"Réparer le langage, je peux" : l'association qui accompagne des jeunes "éloignés du livre" dans l'aventure de l'écriture collective

Pour faire tomber les barrières, qui n'ont d'ailleurs pas lieu d'être, "Réparer le langage, je peux" propose des ateliers d'écriture de romans collectifs à des classes en région parisienne et toulousaine. Rencontre avec ses initiateurs, Sandrine Vermot-Desroches et Alain Absire.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Des romans collectifs écrits dans le cadre des ateliers pilotés par l'association "Réparer le langage, je peux" dans des classes en régions toulousaine et parisienne. (REPARER LE LANGAGE JE PEUX)

Depuis 2015, l’association "Réparer le langage, je peux" donne naissance à des jeunes auteurs grâce à l’aventure de l’écriture de romans collectifs, du collège au lycée, et même au-delà. Sandrine Vermot-Desroches et Alain Absire, respectivement directrice et président de l’association, en sont les cofondateurs. "C’est une mission pour nous", affirment les deux auteurs. Professeur de lettres au collège pendant près de trois décennies, Sandrine Vermot-Desroches dirige aujourd'hui un master Métiers du livre Jeunesse à l'Institut catholique de Toulouse et elle a récemment publié L’édition jeunesse aujourd’hui. Le personnage dans le roman adolescent (L’Harmattan, 2022). Prix Fémina 1987, Alain Absire est, quant à lui, l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages.

Leur association est née d’une expérience menée par Sandrine Vermot-Desroches alors qu’elle enseignait. Avec Alain Absire, ils ont conçu un dispositif "unique" qui est à l’origine de 19 recueils illustrés imaginés et écrits par "plus de 4 500 jeunes de 11 à 20 ans, des régions parisienne et toulousaine". Les romans sont disponibles en librairie et peuvent être commandés. L’association "Réparer le langage, je peux" permet, aujourd'hui, à quelque 500 élèves d'écrire durant l'année scolaire et elle espère en faire lire autant désormais. Entretien avec Sandrine Vermot-Desroches et Alain Absire. 

Franceinfo Culture : Comment est née l'idée de ce concept d'écriture collective que vous proposez dans des collèges et lycées notamment à des jeunes "éloignés du livre et de la lecture" comme vous dites ? 
Sandrine Vermot-Desroches : Quelle action mettre en place pour des jeunes en difficulté face à l'écriture ? C'est l'idée. Le déclencheur a été le Bataclan [l'attentat terroriste du 13 novembre 2015]. Cela a été un choc évidemment pour tout le monde. Nous étions à Paris ce soir-là. C’est Alain Bentolila [linguiste français], qui dit que bien maîtriser le langage, c'est poser aussi des mots sur le monde et c'est le comprendre. Le langage, ce n’est pas seulement le fait de savoir bien parler, de bien écrire mais c'est aussi avoir des concepts, c’est comprendre, utiliser le bon vocabulaire. Le danger, ce sont les amalgames : un mot utilisé pour un autre, un concept pour un autre et le glissement se fait et on ne se comprend pas. C’est pour cela que notre action est autour de l'écriture mais pas seulement. Nous souhaitons toutes nos actions collectives et jamais individuelles parce qu’il y a ce travail du vivre ensemble, du penser ensemble, du construire ensemble, qui je pense sont capitales pour nos sociétés à venir. Dans une société où l'on s'exprime, par exemple avec les réseaux sociaux, de manière narcissique, c'est fondamental de produire une littérature où l’on entend la voix de chacun d’une façon constructive.

Chacun s'exprimant tout en écoutant l'autre...

Sandrine Vermot-Desroches : Effectivement, on apprend à se parler, à écouter les idées des autres pour un bien commun qui est l'œuvre. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs, qu’à Toulouse depuis le début, on est très suivis et c'est vraiment très particulier à la Haute-Garonne, par le parcours laïc citoyen parce que notre projet l’est aussi. Dans la mesure où tout le monde est citoyen et parce qu’en écrivant, on aborde des questions qui touchent les jeunes mais aussi la société. On parle de harcèlement mais quand on est dans une dynamique de projet, on repère tout de suite les problèmes et on peut chercher à les résoudre. Quand il y a un groupe qui travaille, en plus assez longtemps, cela évite toutes les cristallisations que l’on peut avoir dans une classe.

Ce projet a été également mis en place pour l'estime de soi, et véritablement cela fonctionne. On se rend compte que vont prendre la parole des jeunes, qui parfois, se taisent en classe parce que l'atelier est un autre territoire. En outre, quand des adultes et des jeunes forment un groupe pour créer ensemble, personne ne se positionne en sachant. Cela change tout parce qu’il y a ce partage, ce plaisir d'imaginer ensemble. On ne sait pas qui a écrit quoi mais c'est ensemble que l'on a construit et une œuvre, ce n'est pas rien.

