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Celui qui incarna Emile Ajar alias Romain Gary, Paul Pavlowitch, toujours pas en paix avec cette supercherie 40 ans après les faits

Agé aujourd'hui de 80 ans, Paul Pavlowitch, qui avait incarné cet alias secret de l'écrivain Romain Gary, prend la plume pour raconter ses souvenirs, dans "Tous immortels", qui parait ces jours-ci chez Buchet-Chastel.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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L'écrivain et éditeur Paul Pavlowitch pose avec un masque du romacier romain Gary, lors d'une séance photo le 1er février 2023 à Paris (France). (JOEL SAGET / AFP)

Ce fut la plus grande supercherie littéraire du XXe siècle. L'écrivain Romain Gary, prix Goncourt pour Les Racines du ciel en 1956, ayant perdu l'intérêt de la critique, décide dans les années 70 de repartir à zéro sans subir le poids de sa réputation, en publiant ses livres sous un pseudo, Emile Ajar.

Pour parfaire sa mystification, il demande à Paul Pavlowitch, qu'il présentait comme son neveu (et qui était en réalité son petit-cousin) d'incarner cet écrivain. Celui accepte "de lui servir de bouclier et bouc-émissaire à la critique et aux photographes". Personne ne doit savoir, pas même son éditeur, Gallimard. Sauf que dès son second roman, La Vie devant soi (1975), Emile Ajar alias Romain Gary, décroche une nouvelle fois le Goncourt en 1975, ce qui est normalement interdit.

Le faux Emile Ajar dévoile le pot-aux-roses après la mort de Romain Gary


Après avoir scrupuleusement gardé le secret, de sorte que ni l'éditeur de Romain Gary Caude Gallimard ni celui d'Emile Ajar, Simone Gallimard, ne savaient, Paul Pavlowitch avait révélé le pot aux roses en 1981, six mois après le suicide de Romain Gary.

Agé aujourd'hui de 80 ans, Paul Pavlowitch prend la plume pour raconter ses souvenirs. Tous immortels, qui parait le 16 février chez Buchet-Chastel, est consacré essentiellement à Romain Gary, à son épouse l'actrice Jean Seberg et à leur tribu familiale.

Il fallait quelqu'un pour jouer le personnage, rappelle-t-il, ne serait-ce que pour signer en 1973 le premier contrat d'édition, avec Le Mercure de France, pour Gros-Câlin (paru en 1974 NDLR). "Lui qui avait quitté le service diplomatique, qu'on avait prié de prendre sa retraite, il n'avait plus cette carte de visite de consul. Il s'habillait comme il voulait, il devenait de plus en plus folklorique, le cigare au bec. Les gens ne comprenaient pas", raconte Paul Pavlowitch à l'AFP.

"Je voyais bien que je devenais acteur"


Avec son troisième roman signé Emile Ajar, Pseudo, Romain Gary réussit à convaincre ceux qui avaient découvert le lien de parenté entre Ajar et Gary que Gary n'est pas l'auteur. Et juste avant de se donner la mort le 2 décembre 1980, il envoie à Gallimard Vie et mort d'Émile Ajar, court récit publié de manière posthume en juillet 1981, où il signe son forfait. "Il y eut des moments comiques (...) Je me suis bien amusé. Au revoir et merci", écrit-il dans les dernières lignes.

"Il m'a demandé quelques services. Je les lui ai rendus. Je voyais bien que je devenais acteur, mais c'était assez drôle", explique Paul Pavlowitch. Même si dans Tous immortels, il se souvient avoir été un piètre comédien devant la première journaliste qui avait vu le soi-disant Ajar, à Copenhague.
L'accueil enthousiaste d'un côté et la commisération de l'autre pour un Romain Gary passé de mode, isolé, même s'il continuait à publier, ne fit qu'aggraver la dépression de l'ancien diplomate d'origine russe.

Ce que Pavlowitch a "du mal à digérer"


Pseudo d'Ajar, en 1976, est "un livre que moi j'ai beaucoup de mal à digérer, que lui a écrit dans un état de paranoïa quasi irréel (...) Ce livre nous a séparés", estime Paul Pavlowitch. Quant aux éditions Gallimard, elles "ne voyaient pas" le mal-être de Gary. L'écrivain se plaignait, d'après son alter ego, que ses manuscrits paraissent sans travail d'édition: "il se demandait simplement ce qu'ils voulaient".

Quand la vérité est révélée par un communiqué à l'AFP en juin 1981 puis un livre publié chez Fayard en juillet, L'Homme que l'on croyait, Paul Pavlowitch va sur le plateau d'Apostrophes de Bernard Pivot. "Les éditions Gallimard ont envoyé tout un bataillon d'auteurs Gallimard. Et j'ai eu le sentiment que j'étais devant un tribunal, coupable de quelque chose", se souvient-il. "Les gens qui ont courtisé l'auteur que j'étais censé être étaient assez minables, vils (...) Ils sont devenus aussi agressifs qu'ils avaient été courtisans".

Sa carrière d'écrivain ne décollera jamais. Il sera éditeur. Paul Pavlowitch reste marqué par les manoeuvres d'avocats pour que, de son rôle dans le succès d'Ajar, il ne reste rien. Surtout pas la part des droits d'auteur que Gary avait concédée. Ces avocats "ont organisé mon exclusion", regrette-t-il.

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