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"Le Bowling du Point du Jour" : la saga familiale décalée de l’Américaine Elizabeth McCracken

L'écrivaine signe un roman délicieusement bizarre sur une famille passionnée de bowling, un sport qui deviendra au fil des décennies leur "malédiction".

Article rédigé par Manon Botticelli
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Elizabeth McCracken sort son nouveau roman "Le Bowling du Point du Jour".  (Edward Carey / Editions Nil)

Une poignée de personnages hauts en couleur, une bourgade perdue du Massachusetts, quelques parties de bowling et une touche de fantaisie : voici les ingrédients du dernier roman de l'écrivaine américaine Elizabeth McCracken. Le Bowling du Point du Jour (éditions NIL) s’ouvre avec la découverte d’une femme, Bertha Truitt, retrouvée inconsciente, mais bien vivante, dans le cimetière de la ville. Elle n'a rien ramené de son mystérieux passé qu'une boule de bowling, une quille et un sac d'or. La nouvelle venue décide d’épouser le médecin qui l'a ramassée, se fait construire une maison octogonale et ouvre son propre bowling.

Dans une petite ville des Etats-Unis, à l'aube du XXe siècle, cette femme au fort caractère, libre, indépendante et sûre d’elle, détonne. Pourtant, Salford ne manque pas d'habitants excentriques, loin de là. Une petite communauté se forme grâce au bowling de Bertha, et le lecteur découvre les figures gravitant autour. Le roman se construit alors comme une suite d'histoires personnelles, chacun des personnages étant lié par son amour ou désamour vis-à-vis du "candlepin", cette forme de bowling que Bertha Truitt assure avoir inventé. Comme une pièce de théâtre, les héros entrent et sortent de scène en fonction des développements du récit.

Comédie tragique

Le bowling devient un lieu d'émancipation pour les femmes de la ville : elles sont autorisées par Bertha à venir s'exercer sans qu’il n'y ait une séparation visuelle entre elles et les joueurs masculins. Dans cette saga familiale qui s’étale sur presque un siècle, Elizabeth McCracken n’oublie pas d’aborder les enjeux sociaux des époques qu'elle traverse : le racisme, la place de l’homosexualité dans une société puritaine… "Je ne voulais pas écrire un roman entièrement coupé de la réalité et insensible à l’Histoire (…) Le monde exerce toujours une pression sur la famille", témoignait l’autrice dans une vidéo de présentation.

Le bowling est d'abord un lieu de passion, de rencontre et même de modernité. Mais il se transforme en "malédiction familiale", racine de tous les drames. Car quand Bertha disparaît, son bowling devient source de convoitise, et tous les prétendants ne sont pas bien intentionnés.

Aucun des habitants de Salford n’échappe à la plume acerbe d'Elizabeth McCracken, qui croque à la fois de manière cruelle et tendre ces héros névrosés. Son tour de force : les rendre tous attachants, à leur manière, de Margaret la nourrice en manque d’affection jusqu’au chasseur de fantômes (car oui, il y a des fantômes) de pacotille. L’autrice s’attache à décortiquer la psychologie de chacun, en revenant sur leurs origines et détaillant leurs chagrins et leurs espoirs.

L’écriture est riche et imagée, tournant parfois à l’absurde. Le tout peut sembler long mais n'en reste pas moins savoureux. On pourrait également reprocher au Bowling du Point du Jour une intrigue un peu lâche, au profit du développement des personnages. Celle-ci ne devient captivante qu’à la toute fin, soit un peu tard, pour accompagner le dénouement. Mais cette tragi-comédie décalée séduira pour son ambiance plus que soignée, ses dialogues truculents et ses héros tendrement loufoques.

Couverture du "Bowling du Point du Jour" d'Elizabeth McCracken. (Editions NIL)

Le Bowling du Point du Jour, d'Elizabeth McCracken, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen
(Editions NIL - 464 pages – 22 €)

 Extrait :

"Il est ici question d’amour. D’amour à sens unique, serait-on tenté de croire, la boule irréfléchie et obstinée qui fonce aveuglément sur la piste. Elle s’approche au plus près pour choisir parmi les quilles celle qui a sa préférence, celle à qui il lui tarde de faire tourner la tête. Je t’aime ! Et patatras. Ne reste plus qu’une pile de quilles en un seul morceau. Intactes mais malmenées. Encore et encore, elles se tiennent prêtes à être fauchées. Le retour de la boule sépare les bien-aimés, éconduit les quilles. Reste. La boule s’y refuse, le joueur la lance, la voilà qui file, patatras. Vous saisissez l’idée. Cela semble à sens unique." 
Le Bowling du Point du Jour, page 17.  

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