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"L'idée est de tirer l'essence d'un texte, de le simplifier": Kiléma Editions publie des livres accessibles à des personnes présentant un handicap mental

Le "Facile à lire et à comprendre" (FALC) rend la littérature accessible à ceux qui sont empêchés de lire à cause d'un trouble du développement intellectuel. En se spécialisant dans ce format, Kiléma Editions leur propose des œuvres adaptées. Entretien avec sa chargée d'édition, Louise Mailloux.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Les livres en FALC (Facile à lire et à comprendre) publiés chez Kiléma Editions (KILEMA EDITIONS)

Kiléma Editions est une jeune maison qui a célébré son premier anniversaire le 21 décembre dernier. Elle édite des livres accessibles aux personnes présentant des troubles du développement intellectuel. Entretien avec Louise Mailloux, chargée d'édition chez Kiléma Editions

Franceinfo Culture : Kiléma Editions est spécialisée dans ce que l'on appelle le "Facile à lire et à comprendre" (FALC). A quoi cela renvoie-t-il 


Louise Mailloux : C'est un ensemble de règles d’écriture et de mise en page de la langue qui a été développé au niveau européen pour rendre accessible l'information et la communication. Initialement, ce n'est pas pour la littérature. Mais l'idée du FALC est de tirer l'essence d'un texte, de faire des phrases simples avec des structures simples, des mots de vocabulaire plus accessibles pour des personnes qui n'ont pas les mêmes capacités de lire que tout le monde. Le FALC nous permet ainsi de traduire un texte littéraire tant sur le fond que sur la forme. 

Comment est née l'idée de cette maison d'édition ?


L'histoire de la maison est liée à celle de sa directrice, Cécile Arnoult. Elle l'a créée parce qu'elle a constaté, grâce à sa fille qui est porteuse d'une trisomie 21, qu'il existait très peu de livres adaptés pour elle. Elle a donc décidé de mener à bien un projet très ambitieux qui ne concerne pas que la maison d'édition. Il s'agit de la création d'un fonds de dotation pour la culture et le handicap, qui s'appelle aussi Kiléma. Un fond qui a deux gros projets pour l'instant, à savoir la maison d'édition et un futur tiers-lieu qui serait autogéré par des personnes en situation de handicap mental. Il comprendrait une librairie dans laquelle nous n'avions encore rien à mettre. Il fallait donc des livres ! 

Quels sont les handicaps dont il est question, à part la trisomie que vous avez évoquée ?


Il y a aussi des formes d'autisme, les troubles DYS [troubles spécifiques des apprentissages] comme la dyslexie, la dysphasie ou encore les troubles de la mémoire, les troubles cognitifs... 

Comment se présente un texte FALC ?


On le repère grâce au logo qui indique que le texte est validé par le public cible et qu'il correspond aux normes européennes. Les phrases sont simplifiées. La mise en page est plus aérée : l'interlignage est plus grand, le corps du texte est plus grand, du 14 en général. La typographie est sans empattement, c'est-à-dire une typo bâton parce que ça facilite la lecture. Nous avons par ailleurs fait des choix d'éditeur, par exemple mettre le nom des personnages avant qu'ils ne parlent comme au théâtre. Pour la littérature jeunesse, les personnages ont même des couleurs pour permettre de bien les différencier. Quand on prend un livre FALC, il ne fait pas peur. La mise en page n'est pas justifiée, il y a un retour à la ligne comme quand on respire. Le principe quand on créé du FALC est de revenir à la ligne à la respiration, ce qui permet de mieux comprendre ce que l'on lit

Au début, on le découvre en parcourant votre site, le FALC était destiné aux personnes présentant un handicap mental. Comment s'est-il étendu à celles qui avaient des difficultés pour lire ?

Effectivement, le FALC a été créé pour les personnes présentant des troubles du développement intellectuel. Et d'ailleurs, c'est toujours lié à ça puisque pour avoir le logo FALC, il faut que le texte soit validé par une personne en situation de handicap. Mais cette simplification de la langue permet de créer des documents administratifs, par exemple, beaucoup plus simples et compréhensibles. Du coup, c'est ce qui est envoyé aux personnes qui potentiellement sont analphabètes, primo-arrivantes convoquées au tribunal et qui ne connaissent pas la langue française...

Cela s'est confirmé pendant le confinement où beaucoup de gens ne comprenaient pas les dérogations pour sortir. Ils ont fait une version FALC pour tout le monde, pas que pour les personnes présentant des handicaps. Cette prise de conscience concernant le FALC est très récente en France, elle l'est beaucoup moins dans d'autres pays. La lecture facile est beaucoup plus développée en Espagne et en Suède, où on faisait de la lecture facile avant les normes européennes qui ont une quinzaine d'années. La Suède a déjà au moins 1000 titres. En Espagne, il y a des maisons d'édition consacrées 100% à la traduction littéraire en FALC. 

Et en France, votre initiative semble inédite...


Il y a une maison d'édition qui est dans un Etablissement et service d'aide par le travail. Ce qui n'est pas notre cas. Il y a également des maisons d'édition qui ont des collections FALC. En ce qui nous concerne, nous ne faisons que cela, ce qui est inédit. Tout comme le fait que nous ayons intégré des personnes en situation de handicap dans notre équipe, à savoir deux relectrices pour valider les textes. Contrairement à ce qui se fait souvent : les gens confient la relecture à des groupes de travail dans des établissements spécialisés pour valider le FALC. L'intégration et l'inclusion dans la société passent, certes, par l'accessibilité des livres mais aussi par l'emploi. C'est l'un des gros défis du fonds de dotation et de Kiléma Editions de pouvoir employer des personnes concernées par notre production.

