“D’un cheval l’autre” : Bartabas se dévoile dans un récit autobiographique poétique et solaire
Connu pour ses chorégraphies équestres dans le monde entier, le génial écuyer rend magnifiquement hommage aux compagnons de sa vie.
Le fondateur du théâtre équestre Zingaro, célèbre dans le monde entier pour ses chorégraphies mettant en scène des chevaux, couche pour la première fois les compagnons de sa vie sur papier, dans un hommage intime. D’un cheval l’autre, de Bartabas, est paru aux éditions Gallimard le 6 février 2020.
Tout commence et se termine avec Zingaro (tsigane, en espagnol), le nom du premier cheval acheté par le jeune Clément Marty, à 19 ans, en Belgique. Zingaro révèlera l’homme qui s’appellera désormais Bartabas, et il donnera son nom à la troupe. Il apprendra tout à son maître, et en premier lieu à mêler animalité et humanité, le mélange qui constitue l’essence de Bartabas, l’homme-centaure.
Déclaration d'amour
Mois après mois, tout au long de sa vie, Bartabas constitue son écurie. Il accorde les chevaux désaccordés, tel un luthier doublé d’un chef d’orchestre qui a d’emblée compris l’essentiel : “Il est présomptueux, écrit-il, de croire que les chevaux sont nés pour les hommes, et vain de chercher celui que l’on voudrait parfait. Il me faudra toujours les accepter tels qu’ils sont, m’appliquer à faire éclore les trésors qu’ils recèlent et parfois même célébrer leurs défauts. Cette philosophie guidera désormais mon approche des chevaux... et des hommes.”
Son écurie se complète patiemment, par des virées à travers toute l’Europe. De retour au Fort d’Aubervilliers, qui sera le QG de la troupe, Bartabas écoute ses chevaux, communie en silence avec eux. Insomniaque, la nuit il lit de la littérature équestre - lui le timide trouve ainsi le moyen d’apprendre sans avoir à demander - et le jour il part à l’aventure du dressage, “une quête austère qui ne se partage pas”.
Au fil des ans, Bartabas et ses compagnons réinventent des pas qui n’existent plus que dans les livres, tel le fameux galop arrière qui fera la renommée de Zingaro. Homme qui se dit de peu de mots, il les enchaîne avec grâce sur le papier, décrivant ce pas nouveau : “Au galop il s’avance et dans un même élan, sur place et en arrière, au galop se retire, laissant devant lui la musique de ses pas.” Une écriture qui respire le panache des anciens chevaliers et de l’amour courtois. Ses chevaux sont ses amants, son livre une immense déclaration d’amour à chacun d’entre eux, comme par exemple à Félix : “Félin de mes noirs désirs, tu es sorti de mes entrailles et tu m’as fait danser. L’esprit ne peut posséder l’animal qui est en nous, tout au plus peut-il l’apprivoiser, le révéler.”
Avec les mots, honorer l'animal
A près de 63 ans, Bartabas se sent vieillir sereinement, et voulait “dire” ses chevaux, “pour que le temps n’avale pas leurs noms”. C’est chose faite, dans un hymne lyrique à la fusion de l’animalité, de la nature, la poésie et la musique. Musique de la nature que l’homme perçoit. Musique des mots, que l’homme renvoie : “Les mots, les vrais, ceux qui s’écrivent, doivent avoir de la noblesse, et sur les lèvres par leur sonorité honorer l’animal.”
Poésie, humour, peinture jalonnent ces pages où les chevaux racontent autant l’homme qu’il ne les raconte, comme lorsque Bartabas nomme ce nouvel animal qui visiblement souffre d’une infirmité Lautrec, en espérant que “de ce désastre surgisse la beauté”... Et d'ajouter, aveu de grand timide : "Avec les hommes j’ai toujours l’impression d’apparaître déguisé. Seuls les chevaux me voient tel que je suis.”
Bartabas le barbare nous fait voyager dans l’histoire intime de Zingaro et de ses pensionnaires, un ouvrage qui se lit en rêvant de liberté, tel un vent sauvage qui nous berce vers les origines de la création.
"D’un cheval l’autre", de Bartabas, paru aux éditions Gallimard le 6 février 2020, 317 pages, 20€ (14,99€ en format numérique).
Extrait : “Il est parti... Encore un, parti... Ils sont tous partis, comme on s’endort, sans peur... Et moi je reste. Encore un peu et je m’en irai, et la mémoire avec. Allez ! Il faut dire... Les dire... Tous. Les dire pour que le temps n’avale pas leurs noms, en découdre avec ma mémoire, réveiller ce champ de bataille, ce charnier que les jours absorbent. Je dois les faire revenir en moi, revivre seul à seul, pas à pas, ce que nous avons vécu, pour qu’ils se dressent à nouveau, qu’ils dansent encore un peu. Un carrousel de morts-vivants... Le dernier tour de piste. Musique, lumière !”
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