"Être un homme" : un recueil de nouvelles corsées de la romancière américaine Nicole Krauss
Ce recueil de nouvelles de Nicole Krauss dresse le portrait d'une poignée d'êtres humains à travers le monde, qu'elle photographie à un moment clé de leur existence. Du concentré, digne des plus grands nouvellistes américains.
L'auteure de Forêt obscure (2018) revient avec un recueil de nouvelles, Être un homme, publié aux éditions de l'Olivier le 12 mai 2021. Ces récits courts (des pépites) nous offrent des tranches de vie de gens de tous âges et de tous pays, que l'on rencontre à des moments charnière de leur existence. En quelques pages, Nicole Krauss projette le lecteur dans la substantifique moelle de ses personnages.
Tranches de vies
De Genève à New York, en passant par Kyoto, Los Angeles ou Tel Aviv, on rencontre ainsi Soraya, jeune fille iranienne libre assumant ses désirs, restée pour son amie d'adolescence, la narratrice, une énigme. Brodman est un vieux monsieur revenu d'entre les morts, serrant dans ses bras son petit-fils au vingt-troisième étage d'un building new-yorkais. On croise aussi cette jeune femme qui voit débarquer et s'installer un homme étrange dans l'appartement de son père décédé, ou bien Noa, jeune fleuriste, fille d'un archéologue, en quête d'identité.
Il y a aussi cette danseuse, troublée par l'apparition à deux reprises, simultanément dans sa vie et dans celle d'une de ses amies, d'Homayoun Ershadi, l'acteur principal du film Le Goût de la cerise, d'Abbas Kiarostami. Ailleurs, une vieille dame, veuve, accepte de vivre avec un homme que les services sociaux lui présentent comme "le Mari", depuis longtemps disparu, au grand damne de sa fille psychanalyste. Une autre, au mitan de sa vie, réalise brutalement dans le geste attentionné d'un ami que son mari, rempli de lui-même, n'a jamais pris et ne prendra jamais soin d'elle.
Chacune de ces dix histoires se focalise sur un moment clé, suscitant ici des questions, là des révélations, mais soulignant surtout le mystère qui entoure la vie et la tournure que peut prendre une existence. Chaque personnage est présenté dans le regard d'un autre, ce qui fait qu'il prend forme à travers l'altérité, en miroir ou en opposition à l'autre. Cette mise en scène donne un relief particulier aux différents personnages, appuyant l'idée que la rencontre avec l'autre est un point crucial depuis lequel on peut mieux comprendre le poids d'une histoire, mieux saisir qui on est vraiment, ou qui on désire être.
Être un homme (ou une femme)
Captées par la plume virtuose de la romancière américaine, ces tranches de vie mises bout à bout composent un ensemble qui prend sens au fil de la lecture. Balançant entre la tragédie et la comédie, le livre est traversé par les questions les plus intimes, et les plus universelles, celles qui surgissent ici ou là, inévitablement, au cours d'une vie, et nous interroge sur ce qu'est, au fond, "être un homme", au sens de l'humain.
La judéité traverse également, en arrière-plan ou pas, tous ces récits. Parfois simplement évoquée par un mot, un geste, un objet, ou une expression, elle est comme inscrite dans l'ADN des personnages, quelle que soit leur vie.
"Par un jour glacial de mars – un vrai temps de ghetto hivernal – sa mère l'appelle pour lui dire que le Mari disparu est arrivé."
Nicole KraussDans "Être un homme"
Nicole Krauss presse son matériau comme un citron pour en extraire le jus, qu'elle réduit encore jusqu'à n'en garder que les sucs. La romancière condense en quelques pages l'existence des personnages, laissant au lecteur le soin d'en dilater l'espace-temps, d'imaginer ce qui a précédé, ou ce qui suivra, et de prolonger à sa guise chacune des trajectoires entamées. Déjà remarquée pour ses romans, Nicole Krauss ne décevra pas les amateurs de nouvelles.
"Être un homme", de Nicole Krauss, nouvelles traduites de l'anglais (États-Unis) par Paule Guivarch (L'Olivier, 270 pages, 22,50 €)
Extrait :
"Un jour, sur mon chemin, j'ai croisé quelqu'un – impossible de dire si c'était un homme ou une femme – qui portait un masque à gaz. Peut-être était-ce une plaisanterie, ou peut-être cette personne ne faisait-elle pas confiance au maire, peut-être encore avait-elle pris l'habitude de le porter, s'était-elle prise d'affection pour lui et répugnait à s'en séparer et à recommencer à se promener le visage découvert, exposé à tous les dangers." (Extrait de la nouvelle "Urgences futiles", dans le recueil "Être un homme", de Nicole Krauss, page 157)
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