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Rentrée littéraire 2023 : dans "Un monde plus sale que moi" de Capucine Delattre, #MeToo n'est pas un rempart aux violences faites aux femmes

Capucine Delattre a 23 ans. Elle est de la génération post #MeToo, de celles qui se sont crues à l'abri des porcs, des agresseurs, des criminels. Sauf que. Un roman glaçant.
Article rédigé par Juliette Pommier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
L'autrice Capucine Delattre, à Paris en 2023. (Crédits : Pauline Darley)

"La première fois que j'ai fait l'amour, j'avais 17 ans et deux mois, c'était l'automne, et Harvey Weinstein était en une du New York Times." Les premiers mots d'un roman sont décisifs. L'incipit, un art à part entière. Capucine Delattre l'a bien compris. Deux ans après son premier texte, Les Déviantes (2020, Belfond), elle revient en librairies avec le fracassant Un monde plus sale que moi. Portrait au vitriol d'une génération qui pensait pouvoir échapper aux violences faites aux femmes, ce deuxième livre est intelligent, sans concessions, brutal. A découvrir aux éditions La ville brûle.

Après #MeToo, que s'est-il passé ?

Elsa est "une fille de son époque" et découvre "l'amour en même temps que #MeToo". À la fin de l'été 2017, elle rencontre Victor, un étudiant en droit et en économie de quelques années son aîné. Il ne lui plaît pas, elle le trouve même "assez laid", mais il est là et "ça c'est intéressant". Très vite, ils s'échangent des textos, des échanges policés et attendus, mais qu'importe. Elsa existe aux yeux d'un (jeune) homme et ça n'a pas de prix. Ils se mettent en couple et planifient leur premier rapport sexuel. L'épisode est traumatique : froid, mécanique, sans un mot, Victor ne prend pas la peine d'enfiler un préservatif. Trop embarrassée pour parler, Elsa se maudit en silence. La même nuit, un article du New York Times mettant en cause le producteur Harvey Weinstein ébranle l'industrie du cinéma...

Pendant presque un an, Elsa répète à Victor qu'elle l'aime. Il ne lui répond pas. Elle se plie à tous ses désirs, même lorsqu'elle ne le veut pas. Alors que ce que l'on appelle désormais "l'affaire #MeToo" enfle, Elsa se plonge dans la lecture de témoignages de victimes. La jeune femme lit les classiques du féminisme et les enquêtes de la presse. Bien heureuse d'avoir été épargnée... Et puis Victor rompt. Au déni de la violence endurée succède bientôt l'interrogation. Qu'est-il arrivé ?

"J'avais envie d'aimer plus que de l'aimer"

Émaillé de réflexions coups-de-poing, Un monde plus sale que moi brise le mythe d'une ère post #MeToo vidée de ses agresseurs. "La vérité de mon couple avec ce garçon est tout aussi sale que mes mensonges, mais pour des raisons très désagréables, que personne n'a envie de connaître." Capucine Delattre questionne aussi le rapport, détraqué par la violence et l'injonction à la beauté, que les femmes entretiennent avec leur corps. Se détacher de l'idée selon laquelle la valeur d'un être dépendrait de son corps prend du temps. Elsa et toutes les autres en ont fait les frais. "J'étais prête à me satisfaire de n'importe quoi car j'avais envie d'aimer plus que de l'aimer, et Victor m'a choisie parce que je passais par là."

Dans ce récit à la première personne, l'auteure demande : qu'est-ce qu'être une bonne victime ? Elsa en est-elle une ? Elle aussi a pris du plaisir. "Qu'importe que ça n'ait jamais été que quinze minutes perdues dans dix mois de dents serrées." Impossible de se cacher derrière la figure d'un monstre surgit au coin de la rue : "Admettre que Victor était capable de me faire du bien, c'est devoir demander pourquoi il ne l'a pas fait plus souvent. (...) c’est devoir admettre aussi que c'est peut-être en partie parce que je ne lui ai jamais parlé de ce qui n'allait pas." Poser le constat de cette triste banalité, aussi douloureuse soit-elle, est aussi le premier pas vers l'émancipation. Et peut-être aussi vers sa liberté.

Capucine Delattre publie son deuxième roman, "La ville brûle" (2023) aux éditions la ville brûle. (Editions la ville brûle)

Un monde plus sale que moi, Capucine Delattre (éditions La ville brûle - 280 pages - 18 euros)

Extrait :

"- Non...

Ce "non" tout doux, à peine audible, me fait fondre les lèvres, me dessèche la bouche, me fripe la gorge aussitôt. Je voudrais l'assortir d'un "pardon" mais je ne peux pas. Ce "non" a raclé jusqu'à ma dernière fraction d'air. J'ignore d'où il m'est venu, d'où j'ai trouvé la force de le prononcer. Il ne me ressemble pas, je n'ai jamais utilisé ce mot-là. (...) Dire "non" à Victor, c'est tuer tout ce qu'on a, flinguer tout ce que j'ai d'aimable à ses yeux. Comme j'ai dû avoir peur pour que ça s'échappe de moi. Comme j'ai dû le craindre pour commettre ce saccage-là. J'attends un cri, une punition, une fin, quelque chose, mais le silence continue de couler sur moi, et les mains de Victor de me pousser, encore, encore, molle contre le coton. C'est comme si je n'avais rien dit."

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