Bois II, d'Elisabeth Filhol : le roman de la désindustrialisation
Le monde du travail, ça intéresse qui ? A peine une poignée de romanciers, en cette rentrée littéraire, d'ailleurs peu retenus dans la course aux prix. Olivier Adam, bien sûr, mais aussi Elisabeth Filhol. Très remarqué, son premier roman, "La Centrale", prix France Culture Télérama en 2010, racontait la vie des travailleurs intérimaires du nucléaire.
Bois II s'inscrit dans la même veine, celle du travail industriel. Cette fois dans une usine imaginaire de l'Ouest de la France. Un tout petit point sur l'échiquier mondial qui, de rachat en rachat par des groupes toujours plus gigantesques, est menacé de fermeture. Pour se faire entendre, les ouvriers séquestrent leur patron, qui s'est exceptionnellement déplacé de la capitale.
Tout au bout du bout de la chaîne, quelque part en France, une usine en perdition
Il y a un triple récit dans le roman d'Elisabeth Filhol. L'histoire longue de cette usine d'aluminum, fondée à l'aube du XXe siècle. L'histoire, plus récente, des bouleversements qu'a entraînés la mondialisation : la fin du champion national du secteur, Pechniney, absorbé en 2003 par le canadien Alcan, lui-même racheté en 2007 par le géant brésilien Rio Tinto...
Et tout au bout du bout de la chaîne, quelque part en France, une usine en perdition, avec ses salariés sans autre horizon. Ces ouvrières, Sandra, Gaëlle et les autres, qui rêvaient d'y faire entrer leurs enfants, et dont les fils, désormais, parlent de s'exiler en Australie ou au Canada.
Une écriture précise et sans pathos
Ce sont ces destins qu'Elisabeth Filhol met en scène. Avec leurs souvenirs. Leurs espoirs, autrefois, d'une vie meilleure, contrastant avec le plan social auquel elles sont confrontées, et dont elles savent qu'ils ne sera pas le dernier. Un plan social passé pour l'instant de19 à 20 licenciements, pour faire un chiffre rond, "avec le gars en plus qui a fait l'arrondi, content ou pas". Une partie de la production délocalisée en Pologne, pour plus de rentabilité.
L'attente de Mangin, patron jamais vu, dont l'ambition est de transformer l'usine en lieu de stockage et, surtout, de n'avoir plus à quitter son bureau des Hauts-de-Seine pour y revenir. Sa séquestration. Les exigences et le peu qu'on obtient, qui est aussi le prix de la dignité.
L'écrivain marie à la perfection, dans un même présent, le temps long de l'histoire, le temps -intermédiaire - d'une vie et le temps -bref - de l'occupation d'usine, du combat social, avec une écriture précise et sans pathos, où la dimension autobiographique n'a pas sa place. "Je n'ai jamais vécu une situation de grève", a-t-elle confiée à Libération. Tant mieux : son roman n'en a que plus de force.
Bois II, d'Elisabeth Filhol (POL, 272 pages, 16,9 euros)
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