Pourquoi intervenez-vous, entre autres, dans des lycées professionnels ?
Sandrine Vermot-Desroches : Le lycée professionnel est un endroit où l’on a besoin du livre, de l’écriture, de la lecture. Souvent, nous avons des jeunes qui arrivent – certains ont vraiment choisi ces voies-là –, qui sont en rupture avec la lecture, qui en ont une représentation négative ou qui n’arrivent pas à lire. C’est vrai que les inviter dans cette écriture ensemble, à entrer dans un imaginaire, c’est les amener à se réconcilier avec le livre, avec la lecture mais aussi avec l'école, l'institution et avec les adultes finalement. Une autre relation s’établit grâce à l'écriture et à la création. L’objectif étant qu’ils soient auteurs du début à la fin. Ils sont accompagnés évidemment par des professionnels du livre et de l'éducation. Ensuite, dans un salon, ils prennent la parole – c'est leur salon parce que ce sont les auteurs qui sont interrogés–, ils présentent leurs livres et les signent. Cette action est proposée à des élèves en difficulté, à des quartiers prioritaires de la ville – à Toulouse on travaille beaucoup au Mirail – et en même temps, vous avez des établissements plus cotés qui participent à notre activité. Ce qui est formidable, c’est qu’il n’y a pas de stigmatisation. Il y a cette mixité, qui est extrêmement importante.

Sandrine Vermot-Desroches et Alain Absire sont les co-fondateurs de l'association "Réparer le langage, je peux". (REPARER LE LANGAGE JE PEUX)

Comment s’organise le travail entre l'association, l'équipe pédagogique et l'auteur qui va animer les ateliers d’écriture ?
Alain Absire : Cette année, il y 18 classes parrainées par 16 auteurs qui ont l'habitude des ateliers d’écriture. Les établissements qui participent sont volontaires. Ce sont les enseignants qui nous contactent en général, notamment par le biais du Pass culture. Nous avons ainsi affaire à des professeurs de lettres, des professeurs documentalistes ou autres qui sont très motivés. Nous faisons plusieurs réunions : une dès le démarrage en septembre, une autre en janvier pour faire le point sur toute la première étape de l'écriture, qui consiste à créer les personnages et à écrire le scénario. Et à la fin, il y a le salon où tout le monde se retrouve.

Sandrine Vermot-Desroches : A la première réunion, il y a vraiment un calendrier qui est établi. La base étant vraiment d'écrire le scénario. La feuille de route est importante. De façon générale, on se rend compte fin décembre que le scénario est fini. Début janvier, on écrit ou on a commencé le premier chapitre fin décembre. Nos professeurs renseignent, en décembre, un bilan de mi-parcours où l’on retrouve notamment le scénario, les personnages et ils évaluent l’action. Quand on se retrouve en janvier, nous partageons tous ensemble, auteurs et professeurs, tout ce que nous avons écrit et tout ce que nous avons rencontré comme difficultés ou les astuces découvertes pour les contourner. Il y a aussi des apports pédagogiques : nous avons coécrit, Alain et moi, un livre, Vers une littérature ado écrite par des ados qui contient des fiches. Et chaque année, nous faisons au moins un atelier. C’est important parce que cela nous permet de savoir comment ça fonctionne.

Vous avez lancé une nouvelle activité cette année ?
Alain Absire : Oui, un concours de lecture. Dans notre catalogue, nous avons 102 romans déjà publiés. C’est parmi ces romans-là que les jeunes, avec leurs enseignants, choisissent en fonction de fiches qui leur sont envoyées (comportant le résumé, les personnages, des questions qu’ils pourraient se poser) le texte qu’ils ont envie de lire et dont ils veulent parler. De fin novembre à début février, ils vont écrire une sorte de critique tous ensemble avec un écrivain, qui va passer une demi-journée avec eux. Ils vont donc produire une fiche de lecture sur ces romans écrits par des jeunes comme eux, pour eux. Un jury, rassemblant des professionnels du livre et de l’éducation, se réunira pour en choisir quatre : deux sur la région parisienne et deux sur la région toulousaine. Les classes qui ont été choisies pour la pertinence de leur fiche de lecture seront invitées à nos deux salons du livre en juin, à Paris et à Toulouse. Ils auront alors carte blanche pour venir défendre leur choix. Nous allons ainsi de l'écriture à la lecture et, entre les deux, il y a la publication de livres que l'on trouve en librairie puisque nous sommes éditeurs.

Que retenez-vous de cette expérience qui dure depuis près d'une décennie ?
Sandrine Vermot-Desroches : J'utiliserai le terme transformation. Une thèse a été écrite à partir de l’observation d'une cohorte de jeunes qui ont participé à cette action. C'est celle de la sociologue de la lecture, Mariangela Roselli, professeur à l'Université Jean Jaurès. Dans cette étude qui est devenue un livre, Ecrire à plusieurs et transformer le rapport à l’écrit, elle montre la transformation par rapport à l'écrit, la transformation par rapport à la lecture et surtout par rapport à l'autre et à soi-même. Ce qui me semble important dans la vie, c'est l'alchimie, même si elle ne se révèle pas de façon immédiate. On le sait quand on est dans l'éducation, il ne faut pas se leurrer : tout n'est pas une réussite. Mais, de façon générale, on observe une transformation. Dans les lycées professionnels, par exemple, on remarque que les élèves qui ont participé à cette activité continuent en BTS. Nous constatons que cela les fait grandir, leur donne cette estime d’eux-mêmes, qui fait que l'activité est porteuse de transformation.

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