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Doris Lessing, prix Nobel de littérature et esprit libre, est morte

La romancière britannique Doris Lessing est morte à l'âge de 94 ans. C'est son éditeur qui a annoncé la nouvelle ce dimanche, confirmant une information du Guardian.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La romancière Doris Lessing, prix Nobel de littérature, est morte à l'âge de 94 ans
 (ERWIN ELSNER / DPA / DPA/AFP)

Inspirée par sa vie en Afrique, Doris Lessing est auteur d'une cinquantaine de romans, dont le best-seller international "Le Carnet d'or" (1962). Elle s'est rendue célèbre dès son premier livre, "Vaincue par la brousse" (1950) et a aussi été associée au combat des féministes.

Née en Iran (Perse) en 1919, elle a été  élevée dans la brousse africaine en Rhodésie du Sud (colonie britanique à l'époque, aujourd'hui Zimbabwe), où son père s'installe dans une grande ferme isolée quand elle a cinq ans. Pensionnaire d'une institution religieuse qu'elle supporte mal, elle quitte définitivement l'école à 14 ans, pour travailler comme jeune fille au pair puis standardiste. Jugeant impitoyablement la colonie blanche, elle dresse un portrait saisissant de l'Afrique australe dans son recueil de "Nouvelles africaines" (1964) en trois volumes. 

Après deux divorces, elle quitte l'Afrique et s'installe seule à Londres en 1949 avec son jeune fils, laissant derrière elle en Afrique sa fille et son fils aîné, nés de son premier mariage. Elle trouve un emploi de secrétaire qu'elle abandonne après le succès de ses deux premiers livres "Vaincue par la brousse" (1950) et "Martha ouest" (1952). Ce livre est le premier des cinq volumes de sa fresque "Les Enfants de la violence", roman largement autobiographique.

Une oeuvre éclectique et engagée 

Mais c'est en 1962 qu'elle acquiert une célébrité internationale avec "Le  Carnet d'or". Ce roman-fleuve à la construction originale est devenu un livre-phare du féminisme, même si la romancière se distingue du mouvement, disant des féministes "qu'elles n'ont rien compris".

L'oeuvre de cette romancière est éclectique et engagée : romans documentaires, témoignages, des fictions, jusqu'à des ouvrages de science-fiction, comme  "Shikasta" (1981), des romans plus psychologiques comme "L'Eté avant la nuit"  ou très proches de l'actualité comme "La Terroriste" (1986) et "Le Vent emporte nos paroles" (1987), un témoignage sur la guerrre en Afghanistan. En 1994, elle publie le premier tome de son autobiographie, "Dans ma peau"  avant un deuxième en 1997 "La marche dans l'ombre".

Réactions et hommages

Annoncé par le Guardian, son décès a immédiatement provoqué de vives réactions. "Elle est partie en paix, à son domicile de Londres, tôt ce matin", a déclaré son agent et ami Jonathan Clowes tandis que les hommages se succédaient pour saluer une romancière immense. En France, l'annonce de sa mort a déjà fait réagir sur les réseaux sociaux. "Hommage à l'immense Doris Lessing" a écrit la ministre de la culture, Aurélie Filippetti sur son compte Twitter avant de réagir plus largement, saluant dans un communiqué une "immense  artiste" à l'écriture "libre et engagée".

Doris Lessing "décrivait avec force et talent la passion des sentiments", écrit la ministre . Elle "portait un regard sur son siècle d'une extrême lucidité, d'une clairvoyance aiguë, dénonçant les conflits et les  injustices ethniques et sociales, tout autant que l'injustice faite aux femmes", poursuit-elle. "Immense artiste, son oeuvre littéraire ne cessera d'inviter le lecteur à s'interroger sur les petits et les grands combats menés par les femmes et les  hommes pour leur survie et leur liberté", poursuit Aurélie Filippetti. La ministre met en avant l'"écriture libre et engagée" de la romancière,  son "style réaliste et moderne", saluant des "romans et des écrits d'une grande variété". "C'était une personne extrêmement déterminée, avec une curiosité incroyable. Nous avons passé des heures dans sa cuisine à parler de tout : de théâtre, de football, de biologie moléculaire, et évidemment de littérature", a commenté dimanche Patrice Hoffmann, son éditeur en France chez Flammarion.

Esprit libre

Doris lessing avait publié en 1981 sous le pseudonyme de Jane Somers "Le Journal d'une bonne voisine", un roman refusé par la plupart des éditeurs. C'est son éditeur français de l'époque qui découvre l'entourloupe littéraire. "J'ai voulu vérifier que seul le succès attire la reconnaissance et le succès. Ceux qui se targuent d'être experts de mon œuvre ne reconnaissent même pas mon style…", commente-t-elle après la découverte de la supercherie.

Communiste jusqu'en 1956 et connue pour son engagement anti-apartheid, elle s'en prend au début des années 2000 au régime dictatorial du président Robert Mugabe et est déclarée indésirable au Zimbabwe.

Selon J.M. Coetzee, Doris Lessing était "l'un des grands romanciers visionnaires de notre époque" .

Le Nobel à 88 ans

Lauréate du prix Nobel de littérature en 2007, elle a alors 88 ans, ce qui fait d'elle l'auteur le plus âgée et la 11ème femme récompensée par le jury suédois, qui la décrit alors comme "la conteuse épique de l'expérience féminine, qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée". 

Cueillie à la sortie de son taxi, sa réaction à l'annonce de son prix Nobel par les journalistes venus l'attendre devant chez elle, est restée dans les annales : "oh Jesus", avait-elle murmuré avant de déclarer : "Cela fait trente ans que ça dure. J'ai remporté tous les prix en Europe, tous ces foutus prix, alors je suis ravie de les avoir remportés. C'est un flush royal", avait déclaré Doris Lessing. 
La romancière a en effet reçu de nombreux prix dans le monde entier. En France elle avait été récompensée par le prix Medicis étranger pour son roman "Le Carnet d'Or", en 1976.
En mai 2008, elle confiait dans un entretien avec la BBC Radio 4 avoir  cessé d'écrire parce qu'elle n'avait "plus d'énergie". Très fragilisée depuis  quelques semaines, elle s'est éteinte dimanche matin, laissant derrière elle sa  fille et deux petites-filles.  "Elle savait dépeindre les expériences des autres avec des mots qu'eux ne trouvaient pas. A mon avis, ses livres passeront à la postérité", a réagi Per Wästberg, écrivain et membre de l'Académie suédoise.
Extrait du discours écrit par Doris Lessing à l'occasion de la réception du Prix Nobel de littérature 2007 :
"Mon esprit est plein de somptueux souvenirs d'Afrique, que je peux ranimer et contempler à loisir. Ces couchers de soleil, or, pourpres et orange, qui envahissent le ciel au soir ! Les buissons aromatiques du désert de Kalahari fleuris de papillons, de phalènes et d'abeilles ! Ou encore moi assise au bord du Zambèze, dont les eaux vert foncé et luisantes - c'est la saison sèche - roulent entre de pâles berges herbues où s'assemblent tous les oiseaux d'Afrique. (...) Mais que dire du ciel nocturne d'un noir merveilleux, encore vierge de pollution, criblé d'étoiles effervescentes !"

Lire l'intégralité de ce magnifique discours.

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