: Interview "On avait envie d'interroger le vivre ensemble" : Emmanuelle Durand et Vincent Anglade, à la tête des Nuits de Fourvière, signent leur première édition
Ils ont pris leur fonction en décembre 2022, mais l'édition 2024 des Nuits de Fourvière est la première qu'ils signent en tant que codirecteurs. Emmanuelle Durand (ancienne secrétaire générale de l'Auditorium de Lyon) et Vincent Anglade (ex-responsable des musiques actuelles et des projets pluridisciplinaires à la Philharmonie de Paris) ont d'abord travaillé plusieurs mois aux côtés de Dominique Delorme, qui a dirigé l'incontournable festival lyonnais pendant vingt ans. Au lendemain de l'ouverture, le duo a reçu Franceinfo Culture dans son bureau, à quelques pas du théâtre antique de Fourvière. Entre souci de conserver l'héritage de son prédécesseur et volonté d'imprimer sa patte, le tandem dessine son propre chemin avec l'ambition d'accueillir de nouveaux publics.
Franceinfo Culture : "The pulse", spectacle d'ouverture des Nuits de Fourvière, semble avoir conquis le public lyonnais. Au lendemain de cette première, que ressentez-vous ?
Vincent Anglade : C’était un moment que l'on attendait tellement tous les deux. On rêve, on travaille, on avance sur cette première édition depuis longtemps. On était impatients. Il était temps que ça se lance et que l’on entre dans le vif du sujet. Nous avons ce sentiment d’avoir à peu près rempli la mission hier soir [jeudi 30 mai] car les artistes étaient ravis de l’accueil qu’ils ont eu à Fourvière. Le spectacle était magique, il a reçu une ovation à la fin.
Emmanuelle Durand : La machine s’est enfin mise en route et quand ça ouvre ainsi, cela donne de l’énergie pour tenir deux mois. Les Nuits de Fourvière, c’est l’équivalent d’une saison de théâtre concentrée en deux mois avec 60 spectacles et 130 représentations. Et, tous les jours, des alternances entre les formats de danse, de théâtre, de musique, de cirque ou d’opéra.
Votre prédécesseur Dominique Delorme a dirigé les Nuits de Fourvière pendant vingt ans avant de vous transmettre le flambeau. Qu’avez-vous fait de cet héritage ?
Vincent Anglade : Le mot héritage est un joli mot. Il nous plaît car on avait vraiment à cœur, avec Emmanuelle, de préserver cet ADN des Nuits de Fourvière : la pluridisciplinarité, la grande fête de la création dans un lieu classé au patrimoine mondial de l’Unesco et, en même temps, dans des lieux qui rayonnent sur la métropole. Au-delà du grand théâtre antique et du théâtre de l'Odéon, les Nuits, c'est aussi 11 lieux de représentation à travers la ville.
Emmanuelle Durand : Nous sommes allés chercher d’autres publics qui ne viennent pas aujourd’hui à Fourvière dans cette dynamique d'ouverture et d'ancrage sur le territoire. On a pré-ouvert cette année le festival à Vaulx-en-Velin. Dix-huit acrobates de la compagnie XY se sont installés dans l’espace public pendant une semaine et, à l’issue de cette semaine, il y a eu un grand rassemblement avec un très beau spectacle devant les habitants de la commune et nos spectateurs qui ont fait le déplacement. Cela illustre bien cette idée d’aller chercher d’autres publics. Nous inviterons ensuite les habitants de Vaulx-en-Velin à venir voir la répétition générale du projet Möbius Morphosis, une création monumentale prévue pour début juillet. Il faut créer de nouvelles habitudes dans les deux sens. C'est un travail de longue haleine.
Nous essayons aussi de toucher les familles et les enfants avec des propositions ciblées à des horaires différents de ceux habituels de Fourvière. Les spectacles se déroulent tard le soir. Deux représentations auront lieu en journée sur la grande scène. De même, deux spectacles à 19H à l’Odéon et deux autres au planétarium de Vaulx-en-Velin sont prévus sous la voûte étoilée.
Comment avez-vous ajouté votre patte à cette première saison ?
Vincent Anglade : On a beaucoup réfléchi avec Emmanuelle sur comment arriver à ouvrir, aller vers un peu plus de diversité au plateau, vers d’autres styles artistiques sans rompre le fil de cette histoire. On a souhaité travailler sur des très grandes formes qui investissent vraiment toute la scène du grand théâtre. À l’instar de The Pulse qui réunit plus de 50 interprètes sur le plateau. On va retrouver aussi, début juillet, Möbius Morphosis imaginé par Rachid Ouramdane, la compagnie XY, le ballet de l’opéra de Lyon et la maîtrise de Radio France. Et puis troisième rendez-vous d'ampleur, c'est la clôture avec Mourad Merzouki, qui revient avec une création d'ampleur autour du break.
Qu'est-ce qui fait le sel de cette édition 2024 ?
