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"Dans certains romans noirs romantiques, on trouve des êtres merveilleux, des anges qui n’ont pas de sexe mais qui ont un genre", explique le linguiste François Rastier

Linguiste renommé, spécialiste de la sémantique des textes, François Rastier s’est penché dans son livre "Petite mystique du genre", sur la thématique du genre parce que, dit-il, elle s’est imposée d’elle-même au monde de la recherche. Nous l'avons rencontré.
Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Tableau de Carlos Schwabe, La Mort et le fossoyeur. (© RMN (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi / Patrice Schmidt)

Alors que les fondements scientifiques de la notion de genre sont questionnés, l’auteur a choisi de décaler son point de vue vers les sources ésotériques et astrologiques du genre. Petite mystique du genre, de François Rastier est paru le 15 septembre 2023 aux éditions Intervalles.

Franceinfo : François Rastier, vous publiez un petit livre très érudit sur le genre, pourquoi ce choix ?

François Rastier : Je constate que cette notion est partout dans l’enseignement et dans la recherche, il y a même un Institut du genre. Ce n’est pas à moi de définir le genre, mais c’est mon rôle d’observer le développement de cette thématique et d’essayer de comprendre pourquoi elle se développe. Il y a deux ou trois ans, le président du CNRS avait déclaré que le genre et la race étaient les clefs de lecture du monde social. Cela s’impose donc au monde de la recherche et au monde de l’enseignement, y compris dans les écoles, les collèges et les lycées. Il y a partout des initiations, des cours transversaux – y compris dans le domaine de la physique ou du droit. Ce thème s’est donc tout naturellement imposé à moi.

Qu’est-ce qu’un linguiste peut apporter de neuf comme regard sur le genre ?

Il y a d’abord l’écriture inclusive qui s’est répandue partout, notamment dans la communication syndicale et institutionnelle des universités. Pour un linguiste, cela poste question, car l’écriture et la langue sont deux choses différentes. Une langue peut être écrite dans différentes écritures, cela a été le cas pour le turc par exemple. Par ailleurs, le genre grammatical n’a rien à voir avec le sexe de ce qui est désigné, quand ce qui est désigné a un sexe. Il y a des langues comme le japonais ou le farsi où il n’y a pas de genre. Il n’empêche que l’égalité homme femme en Iran n’est pas ce qui est le plus réputé… Mes interrogations viennent de là : bien entendu, l’égalité homme femme est nécessaire, mais est-ce en inventant des mots qu’on va y arriver ?

La langue peut avoir une valeur performative : dire, c'est parfois faire advenir. Un sacrement, par exemple… C'est la même chose concernant le genre : on est un homme, une femme, ou une personne non binaire parce qu'on le décide, et qu'on dit qu'on l'est. Quel est l’enjeu selon vous ?

On part du principe que le genre serait une identité performative. On décide qu’on a tel ou tel genre, dans une gamme qui est totalement ouverte, indépendamment du sexe biologique. Dans toutes les cultures, vous avez des codifications concernant l’habillement, le langage, entre les femmes et les hommes, c’est banal. Alors pourquoi quelque chose qui paraît évident est-il devenu un objet de recherche ? On peut se dire qu’il y a un enjeu social qui est l’égalité homme femme. Ne pas prononcer le mot "femme", mais celui de "personne" par exemple, concourrait à cette égalité. Mais on en arrive à une revue médicale internationale qui décrit les femmes comme des "corps avec vagin". C’est étrange, de vouloir éviter le mot "femme". Je me suis dit qu’il y avait peut-être derrière cela un lien avec des superstitions traditionnelles comme par exemple celles concernant l’androgynie… On voit ça dans des romans noirs romantiques, dans toute une tradition ésotérique où il y a des êtres merveilleux qui sont des anges qui n’ont pas de sexe mais qui ont un genre.

Justement, vous expliquez que la différence des sexes est attachée au péché original dans le Christiannisme. La plupart des religions estiment que la création du monde vivant résulte de l'union d'un couple divin, comme Isis et Osiris, écrivez-vous... 

Oui, et elles comportent aussi le genre inassignable des anges, aujourd'hui concurrencé par les trans. La mystique du genre déconstruit la théologie, mais il y a aussi une sorte de rédemption, elle permet de retrouver une unité originelle. Pour diverses traditions occultes, l'androgynie est un apanage divin. Le sexe des anges a toujours été non binaire. 

Aujourd’hui, dans la presse féminine on trouve des articles ayant comme titre : "Je suis né dans le mauvais corps." Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Cela veut dire que vous auriez un vrai corps qui est un autre corps. Dans les croyances traditionnelles, on trouve aussi l’idée qu’il existe un sexe astral – finalement, ce serait le genre dont on a une révélation. Ces éléments superstitieux sont intéressants. Ils s’appuient sur l’heure de la naissance, par exemple. D’ailleurs, l’astrologie et d’autres courants non rationnels et non scientifiques sont en plein essor dans nos sociétés.

C’est une notion qui n’est pas scientifique selon vous ?

C’est une vision du monde irrationnelle. La principale théoricienne du genre, Judith Butler, déclare bien qu’il n’y a pas de théorie du genre. Tout simplement parce qu’on n’est pas dans la théorie, on est dans la croyance. Il n’y a pas de démonstration, pas de définition, pas de réfutation possible, et on dira qu’une réalité biologique qui paraît évidente pour tout le monde n’existe pas, que c’est une simple convention sociale, une simple assignation qui a été faite par l’état civil. Ce sera donc une sorte d’oppression de dire que quelqu’un est un homme ou est une femme, indépendamment d’ailleurs de son orientation sexuelle. À la limite, quand le raisonnement est poussé jusqu’à l'extrême, il va contre l’homosexualité, car l’homosexualité garde quelque chose de la différence des sexes.

En quoi les discours d’aujourd’hui autour du genre vous semblent-ils relever du narcissisme de masse ?

Au cours de la vie, on peut s’identifier à différents modèles, spécialement quand on est adolescent. Le problème aujourd’hui, c’est que cela mène à des opérations comme l’ablation des seins, avec des blocages d’hormones. Or les thérapeutes savent que tout cela évolue au cours de la vie. Il y a donc un enjeu de santé publique. Ce phénomène est en hausse régulière et très rapide. À mon avis, c’est la première expérience transhumaniste de masse. Le déni du réel fait partie de la post-vérité. La très forte augmentation des opérations de chirurgie esthétique fait partie de la même problématique. Des individus deviennent des profils, des identités, et on considère que tous les problèmes psychologiques peuvent être résolus par des moyens techniques. C’est le principe même du transhumanisme.

Couverture de "Petite mystique du genre", de François Rastier (@ Editions Intervalles)

"Petite mystique du genre", de François Rastier, paru le 15 septembre 2023 aux éditions Intervalles, 163 pages, 13€.

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