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"Je me battrai pour mon droit à revenir" : Taslima Nasreen, 26 ans d'exil pour échapper aux fondamentalistes musulmans au Bangladesh

Exilée depuis 1994, l'écrivaine bangladaise s'est réfugiée en Inde il y a neuf ans. Elle craint la montée en puissance des fondamentalistes musulmans qui l'ont condamnée.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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L'écrivaine Taslima Nasreen lors d'une interview à New Dehli (Inde) en 2016. (INDIA TODAY/SIPA / THE INDIA TODAY GROUP)

En exil depuis plus d'un quart de siècle, l'écrivaine bangladaise Taslima Nasreen sait qu'elle pourrait bien ne jamais rentrer dans son pays et estime que les fondamentalistes musulmans qui l'ont condamnée à mort sont plus actifs que jamais au Bangladesh et à travers le monde.

L'inquiétante montée en puissance des fondamentalistes

"Dans tous les pays musulmans, les organisations fondamentalistes gagnent en puissance, qu'il s'agisse d'Al-Shabaab, d'Al-Qaïda ou de Boko Haram", souligne à l'AFP l'auteure de Lajja ("Honte" en bengali), âgée de 58 ans et exilée depuis 1994, lors d'un entretien chez elle à New Delhi où elle vit depuis 2011. "Même quand on regarde l'Europe, beaucoup de fondamentalistes islamistes réclament la charia (loi islamique, ndlr) au nom du multiculturalisme."

La France, qui rendait hommage ce vendredi 13 novembre aux 130 morts et 350 blessés des attentats jihadistes d'il y a cinq ans, les pires commis sur son sol, vient d'être frappée comme l'Autriche par des attentats islamistes qui ont fait huit morts au total. L'entretien a été réalisé avant ces nouveaux attentats.

Des commentaires du président français Emmanuel Macron défendant la caricature au nom de la liberté d'expression après l'assassinat le 16 octobre d'un enseignant, Samuel Paty, ayant montré en cours des caricatures du prophète Mahomet, ont suscité des manifestations dans le monde musulman notamment au Bangladesh à l'appel de partis islamistes. L'islam dans son interprétation stricte interdit toute représentation de Mahomet.

"Quiconque se montre critique est tué ou mis en prison"

Athée revendiquée, Taslima Nasreen a dû fuir en août 1994 le Bangladesh après la publication l'année précédente de Lajja, son roman culte qui décrit les violences contre des hindous au Bangladesh après le sac de la mosquée indienne d'Ayodhya en 1992. Visée par une "fatwa" (décret religieux) d'un groupe islamiste local la condamnant à mort, elle a vécu depuis entre l'Europe, les États-Unis et l'Inde.

Taslima Nasreen honorée en 2008 du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, remis par la ministre Rama Yade. (LYDIE/SIPA)

Mais l'exil n'est pas un long fleuve tranquille : en 2007, des manifestations islamistes la chassent de Calcutta où elle s'était momentanément installée. Célébrée en Occident comme un symbole de la lutte contre l'oppression des femmes et l'obscurantisme, Taslima Nasreen, avec sa personnalité clivante, est autant saluée que détestée dans le sous-continent indien.

Pour elle, les fondamentalistes religieux ont transformé le Bangladesh, et désormais, d'autres pays naguère modérés sont en danger de connaître un bouleversement sociétal similaire. Elle cite la Turquie qui s'éloigne de sa laïcité. "Quiconque se montre critique des dogmes islamiques est tué ou mis en prison", assure-t-elle.

Engagée contre le voile intégral

Même l'Inde, qui l'accueille, voit monter l'intolérance religieuse sur fond de poussée du nationalisme hindou selon des analystes. "L'Inde était plus libérale avant. J'aimais l'Inde pour cela. Mais ça a changé (...) à présent, c'est assez difficile, la critique n'est pas tolérée facilement", estime-t-elle. "On peut aisément se faire troller" (harceler sur les réseaux sociaux). "Mais tout le monde n'est pas extrémiste. Si ça allait si mal en Inde, je n'aurais pas pu vivre ici."

Née dans une famille musulmane, Taslima s'est fait connaître dans les années 1980 avec une série d'articles condamnant l'oppression religieuse et sexuelle des femmes dans certains pays d'Asie.

Elle s'était attirée la colère des fondamentalistes bangladais dès sa décision d'abandonner l'habit traditionnel, et avait soutenu la loi française d'octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. "Je suis d'accord avec l'interdiction. Les voiles recouvrant le visage sont très dangereux. On a besoin de savoir à côté de qui on est assis, cela peut être un meurtrier."

Militante contre la culture du viol

Cette féministe, gynécologue de formation, milite contre la culture du viol depuis bien avant #Metoo : "Les hommes doivent comprendre que le viol n'a rien à voir avec les relations sexuelles", dit-elle en se souvenant de sa propre agression par un poète célèbre qu'elle croyait son ami. Les défenseurs des droits de l'homme dénoncent régulièrement la fréquence des violences sexuelles contre les femmes et leur insuffisante répression au Bangladesh, au Pakistan et en Inde.

Auteure multi-primée de plus de quarante ouvrages traduits en une trentaine de langues, elle a été saluée dans les médias après la réédition en mars de ses mémoires en anglais sous le titre My Girlhood.

L'écrivaine, qui détient un passeport suédois, sait qu'elle pourrait bien ne jamais retourner dans son pays de naissance. "J'ai supplié et supplié quand mon père était sur son lit de mort (en 2002) mais ils ne m'ont pas autorisée à le voir une dernière fois. Cela fait 26 ans qu'ils m'empêchent illégalement de revenir dans mon propre pays."

"Le gouvernement actuel (au Bangladesh) protège des organisations islamistes fanatiques", insiste-t-elle. "Les gens des mosquées et des madrasas sont devenus si puissants, ils me tueront mais je me battrai pour mon droit à revenir tant que je suis vivante."

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