Vincent Anglade : On a mis beaucoup de sel (rires) avec, par exemple, ce nouveau rendez-vous qu’on donne le samedi baptisé Les samedis des Nuits. On a souhaité installer ce temps d’une manière un peu différente, créer un festival dans le festival qui nous permet de travailler sur des soirées un peu plus longues avec des plateaux différents et des groupes aussi divers que l’Impératrice, Lala &ce ou Dabeull.
Emmanuelle Durand : On a travaillé beaucoup sur ces samedis autour de l’hospitalité pour le public. Ces samedis-là, nous installerons une terrasse au théâtre de l’Odéon et, certains soirs, le Lyon street food Festival invitera des chefs de renom grâce à un partenariat que nous avons conclu.
Dans cette édition 2024, il est beaucoup question du corps...
Vincent Anglade : Oui, le thème "faire corps" est le fil rouge qui nous a guidés dans l’écriture de cette programmation. Il y a cette question du corps comme un moyen de lutte contre les inégalités, les discriminations avec beaucoup de projets très engagés. Je pense au spectacle programmé ce dimanche, un projet de JoeyStarr et David Bobée sur des textes antiracistes. Je pense également à la version de Carmen par Jeanne Desoubeaux où elle remet vraiment le mythe de Carmen à l’endroit où il est, c’est-à-dire l’histoire d’un féminicide. Je pense enfin au Hamlet de Christiane Jatahy où elle inverse les rôles en faisant jouer Hamlet par une femme, Clotilde Hesme. Ce qui nous donne une autre lecture de ce texte. Nous avons de nombreux spectacles qui viennent dessiner ce chemin autour de ce "faire corps". On avait envie de se donner une contrainte qui nous permette de rassembler des propositions différentes tout en donnant une cohésion à l’ensemble.
On a beaucoup travaillé sur cette notion du corps. Qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui le groupe, le faire équipe, le vivre ensemble ?
Vincent Angladeà franceinfo Culture
Après et pendant le Covid, les artistes se sont beaucoup penchés sur ces questions-là. La compagnie franco-catalane Baro d’evel, qu’on adore, s’installera au théâtre de l’Odéon pour présenter sa nouvelle création juste après son passage à Avignon. La création s’appelle Qui Som ? Qui sommes-nous ? Ils se sont vraiment interrogés à la sortie de cette crise sanitaire sur ce que signifie faire société aujourd’hui ? Comment vit-on en tant que groupe ? Comment interagit-on en tant qu'individu avec le groupe ? Quel rôle a-t-on à jouer pour que le groupe fonctionne ? C’est tout le sujet de cette création, thème passionnant aujourd’hui quand on voit les difficultés du monde.
Vous avez souhaité rendre le festival plus inclusif. Comment cela se traduit-il ?
Emmanuelle Durand : On s'est tourné vers la jeunesse en cherchant à l'impliquer dans le festival. On a travaillé avec une association qui s’appelle La Zone d’expression prioritaire. Elle a pour but de faire écrire des gens qui ne se sentent pas légitimes. Plusieurs collèges ont participé, une association de personnes atteintes de handicap, un centre social... Environ 80 personnes ont écrit sur ce thème du "faire corps". On a édité un petit recueil de leurs travaux effectués depuis janvier. Une quarantaine de textes ont été publiés. Ces textes sont très beaux, très durs pour certains, ce qui illustre aussi l’état de la jeunesse et de ce qui peut se passer quand on est au collège aujourd’hui. Certains ont été lus dans le théâtre de l’Odéon.
On accueille aussi les personnes en situation de handicap psychique et mental. Deux spectacles sont estampillés "Relax". Tous nos agents d’accueil ont été formés pour accueillir ce public atypique qui, parfois, peut-être amené à crier, applaudir à des moments imprévisibles ou sortir au milieu d'une représentation parce que c'est trop d'émotion.
Emmanuelle Durandà franceinfo Culture
Vous êtes issus tous les deux du monde la musique alors que les Nuits de Fourvière est un festival pluridisciplinaire. Est-ce une difficulté qu'il a fallu surmonter ?
Vincent Anglade : J’étais à la Philharmonie de Paris et j’ai toujours eu cet intérêt pour des projets qui mélangent la musique avec d’autres formes artistiques. On échangeait beaucoup avec les Nuits sur ces projets et les créations qui passaient d’une maison à l’autre. On avait cette sensibilité avant de venir ici. Les Nuits de Fourvière, c’est 70% de musique quand même et 30% de projets qui explorent d’autres champs artistiques. C'est la porosité entre le théâtre, la danse, le cirque, la musique qui nous intéresse. Ça intéresse aussi les artistes. Il y a de plus en plus de formes qu’on ne sait plus trop définir.
Emmanuelle Durand : Il y a pas mal de projets qui illustrent cette dynamique transversale : JoeyStarr et Bobée, Phia Menard, qui va mettre en scène les Protests Songs avec Jeanne Added, Camélia Jordana, L - Raphaële Lannadère et Sandra Nkaké. Il y a aussi Jusqu’à ce qu’on meure de Brigitte Poupart, expérience immersive qui mêle cirque, danse, théâtre et musique électro au Studio 24. Pour faire dialoguer toutes ces disciplines, on est au bon endroit avec les Nuits de Fourvière.
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