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"La ballade de Rikers Island" : quand Régis Jauffret revisite l’affaire DSK

Son credo : « le roman, c’est la réalité augmentée ». Après la mort violente du banquier Stern et l’affaire Fritzl (la séquestration de la jeune autrichienne par son père), Régis Jauffret s’attaque à une nouvelle histoire vraie, dont il imagine les détails. Dans cette ballade consacrée à l’affaire DSK à New York, il mélange enquête et fiction. Troublant.
Article rédigé par Pierre-Yves Grenu
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Régis Jauffret, auteur de "La ballade de Rikers Island"
 (JACQUES GRAF/JDD/SIPA)

Ce roman provoque-t-il parfois un sentiment de malaise ? Oui, assurément. Se lit-il avec plaisir ? Oui, au moins autant ! A peine le livre ouvert, nous voici en quelque sorte complices de l’entreprise de Jauffret.

Rickers Island, c’est cette prison new yorkaise, posée au bout des pistes de l’aéroport de la Guardia, là où l’un des hommes les plus puissants du monde va se retrouver enfermé. Evidemment, personne, mis à part l’intéressé, n’est en mesure de raconter comment cette descente aux enfers s’est déroulée.

Nous acceptons de fait l’idée que tout ce que nous allons lire, les pensées animales et délirantes de l’ex-patron d’une « institution financière », les états d’âmes de sa grande bourgeoise d’épouse, ex-star de la télévision, le cynisme absolu du grand chambellan qui chaperonne le « futur président de la république », la honte de la femme de chambre la plus célèbre de l’histoire… tout pourrait être vrai, mais rien n’est moins sûr. Nous voici voyeurs, sans doute, même si c’est d’un paysage imaginaire que nous nous remplissons la rétine.

Régis Jauffet excelle dans la construction de cette « réalité augmentée ». Son récit est violent, touchant aussi. Il y a dans cette affaire, tous les ingrédients d’une tragédie moderne. L’amour, le risque, l’ambition, le mépris, le sentiment de classe et de caste. Si tout ceci n’avait existé, il aurait mérité d’être inventé.

Enquête en Guinée et à New York

Jauffret ne se contente pas d’imaginer avec talent les coulisses de l’affaire, le voici enquêteur. Une « réalité diminuée », pour le coup, car son expédition en Afrique, au Sénégal et en Guinée, sur les traces de Nafissatou, a un côté Pieds Nickelés. Rien ne se passe comme prévu, et on en apprend finalement plus sur la corruption dans ces pays que sur le profil de la victime. Rien, en tous cas, que l’on n’ait déjà lu.

Plus tard, rebelote aux Etats-Unis, où Jauffret et sa compagne essuient revers sur revers, en essayant d’approcher les protagonistes new-yorkais du dossier. Et finissent par se séparer, épuisés par cette spirale de l’échec. Le livre multiplie ainsi les allers-retours entre ces deux approches : une fiction très maîtrisée, basée sur des faits réels, et une enquête « pour de vrai » attachante et un peu poussive.

Alors, bancale cette ballade ? Non, et c’est tout le talent de l’auteur : ce curieux attelage fonctionne, les séquences se répondent et se relancent. La sortie de route est évitée.

 
"La ballade de Rikers Island" de Régis Jauffret (Seuil) – 426 pages – 21,00 €

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