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"La jeune Épouse", roman théâtral et érotique d'Alessandro Baricco

Le romancier italien Alessandro Barrico signe un roman qui peint une famille riche et décadente, où érotisme et secrets de famille se conjuguent dans une atmosphère tragico-comique. L'auteur de "Novecento : pianiste" s'amuse à y tordre les codes narratifs pour interroger sur l'art d'écrire. Un roman à part dans l'oeuvre du romancier italien.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Alessandro Baricco à Cologne en mars 2016
 (Horst Galuschka / DPA / AFP)
Histoire : Italie début du XXe siècle. La Jeune Épouse se présente à la Famille. Elle vient pour accomplir ce qui fut décidé autrefois : épouser le Fils. La Jeune Épouse rentre d'Argentine, où elle était partie vivre avec son père. Quand elle arrive, le Fils n'est pas là. Il est parti faire des affaires en Angleterre. En attendant le retour du Fils, la Jeune Épouse est accueillie par la Famille, servie  par Modesto, le bien nommé domestique de la maison. Dans cette grande demeure, à part lui, personne ne semble travailler.

Les journées commencent toutes de la même manière : le vieux domestique Modesto ouvre les volets des sept fenêtres, puis les portes des chambres des cinq occupants de la maison,en annonçant la météo du jour. Suit le rituel des petits-déjeuners (cérémonie toujours désignée au pluriel "pour en restituer la richesse, l'abondance, et la déraisonnable durée").

Dans cette maison vivent : le Fils, temporairement absent donc, la Mère, d'une beauté à couper le souffle. Le Père, "débonnaire mais aussi féroce à l'occasion" est atteint d'une "inexactitude du cœur" qui l'oblige à se protéger de toute émotion forte. La Fille a hérité de la beauté "aristocratique" de la Mère, mais est restée boiteuse après un accident dans l'enfance. L'Oncle, un être dormant, fait des sorties de sommeil intempestives pour intervenir dans les conversations, avant de se rendormir. Dans cette maison, on a peur de la nuit, et les livres sont absents, voire interdits. La Jeune Épouse est informée des us et coutumes de la maison par Modesto, puis rapidement prise en mains par la Fille, pour une initiation sexuelle, travail ensuite peaufiné par la Mère.

Puis le Père l'emmène en ville. Dans le train, il lui annonce une mauvaise nouvelle, avant de lui révéler les secrets de la Famille dans un bordel où il a ses habitudes… "Ce que tu as entre les jambes, oublie-le. Il ne suffit pas de le cacher. Il faut l'oublier. Toi-même tu dois ignorer ce que tu as là". La Jeune Épouse a suivi les conseils de sa grand-mère prodigués sur son lit de mort, alors qu'elle était encore trop jeune pour comprendre. Dans l'attente du retour du Fils, la Famille se charge de "tout lui réapprendre". Comprendre qu'elle a un corps. Et envisager toutes les possibilités que ce corps peut offrir.

Écrire sur le sexe : un défi

Pourquoi tant de sexe?", la question est posée en interlude dans le fil du roman, "Il y en a presque toujours, du sexe dans mes livres", répond l'écrivain. "Oui. Mais là, c'est une obsession", objecte son interlocutrice, "Qu'est-ce qui t'attire dans le fait d'écrire sur le sexe?", interroge-t-elle. "Que ce soit difficile", répond l'écrivain. Voilà. Si l'on se demandait pourquoi, on a la réponse en direct, comme si le romancier avait devancé la question.

Un défi donc, d'écrire sur le sexe, que le romancier relève avec une certaine habileté, même si les scènes qui y sont consacrées sont moins sensuelles que ce à quoi l'écrivain nous avait habitués dans d'autres romans (d'une sensualité torride), comme dans "Emmaüs" par exemple. Le sexe est traité ici sans pathos, technique. La Fille initie la Jeune épouse à l'onanisme, qu'elle pratique à des fins d'endormissement. La Mère lui apprend comment rendre fous les hommes avec des conseils précis, sur la position du corps, un mouvement des mains dans les cheveux, la cambrure du dos…

Voilà pour ce qui est du sexe, qui est un des sujets du livre, mais pas le seul. Dans "La Jeune Épouse" il est aussi question de clan, de secrets de famille, d'inceste. Des sujets lourds, que le romancier a déjà abordés ailleurs, et qu'il traite ici sur un mode léger. Comme si rien de ce qui est arrivé, arrive, ou va arriver, n'était vraiment grave. Il peint joyeusement la décadence foutraque de cette famille aristocratique, où se côtoient extravagance, cruauté et ironie.

Alessandro Baricco s'amuse à tordre les codes de la narration, passant de la troisième à la première personne, clac, sans prévenir, et sans que l'on sache tout de suite identifier le "je". Sans préavis non plus, des interludes mettent en scène l'écrivain, questionnant sur la pratique de l'écriture. Des coups de théâtre, des protagonistes qui n'ont pas de noms, désignés seulement par leur fonction, des dialogues qui claquent comme du Feydeau, l'usage du "je" qui rappelle les apartés, "La Jeune Épouse" emprunte au théâtre sans en être...

Ce nouveau roman d'Alessandro Baricco développé avec une grande liberté sonne comme une tentative. On ne sait pas si "La Jeune Épouse" est un roman à part dans l'œuvre de Baricco, ou bien si elle annonce une nouvelle ère. En tous cas quelque chose a lâché, qui donne un roman un peu désordonné, mais plein de sève. A suivre.
 
La Jeune Épouse Alessandro Baricco, traduit de l'italien par Vincent raynaud (Gallimard - Du Monde Entier - 223 pages - 19,50 euros)

Extrait :
"Ils avaient oublié, voilà tout. On s'était mis d'accord jusque dans les moindres détails, mais depuis si longtemps qu'on en avait perdu le souvenir exact. il n'y avait pas lieu d'en déduire qu'ils avaient changé d'avis, non, car c'eut été beaucoup trop fatigant. dans cette maison, lorsqu'une décision était prise, on ne revenait jamais dessus, car il fallait avant tout épargner ses émotions. Simplement le temps avait passé à une vitess qu'ils n'avaient eu nul besoin de de mesurer et , à présent, la Jeune Épouse était là, sans doute pour faire ce sur quoi on s'était mis d'accord il y avait longtemps, ave l'accord officiel de tous : épouser le Fils.
Mais il était déplaisant de devoir admettre que, si l'on s'en tenait aux faits, le Fils manquait à l'appel."

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