Harper Lee tue le père
C’est l’histoire d’un livre sorti bien après le premier, écrit avant, mais qui dans l’histoire du roman se passe après.
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur est un morceau de la conscience des Etats-Unis, le livre qu’on fait lire dans les écoles pour faire de bons américains. Prix Pulitzer en 1961, adapté au cinéma avec Gregory Peck dans le rôle d'Atticus Finch, avocat à la droiture inflexible, qui défend dans les années trente, un noir injustement accusé d'avoir violé une femme blanche, dans le sud des Etats-Unis.
Ce qu'on apprend avec cet inédit, c'est que le premier manuscrit qu' Harper Lee présente en 1957 n'est pas l'oiseau moqueur, mais Va et poste une sentinelle . Mêmes personnages, même contexte, mais 30 ans plus tard. L'éditeur lui demande de resituer son histoire, de privilégier le point de vue de la jeune femme Jean Louise Finch, fille de l’avocat, quand elle était enfant et que tout le monde appelait ce sautillant garçon manqué "Scout" Finch. Harper Lee s'exécute et développe l’épisode du procès, qui n'est que mentionné dans le premier texte.
Un inédit qui divise
Le texte miraculeusement retrouvé un demi-siècle plus tard est beaucoup moins consensuel que le best-seller. Jean Louise vit à New York, elle retourne régulièrement dans son Alabama natal, où son père qui l’a élevée seul, Atticus Finch, a désormais 72 ans. Sa fille découvre horrifiée qu'il a assisté à des réunions du Ku Klux Klan, qu'il croit à la théorie des races, même s'il a par le passé défendu un noir.
C’est un personnage beaucoup plus complexe que le chevalier blanc incarné par Grégory Peck à l’écran. Harper Lee dépeint une société américaine déchirée, dans laquelle Jean Louise Finch perd ses repères, fait l’apprentissage de la vie et "tue" le père pour enfin se libérer de cette figure tant admirée.
Aux Etats-Unis la sortie de cet inédit divise : certains accusent l’éditeur d’avoir abusé de l’auteur, très âgée mais Harper Lee a donné son accord en toute conscience. Le plus frappant c’est la force actuelle de Va et poste une sentinelle . Alors que la question des rapports entre blancs et noirs en Amérique est toujours brûlante, que resurgit le nauséabond débat sur les races, ce texte écrit il y a plus de 50 ans n’a pas pris une ride. Remarquablement écrit, haletant, un immense roman de la littérature américaine, sans concession.
Va et poste une sentinelle, d'Harper Lee, est publié chez Grasset.
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