Comment travaillent vos relectrices ?


Etre personne handicapée employée implique des aménagements. Elles sont soutenues par une coordinatrice qui les aide à bien tout comprendre. Nous avons fait le choix d'avoir des traducteurs littéraires pour la première partie du processus de traduction parce qu'il faut pouvoir lire le texte original et en comprendre les subtilités. En revanche, la version traduite est relue et beaucoup corrigée. En général, ça prend une à deux semaines pour relire un texte, voire plus s'il est long. Nos relectrices corrigent tous les mots qu'elles ne comprennent pas ou elles demandent des définitions, elles indiquent les passages où elles se perdent... Tous leurs commentaires sont pris en compte et on réécrit en fonction de cela.

Combien de livres ont été publiés ?


Nous avons déjà publié trois livres, dans les collections existantes. Nous avons une collection pour les adultes : on oublie trop souvent que les personnes porteuses de handicap ou qui ont des difficultés de lecture ont besoin de livres à leurs centres d'intérêts. L'Etranger d'Albert Camus a été publié dans cette collection. Nous avons une collection pour ados dont le premier titre sortira en mars. Une autre dédiée au théâtre : nous avons publié Le Médecin malgré lui de Molière et le deuxième livre sera Roméo et Juliette, sortie prévue en mars également. Enfin, nous avons une collection Jeunesse, à partir de 8–9 ans. Elle compte déjà un livre, L'Ile au trésor. La prochaine sortie dans cette collection, Les Malheurs de Sophie, est prévue pour le 26 janvier.  

Comment choisissez-vous les titres qui vont être traduits ?


Notre idée est d'inclure la population empêchée de lire dans la culture commune. Nos choix se portent par conséquent sur des livres connus par tous ou que tout le monde a dans son imaginaire. L'idée, encore une fois, est d'inclure les gens. Et pour cela, il faut qu'ils puissent parler des mêmes choses et avoir lu les mêmes choses. Nous faisons nos choix dans cette culture commune qui est assez large.

Aujourd'hui, nous disposons d'un comité éditorial qui comprend une professeure documentaliste, une enseignante du dispositif ULIS (Unités localisées pour l'inclusion scolaire) – à savoir les classes adaptées dans les établissements pour les personnes porteuses de handicaps –, une orthophoniste, une journaliste, Cécile Arnoult et moi. L'objectif étant de mettre en lumière tous les titres qui ont besoin d'être traduits en priorité, notamment parce que l'école le demande car nous souhaitons apporter du contenu aux professeurs qui n'ont pas le temps de traduire les œuvres pour leurs élèves en difficulté. Nous espérons produire 20 livres par an. Trois ou quatre sont définis par collection, avec des solutions de secours s'il y en a qu'on n'arrive pas à faire dans les temps. C'est un travail de longue haleine.  

Combien de temps faut-il pour éditer un livre en FALC ?


Nous estimons que c'est une traduction littéraire. Le volet traduction pure va prendre entre deux et trois mois. Mais après, il y a beaucoup de travail sur le texte et il y a la relecture par le public cible, à savoir nos deux employées. Il faut compter entre six et huit mois pour éditer un livre. 

Quid des œuvres plus longues pour lesquelles il semble difficile de faire des versions simplifiées ?


C'est effectivement compliqué. Nous avons ce débat parce que nous essayons de choisir,  pour l'instant, des textes relativement courts. Ce qui ne nous empêchera pas de faire des œuvres longues plus tard, mais on les divisera en plusieurs tomes. On travaille sur un Zola et on va le diviser en deux ou trois tomes a priori.

La méthode existe depuis une quinzaine d'années mais elle demeure méconnue...


Y compris dans le monde du handicap, il y a beaucoup de gens qui ne savent effectivement pas que le FALC existe. Cécile Arnoult, qui fait partie du public concerné, l'a découvert il y a environ quatre ans en assistant à des conférences. Elle l'a trouvée révolutionnaire parce qu'elle faisait déjà ça en lisant les livres à voix haute à sa fille. Faire la lecture à voix haute adaptée, l'interprétation de textes, constituent un exercice très difficile. Il n'y a pas de communication sur cette méthode.

Néanmoins, le FALC commence à être connu par les bibliothèques et médiathèques parce qu'il y a cette grande problématique de la mise en place des rayons accessibles. Elle renvoie au fait de consacrer ou pas une partie de la librairie aux personnes qui ont des difficultés de lecture. Elles connaissent le Facile à lire (FAL) –  sont estampillés FAL par les bibliothèques des livres qui existent déjà et qui sont plus accessibles que d'autres –, mais pas forcément le FALC. Et elles souhaiteraient le développer mais ne savent pas que des éditeurs spécialisés existent, nous en tout cas.

Cette problématique du rayon accessible constitue une vraie question de société parce qu'elle est complexe. Est-ce que l'on fait un rayon visible où les gens peuvent aller chercher un livre qui leur convient ou est-ce que c'est stigmatisant ? Chez Kiléma Editions, nous avons voulu faire des beaux livres pour ne pas créer ce stigmate. Le fait qu'ils soit adaptés n'est pas perceptible de prime abord. C'est seulement à la vue du logo et de la mise en page qu'on comprend que les ouvrages sont plus simples à lire.

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