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Deux spécialistes de Proust ont découvert l'amoureux américain du romancier qui aurait inspiré Swann

D'origine américaine, Willie Heath, ami très proche voire amant de Marcel Proust, pourrait avoir inspiré le célèbre personnage de Swann. 

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
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Marcel Proust, photographié en 1895, collection privée.  (LEEMAGE VIA AFP)

Quand deux spécialistes de Marcel Proust se sont penchés sur le cas de Willie Heath, ami méconnu du romancier, ils ont découvert qu'il était américain, et non anglais. Et qu'il avait vraisemblablement inspiré le personnage de Swann.

Le nom parlait aux meilleurs connaisseurs. Il occupe une place de choix : c'est le premier cité dans toute l'œuvre de l'écrivain. La dédicace du premier livre de Proust, Les Plaisirs et les Jours, paru en 1896 commence par : "A mon ami Willie Heath / Mort à Paris le 3 octobre 1893".

Le travail parallèle de deux chercheurs

Le hasard a voulu que deux proustiens retracent en même temps, et sans le savoir, la vie de cet oublié des lettres. D'un côté Thierry Laget, écrivain, auteur de Proust, prix Goncourt (2019), qui travaille sur un nouvel ouvrage consacré au romancier. De l'autre Pyra Wise, ingénieure d'études au CNRS, membre de l'équipe de recherches sur Proust.

"J'étais très étonnée de constater qu'on en savait si peu sur Willie Heath, comme sur d'autres camarades de Proust, alors qu'il me semblait un personnage important", explique cette dernière. Tous deux établissent d'abord l'état civil de ce jeune Parisien, et découvrent que le nom de naissance de sa mère est Elisabeth Bond Swan.

"Swan, comme Swann... Aussi bien Pyra que moi, quand on l'a compris, on a sauté au plafond !", raconte à l'AFP Thierry Laget, qui a mené ces recherches depuis son domicile de Montréal (Canada).

Un ami de fiction, mais bien réel

Charles Swann est un personnage central du cycle romanesque A la recherche du temps perdu. Le premier volume, Du côté de chez Swann, tire son nom de ce mondain parisien élégant, qui fascine le narrateur, Marcel.

Aucun rapprochement n'avait jamais été fait entre Heath et Swann. Certains pensaient que Heath n'avait même pas existé, que Proust avait inventé un ami de fiction au destin émouvant dans le seul but d'écrire une belle dédicace. Beaucoup se contentaient de ce qu'en avait dit un autre ami de Proust, Pierre Lavallée : Willie était un "jeune Anglais" croisé chez une connaissance commune, l'abbé Vignot.

Faux : Heath était Américain, né dans le Queens (New York) en 1869, deux ans avant Proust. Mort d'une entérite à seulement 24 ans, il est enterré à Brooklyn. Toutes ces découvertes ont été exposées par Thierry Laget dans un article début mars sur le site internet Proustonomics. C'est là que Pyra Wise a appris qu'un autre avait tiré, exactement comme elle, des conclusions qu'elle attendait de rendre publiques. L'article, désormais cosigné, a été amendé le 22 mars.

Exil doré 

"Les personnages de la Recherche viennent de sources multiples, et contiennent toujours un peu de Marcel lui-même. Proust s'est exprimé sur le sujet : il n'aimait pas qu'on dise que le baron de Charlus, c'était Robert de Montesquiou. Cet élément de biographie ne révolutionne pas la compréhension de l'oeuvre, mais ajoute une couche de connaissance, d'ambiance", souligne la chercheuse.

La brève existence de Willie Heath fut marquée par un exil doré à deux pas des Champs-Elysées, dû aux démêlés avec la justice américaine de son père William. Ce magnat de la finance impliqué dans le scandale d'une manipulation du marché de l'or en 1869 mourut déshonoré, mais sauva sa femme et ses enfants de la ruine.

Reste un mystère : Proust et lui ne furent-ils qu'amis, ou amants ? D'après Thierry Laget, "Willie Heath gravitait dans le même milieu de Proust à cette époque, celui de la haute finance et des amis des arts. Aller tous les jours au Louvre faisait partie de leurs activités sociales. C'était donc un ami de jeunesse lié à lui par la culture, et peut-être un peu plus que cela : mais ça, on ne peut pas savoir".

"Je pense qu'il est plus que cela, sinon Proust ne lui aurait pas dédié son premier livre avec des mots aussi tendres. On sait aussi qu'il a gardé sa photo très près de lui. Ce sont des signes d'une longue fidélité à, osons le dire, un amour de jeunesse", estime l'écrivain.

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