Reprise de Presstalis : Eric Fottorino dénonce une gestion "depuis 10 ans frauduleuse" du distributeur de presse
Le journaliste, patron de presse, estime que "les éditeurs perdent 120 millions d'euros" en raison des recettes qui sont bloquées.
Presstalis devient France Messagerie : le tribunal de commerce de Paris a validé mercredi 1er juillet l'offre des journaux quotidiens pour la reprise de l'ex-géant de la distribution de la presse, en dépôt de bilan. Presstalis avait été placé en redressement judiciaire mi-mai avec pour conséquence le licenciement de plus de 600 salariés.
Cette décision est la conclusion d'une gestion "qui, de mon point de vue, est frauduleuse", a lancé mercredi sur franceinfo, Éric Fottorino, journaliste et écrivain, cofondateur de l’hebdomadaire Le 1, des revues America, Zadig et Légende. "Elle marque bien cette situation ubuesque qui a duré depuis une décennie."
franceinfo : Comment réagissez-vous à la reprise de Presstalis ?
Éric Fottorino : Je la redoutais. Elle marque bien cette situation ubuesque qui a duré depuis une décennie. Elle aboutit à ce que seuls les éditeurs de quotidiens apportent une solution, mais une solution en trompe-l'oeil, puisque l'Etat va continuer de mettre la main à la poche. Il y a une impunité totale sur cette gestion depuis dix ans qui, de mon point de vue, est frauduleuse.
Aujourd'hui, les éditeurs perdent 120 millions d'euros, toutes les recettes depuis plusieurs mois qui sont bloquées et qui ne reviendront pas.
Eric Fottorino, journaliste, écrivain et patron de presseà franceinfo
Ce qui est encore plus scandaleux, c'est que d'une part, les éditeurs qui ont quitté Presstalis pour le concurrent MLP, ce n'était pas par caprice, mais c'était simplement parce qu'on était tellement pris à la gorge qu'il fallait bien qu'on puisse distribuer nos publications. Eh bien on devra continuer de payer jusqu'en 2022. J'avais même entendu 2023.
Dans le cas de vos différentes publications, est-ce que vous arrivez à savoir combien vous avez perdu ?
Oui, bien sûr. Même assez précisément. C'est 930 000 euros pour les trois publications et à peu près un tiers chacune. Le 1, Zadig, America. C'est comme un puits sans fond. Ce ne sont pas des projections, ce sont des recettes, des sommes qui sont dues. Et moi je considère que, quand on est dans un État de droit, au moins, ce qui est dû doit être payé. Et là, ça met en danger nos structures. On n'est pas les seuls. Il y a plus de 200 petits éditeurs en France qui peuvent vraiment mettre la clé sous la porte. C'est très concret. Si dans un mois et demi ces sommes ne m'ont pas été versées d'une manière ou d'une autre, je ne pourrai pas payer de papier. Alors quand vous faites de la presse écrite, si vous n'achetez plus votre papier, vous êtes mort. Et donc c'est ça le risque réel qui est aujourd'hui après cette décision.
Est-ce que c'est la fin du papier ou au contraire, est-ce qu'il a un avenir, mais qu'il y a tout un système à repenser ?
Le papier a bien sûr de l'avenir. Si je regarde mes titres, j'en vends chaque semaine ou chaque trimestre entre 35 000 et 40 000 exemplaires. Et ce ne sont pas les mêmes lecteurs.
Je pense que le papier a de l'avenir quand on fait des offres qui sont stimulantes. En revanche, le système de distribution est complètement obsolète.
Eric Fottorinoà franceinfo
Je pense qu'il faut vraiment le revoir très vite et y intégrer aussi l'univers de la librairie, comme je l'ai fait depuis six ans. Mais je crois d'abord, aussi, qu'il faut que les aides soient différentes d'aujourd'hui. Je pense qu'il faut que les messageries soient gérées normalement et ne soient pas opaques dans leur gestion. Pourquoi Presstalis en est là ? C'est que pour la gestion, nous, les petits éditeurs, on n'avait pas voix au chapitre sur quels étaient les tarifs, quels étaient les tarifs préférentiels appliqués à certains éditeurs. Donc, on nous demande d'être solidaires pour payer les pots cassés, mais pas du tout pour gérer. Moi, je pense qu'il faut d'abord que la gestion soit vraiment transparente et non pas opaque et qu'un rapport de confiance s'établisse. Deuxièmement, il faut aussi que les points de vente en France soient beaucoup mieux mis en valeur, de telle manière que les lieux où on achète des journaux ne soient pas fragilisés. C'est quasiment un "lumpenprolétariat" (prolétariat en haillons) qui travaille dans les kiosques, il faut le savoir.
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