Son roman, la réhabilitation passionnante d'une grande physicienne, évoque évidemment en filigrane toutes ces grandes scientifiques restées dans l'ombre.
"Le Prix", Cyril Gely
(Albin Michel – 224 pages – 17 euros)
Extrait :
Encore une fois, tu prononces ce mot d’une façon qui ne me plaît pas.
"Le Prix", Cyril Gely, p.123
- Quel mot ?
- Tu sais très bien. Le mot "prix".
- Et comment l’ai-je prononcé cette fois ?
- Comme s’il était obscène. Ou plutôt, comme si le fait que le Comité me l’ait décerné était quelque chose d’obscène.
- Oui, admet Lise en hochant la tête. Pourquoi le nier. Je trouve choquant que tu reçoives ce prix.
Hahn ne peut réprimer un mouvement nerveux. Son corps entier frissonne. Mais en dépit du contrôle qu’il exerce sur lui-même, et de la nuit noire qui les entoure, Lise n’a eu aucune peine à percevoir ce frémissement.
- Et pourquoi, s’il te plaît ? Pourquoi ce prix serait-il obscène ou choquant ? Je veux l’entendre de ta bouche.
Lise sourit et murmure :
- Tu ne mérites pas le Nobel. Ni aucun autre prix. "
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