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"L’Evanouissement de Marie", de Natacha Sadoun : un premier roman qui explore le mystère de l’absence

Marie s’évanouit, et on ne comprend pas tout de suite à quel moment. Dans ce roman écrit pas à pas - de ceux qui s’effacent sur le sable - Natacha Sadoun nous raconte le mystère d’une disparition volontaire, et d'une renaissance à soi.

Article rédigé par Carine Azzopardi, franceinfo Culture
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'écrivaine Natacha Sadoun (@ Eider Nunes)

A la suite d’un accident, Paul, le compagnon de Marie, se retrouve dans le coma. Marie, d’abord perdue, quitte sa vie d’avant, se rendant compte qu’elle ne connaît pas vraiment l’homme avec lequel elle vit pourtant depuis plusieurs années. Un jour, elle tombe sur le journal intime de son compagnon, et malgré l’indécence de son geste, ne peut s’empêcher de le lire. Elle part alors sur les traces d’un secret familial, jusqu’en Italie, qui contrairement à ce qu’elle pensait, ne va pas la rapprocher de Paul, mais d’elle-même. L’Evanouissement de Marie est paru aux éditions Buchet-Chastel le 19 août 2021.

Des émotions enfouies sous la modernité

C'est une sorte de quête qui va se transformer en voyage intiatique, dont on ne connaîtra jamais l'issue. Engoncée dans une vie de métro, de boulot, une vie de couple et d'amitiés forgées au fil des ans, Marie est ce qu'on pourrait appeler une jeune cadre urbaine dynamique chez qui rien ne dépasse. L'accident de Paul va tout remettre en cause de manière radicale. Là où d'autres auraient fait front face à l'adversité, Marie va s'effondrer. Paul, son compagnon, est dans le coma, et c'est comme si elle y était tombée aussi : "Paul avait toujours été une énigme pour Marie ; il lui avait toujours échappé. Il était aujourd'hui transparent et lisible. Marie avait trouvé un moyen de le faire sien, mais l'avait perdu dans cette quête. Ses sentiments étaient aujourd'hui à l'image de ce qu'elle voyait devant elle dans cette chambre d'hôpital : un sujet froid." 

Ce constat posé, Natacha Sadoun nous plonge grâce à son écriture fine et délicate dans les émotions de son personnage, jusque-là enfouies sous des couches de modernité, dans une vie vécue mécaniquement. Une vie que l'on remplit pour ne pas avoir à la vivre. 

Un voyage initiatique

Il y a ce secret de famille qu'elle découvre en lisant le journal intime de Paul, qui l'emmène dans un petit village italien résoudre un mystère. En chemin, Marie rencontre les oeuvres d'art de Florence, et s'éveille à la nature. Des rencontres finales qu'elle fait, on ne saura pas vraiment si le mystère est résolu mais peu importe après tout : seules les étapes intermédiaires ont compté : "L'objet de son voyage, écrit Natacha Sadoun, s'était rapidement effacé devant elle tout entière. Elle était devenue le but, la quête."

Et puis, elle s'évanouit, et Paul se réveille. Pourquoi Marie a-t-elle ainsi disparu ? A son tour de partir en quête. Mais de quoi ? Le mystère cette fois, c'est Paul qui le raconte : "Pourquoi s'être approchée au plus près de moi pour ensuite me quitter et s'effacer ?". Cette gigantesque devinette va obséder Paul pendant toute sa convalescence. Il se met alors en tête de rechercher Marie par tous les moyens possibles. Et l'on devine que cette obsession va constituer son moteur pour retrouver son corps et ses esprits.  

Une renaissance grâce à l'écriture

Dans ce très beau roman, les histoires se superposent en plusieurs couches comme dans un arc-en-ciel, avec les divers points de vue de ses personnages, et l'écriture fictionnelle mise en abîme. Paul va écrire, inventer l'histoire de Marie, et au récit de l'évanouissement succède celui d'une renaissance grâce à l'écriture : "J'ai éprouvé une jouissance infinie à la façonner, à la modeler, à la mouvoir. Elle devenait sous ma plume mienne. J'avais un pouvoir sur elle. Je la dirigeais, la dominais : elle était mon pantin, ma marionnette. La fiction et la réalité se brouillaient au point que la dictinction entre l'une et l'autre n'avait plus aucune importance." Paul va ainsi posséder Marie en mots, avant de pouvoir lui rendre sa liberté. 

Dans son premier récit, Natacha Sadoun, artiste plasticienne, décrit avec beaucoup d'acuité des moments d'intense solitude, de conscience au monde, et les transforme en instants de grâce. 

"L'évanouissement de Marie", de Natacha Sadoun, est publié le 19 août 2021 aux éditions Buchet-Chastel (160 pages, 15€).

Couverture de "L'Evanouissement de Marie", de Natacha Sadoun (Buchet-Chastel)

Extrait : "La fin du roman approchait. Je m'imposais des pauses de plus en plus fréquentes. Je voulais savourer ce temps solitaire que je savais unique et éphémère : celui de la relation exclusive, préservée et jouissive avec les mots, celui des espoirs pas encore anéantis. 
   Je sortis humer l'odeur de l'averse qui venait de s'éloigner. Un voile gris et frais semblait envelopper l'air. Une saison venait de s'achever. On était entré dans l'hiver.
   Je me sentais bien, en harmonie avec les sons, le vent, l'odeur fraîche laissée par la pluie, avec les arbres, les couleurs de l'hiver, les oiseaux, la Seine, les cafés, le bruit des voix à l'approche des cafés, les gens qui passent. Tous mes sens étaient en éveil, en suspens, à l'écoute, à fleur de peau et j'avais d'eux pleine conscience. Dans cet instant même, Marie, ce que j'avais imaginé d'elle, et moi-même ne faisions plus qu'un."

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