"Frantumaglia. L'écriture et ma vie" : à travers ses lettres, l'auteure italienne Elena Ferrante se dévoile
"Je ne crois pas que les livres aient besoin des auteurs, une fois qu’ils sont écrits". Ce sont les mots d’Elena Ferrante, pseudonyme d’une auteure dont personne ne connaît la véritable identité, à son éditrice. Un échange écrit à l’occasion de la publication en Italie de son premier roman "L’amour harcelant" en 1991, publié en France chez Gallimard. A cette époque, l’écrivaine italienne, connue aujourd’hui internationalement pour sa tétralogie "L’amie prodigieuse", a fait un choix qu’elle devra justifier pendant trente ans de carrière : rester anonyme.
Correspondances
"Frantumaglia. L'écriture et ma vie" regroupe près de vingt ans de correspondance entre Elena Ferrante et son éditrice, ainsi qu'avec des journalistes italiens et internationaux. La "frantumaglia" désigne un état de mal-être. C'est une expression napolitaine que l'auteure tient de sa mère, qui l'utilisait "lorsqu'elle éprouvait des impressions contradictoires qui la tiraillaient et la déchiraient." Elena Ferrante utilise ce mot comme synonyme de "fragments de mémoire", il désigne une "partie de nous-mêmes qui échappe à la verbalisation ou à d'autres formes de réduction".On commence avec la période précédant la parution de "L'amie prodigieuse". Denses, ces deux premières parties, "Papiers" et "Cartes", couvrent une période qui s’étend de 1991 à 2007. Les premières lettres remontent aux débuts d'Elena Ferrante dans le monde de la littérature, avec la publication de "L’amour harcelant". Elle y partage son choix de rester anonyme et de se soustraire au travail de promotion de ses livres. La dernière partie, "Lettres", s’étale jusqu’en 2016 et rassemble les interviews où l’auteure parle des quatre tomes de sa saga best-seller.
Des récits personnels
On retrouve dans ces correspondances la plume riche et passionnée d’Elena Ferrante, ainsi que les thèmes abordés par ses œuvres de fiction : les femmes, Naples, la figure de la mère. L’auteure prévient les journalistes : répondre de manière brève à des questions, elle ne sait pas faire. Ces entretiens sont donc l’occasion de productions littéraires à part entière.Ce recueil apporte des éclairages sur la manière dont l’auteure a pensé ses fictions, des "clefs pour la lecture de ses romans", indique l’éditrice italienne Sandra Ozzola. Une bible pour les vrais amateurs de l’œuvre d'Elena Ferrante. Si certains passages peuvent être un peu longs pour ceux qui connaissent moins bien son travail, la lecture n'en reste pas moins riche. Elle se confie sur ses inspirations féministes, son amour pour la littérature et son rapport à ses personnages. Semés, ici et là, quelques récits personnels, qui amènent à connaître un peu mieux cette femme si mystérieuse.
"Un livre est-il avant tout le nom de celui qui l’écrit ?"
A travers ces lettres, l’auteure partage sa passion pour l'écriture et sa vision de l'auteur. Elle explique ce qui a motivé son choix de garder l'anonymat : au début, sa timidité et une volonté de préserver ses proches… Au fil des années, elle évoque cette décision comme un engagement. Pour elle, l'écrivain ne doit pas être un personnage médiatique car le livre doit rester central. Sa médiatisation porterait préjudice à son oeuvre en la relèguant au second plan."Du point de vue médiatique, un livre est-il avant tout le nom de celui qui l’écrit ? Le retentissement de l’auteur ou, pour mieux dire, du personnage d’auteur qui entre en scène grâce aux médias, est-il un support fondamental pour le livre ?" interroge-t-elle dans une lettre destinée à Francesco Erbani, célèbre journaliste italien. Paradoxalement, Elena Ferrante s'efface pour mieux promouvoir ses écrits : "Je tiens à ce que mon livre s'éloigne le plus possible de moi afin qu'il puisse offrir sa vérité romanesque et non les fragments d'autobiographie accidentels qu'il contient."
"Frantumaglia. L'écriture et ma vie", Elena Ferrante
(Gallimard – 464 pages – 23 €)
Extrait :
Désormais l’écriture m’apparaît comme une longue, exténuante et agréable séduction. Les histoires qu’on raconte, les mots qu’on emploie et sur lesquels on travaille, les personnages qu’on tente d’animer ne sont autres que des instruments servant à circonvenir cette chose fuyante, innommée, informe, qui n’appartient qu’à soi et qui constitue toutefois une clef pour toutes les portes, la raison qui explique véritablement pourquoi l’on passe une si grande partie de son existence, assis à une table, à taper sur un clavier d’ordinateur, à remplir des feuillets. La question que pose chaque roman est toujours la même : s’agit-il de l’histoire appropriée pour saisir ce qui gît silencieusement au fond de moi, cette chose vivante, qui, une fois capturée se répand dans toutes les pages et leur donne une âme ?"
"Frantumaglia. L'écriture et ma vie", d'Elena Ferrante
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.