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"Vous êtes de la famille ?" : à la recherche du héros inconnu mentionné sur une plaque parisienne

“Ici est tombé sous les balles allemandes Jean Kopitovitch, patriote yougoslave, le 11 mars 1943”. Qui est ce Serbe oublié à qui l'on a dédié une plaque rue Monsieur-le-Prince, dans le 6e arrondissement parisien ? François-Guillaume Lorrain, journaliste du Point, s'est lancé dans une folle enquête sur ce héros inconnu. Il livre un récit émouvant sur une existence "hachée menue par le siècle”.
Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
François-Guillaume Lorrain
 (Richard Schroeder pour Flammarion)
Les plaques de Paris sont magiques. Elles rappellent, sur les murs de la capitale, que la féministe révolutionnaire Olympe de Gouges a vécu rue Servandoni, à deux pas de l’église Saint-Sulpice, ou que la romancière américaine Gertrude Stein habitait rue de Fleurus, tout près du Jardin du Luxembourg. Dans ce même sixième arrondissement, l’écrivain et journaliste du “Point” François Guillaume Lorrain s’est avisé, le 16 février 2017, de l’étrangeté d’une plaque scellée à l’angle des rues Racine et Monsieur-Le-Prince, tout près de celle consacrée à Malik Oussekine (tué à Paris par des policiers le 6 décembre 1986).

Accrochée aux murs de la faculté de médecine, la plaque dont il est ici question est dédiée à un homme tué pendant la seconde guerre mondiale. Que dit-elle ? “Ici est tombé sous les balles allemandes Jean Kopitovitch, patriote yougoslave, le 11 mars 1943”. Une date étonnante, relève l’auteur, puisque la plupart des plaques parisiennes du quartier honorent des résistants parisiens tombés à l’été 1944, lorsque la capitale s'est soulevée juste avant l’arrivée des Alliés.

Tirer tous les fils, des archives aux fiches des Renseignements généraux

Mais qui est ce héros inconnu, dont la plaque a été inaugurée le 7 novembre 1948, en présence de René Cassin, prix Nobel de la Paix et concepteur de la Déclaration des Droits de l’homme ? Piqué au vif dans sa curiosité, notre grand reporter va faire parler les archives, si bavardes lorsqu'on sait les interroger. Et il va tirer tous les fils, fouiller des coins de bibliothèque négligés, sonder des cartons de paperasse oubliés, exhumer les fiches des Renseignements généraux pour retrouver les traces de Jovan (devenu Jean) Kopitovitch, né dans une famille serbe en 1898 à Constantinople (aujourd’hui Istanbul), dans l’empire ottoman.

Les documents trouvés vont laisser deviner, par bribes, les effroyables séquelles des guerres balkaniques (1912-1913) et de la première guerre mondiale, dans une Yougoslavie qui naîtra des décombres de 1918. Après bien des tribulations, Jovan sera évacué, avec d'autres jeunes Serbes, vers la France alliée. Sous le prénom francisé de Jean, il deviendra lycéen à Annecy, puis étudiant à Paris en électromécanique, avant de mener, semble-t-il, une vie paisible de traducteur (du serbo-croate, notamment) dans une grande compagnie d’assurances.

Un "passé indécidable"

Tout cela n'explique pas pourquoi ni comment il est tombé sous les balles allemandes rue Monsieur-le-Prince le 11 mars 1943, jour où a été perpétré dans une rue adjacente, un attentat à la grenade contre des soldats allemands. Est-ce lui qui a lancé la grenade ? Appartenait-il à un réseau de résistants sans que son nom ait retenu l'attention des historiens ? Dans son enquête ornée de photos d'archives en noir et blanc, François-Guillaume Lorrain tente de faire émerger d'un "passé indécidable" la figure et la personnalité d'un homme broyé par l'histoire.

Puis l'auteur finit par se rendre compte que “ce n’est plus le franc-tireur immortalisé qu’il traque, mais l’anonyme de l’ombre portée, l’exilé incognito". Décèlera-t-il "un rayon de lumière" dans cette "vie obscure" ? Le livre nous emmène aussi loin que possible dans une destinée “hachée menue par le siècle”, et pose avec brio cette question obsédante : que reste-t-il d’une vie ? Passant qui déambulez dans la rue Monsieur-le-Prince, jetez un regard sur cette inscription dont tous les mystères n'ont pas été élucidés. Elle évoque un homme qui n'a réclamé "la gloire ni les larmes" et se voit projeté, trois quarts de siècle plus tard, au cœur d'un beau récit.

"Vous êtes de la famille ?", de François-Guillaume Lorrain
(Flammarion, 320 pages, 19 euros)

Extrait :

Le réseau. Le piston. Même pour les plaques, il y a des pistonnés ! Une chose est sûre : si Kopitovitch n’a pas sombré dans l’oubli, cela s’est joué à un fil. Cette fragilité me bouleverse. Le destin est une pièce de monnaie qui roule, avant d’hésiter. Côté pile, le néant. Côté face, la postérité".

 

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