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"Le monstre de la mémoire" : Yishaï Sarid aborde la transmission de la Shoah dans un roman désespéré

L'écrivain Yishaï Sarid raconte la lente descente aux enfers d'un historien spécialiste des camps de la mort. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'écrivain Yishaï Sarid (Katarina Ivanisevic)

Sous la forme d’une lettre au président de l’Institut Yad Vashem (l’Institut international de la mémoire sis à Jérusalem), Yishaï Sarid met en scène le récit d’un historien qui tente de transmettre la mémoire de la Shoah. Il y raconte sa perte progressive du contact avec la réalité. Le monstre de la mémoire, d’Yishaï Sarid, traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz, est publié le 5 février 2020 aux éditions Actes Sud.

Au hasard de son parcours, un historien israélien spécialiste de la Shoah et des camps de la mort, se retrouve propulsé guide en Pologne pour des groupes de jeunes Israéliens effectuant un "voyage de la mémoire". L’homme raconte combien il prend ce rôle extrêmement au sérieux, et comment il aborde avec la plus grande rigueur scientifique ses exposés, seule manière de transmettre selon lui. Mais progressivement, ces visites mémorielles, mises en place de manière systématique par l'Etat d'Israël, vont l’atteindre au plus profond de son être, et la rigueur historique à laquelle il s’astreint ne va pas pouvoir le protéger.

Comment transmettre l’indicible ?

L’impuissance face à la Shoah 75 ans après, en vient à se confondre avec son impuissance à transmettre. A force de répéter mécaniquement ces visites, la santé mentale de l’homme se dégrade, des hallucinations se font jour, il croit entendre des voix, se confond avec les victimes. Son comportement, incidemment, dérape, dérange.

Malgré toute la rigueur de sa connaissance encyclopédique, son propre échec face à une transmission impossible, quoique indispensable, sape les fondements de sa personnalité. Il en vient à ne plus voir que l’absurdité de ces mises en scène, au service de la construction d’une mémoire collective israélienne.

La "marche annuelle des vivants", au camp d'Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne, 2 Mai 2019. (OMAR MARQUES / ANADOLU AGENCY)

Israël ou l'impossible récit national

Avocat et écrivain, Yishaï Sarid a déjà publié plusieurs romans qui ont été traduits en français. Conçu comme une missive qui raconte froidement des événements personnels, Le monstre de la mémoire est sans doute le plus intime de ses écrits, tant il tente de mettre de côté toute émotion face au mécanisme implacable de la barbarie humaine, sans y parvenir. L'impossible mise en mots de la mémoire est habilement décrite, avec une sourde colère. 


Extrait : "Avez-vous, ne serait-ce qu’une fois, pris l’avion en pleine nuit avec ces adolescents, avez-vous roulé en car avec eux pendant sept ou huit heures, vous êtes-vous déjà évertué à leur expliquer et leur réexpliquer ce qui s’était passé ici et là, dans les forêts, les ghettos, les camps, avez-vous essayé de pénétrer derrière leurs visages, dans leurs pensées happées par les clignotements des téléphones portables, avez-vous tenté de rendre perceptible la mort, des nombres et des noms, les avez-vous vus vous suivre enveloppés de drapeaux d’Israël, chanter l’Ha Tikva devant les fours crématoires, réciter le kaddish sur le tapis de cendres, allumer des bougies en souvenir des enfants jetés dans les fosses, exécuter toutes sortes de rituels de leur cru et, bien sûr, s’efforcer de verser quelques larmes ?"  

Couverture du livre "Le monstre de la mémoire", d'Yishaï Sarid (Actes Sud)

Le monstre de la mémoire, de Yishaï Sarid, traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz, paru aux éditions Actes Sud le 5 février 2020, 160 pages, 18,50€.

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